Le petit remplacement

François Thomazeau

Le remplacement a commencé. Ils sont partout. C’est vrai, certaines terrasses de café mal embouchées, où le pass sanitaire est rarement exigé, résistent encore et toujours à l’envahisseur. On y boit encore ce café tiède au marc poussiéreux où l’on dépose nonchalamment ses cendres de cigarette. Le thé vert, denrée rare, n’y est pas bio et se présente sous la bannière d’une marque locale depuis longtemps en faillite. On y croise encore des vieux, des vieilles, qui s’expriment dans ce sabir. compréhensible des seuls autochtones. Mais sur ce grand boulevard jadis résidentiel où fleurissent les épiceries bio, les AMAP et les boutiques de CBD, l’accent désormais majoritaire est le même qu’à Bastoche ou à Belleville. Les néo-arrivants accrochent leur tote-bag au dossier des chaises de formica jaune et rouge dépareillées de ce néo-bistrot qui ne sert que du vin nature, et devisent avec leurs semblables d’avance sur recettes, d’aide à l’écriture, d’expos à la Tate, au MoMa ou à Caumont.

Ils posent leur MacBook Pro sur un guéridon au fond du salon de thé et retrouvent sur Zoom les potes laissés à Paris, qui n’ont pas encore trouvé la maison de ville avec jardin, et si possible vue mer, qu’ils vont s’offrir sans ciller en vendant leur chambre de bonne dans la capitale. Les souchiens les regardent d’un drôle d’air. C’est à peine s’ils se croisent, coincés dans leurs univers parallèles, voisins de trottoir qui ne parlent pas la même langue. Les uns vont au Super U, au petit kabyle qui vend des clopes en loucedé. Les autres au Biocoop, au Bio c’ Bon, au Biovert. Les « locaux » sortent penauds de l’Épi d’or, boulanger depuis 1973, une baguette bien cuite sous le bras. Les « néos » enfournent leur miche de pain brun à 15 euros le kilo dans un sac en papier marron. Les premiers discutent avec emphase du match de l’équipe de football local, la veille au soir. Les seconds tentent de faire de même, mais s’em- brouillent sur les noms, les postes, les phases de jeu, bref n’y comprennent rien. Ils vivent dans la même ville, mais n’en font pas le même usage. Les uns y ont grandi, vieilli, y ont vu leur passé se délaver. Les autres y rêvent d’un avenir ensoleillé et authentique. Ces derniers sont venus une première fois, en repérage, entre les deux premiers confinements. Ils ont dansé jusqu’à l’aube, bu jusqu’au petit jour et répandu avec allégresse un virus jusque-là presque inconnu sous ces latitudes. Ils sont revenus, et pour rester… toujours un peu grisés par cette première impression trompeuse, et persuadés d’embarquer pour un sempiternel été. Juchés sur leurs vélos électriques, ils y croient encore, malgré les klaxons moqueurs des diesels de leurs hôtes.

Cet hiver, giflés par les rafales de ce vent mauvais qui burine les traits des gens du cru, ils déchanteront. Et on commencera à voir dans les rues leurs enfants rentrer de l’école dans des maillots du PSG. L’horreur....

Le remplacement a commencé. Ils sont partout. C’est vrai, certaines terrasses de café mal embouchées, où le pass sanitaire est rarement exigé, résistent encore et toujours à l’envahisseur. On y boit encore ce café tiède au marc poussiéreux où l’on dépose nonchalamment ses cendres de cigarette. Le thé vert, denrée rare, n’y est pas bio et se présente sous la bannière d’une marque locale depuis longtemps en faillite. On y croise encore des vieux, des vieilles, qui s’expriment dans ce sabir. compréhensible des seuls autochtones. Mais sur ce grand boulevard jadis résidentiel où fleurissent les épiceries bio, les AMAP et les boutiques de CBD, l’accent désormais majoritaire est le même qu’à Bastoche ou à Belleville. Les néo-arrivants accrochent leur tote-bag au dossier des chaises de formica jaune et rouge dépareillées de ce néo-bistrot qui ne sert que du vin nature, et devisent avec leurs semblables d’avance sur recettes, d’aide à l’écriture, d’expos à la Tate, au MoMa ou à Caumont. Ils posent leur MacBook Pro sur un guéridon au fond du salon de thé et retrouvent sur Zoom les potes laissés à Paris, qui n’ont pas encore trouvé la maison de ville avec jardin, et si possible vue mer, qu’ils vont s’offrir sans ciller en vendant leur chambre de bonne dans la capitale. Les souchiens les regardent d’un drôle d’air. C’est à peine s’ils se croisent, coincés dans leurs univers parallèles, voisins de trottoir qui ne parlent pas la même langue. Les uns vont au Super U, au petit kabyle qui vend…

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