Une génération désenchantée qui ne demande qu’à s’engager
Dorian Dreuil
Étiquettes: BM01
Dorian Dreuil
On dit souvent de la jeunesse qu’elle ne s’engage plus, qu’elle se désintéresse de la vie de la cité. On dit des jeunes qu’ils sont une génération sacrifiée, désabusée ou fracassée uniquement tournée sur elle- même. Cette génération est-elle celle du désenchantement ? Mais il faut se méfier des on-dit. Interrogés par l’Institut BVA et la Fondation Jean Jaurès, 6 Français sur 10 se déclarent comme engagés dans la société. Parmi eux, la tranche des 18-24 ans est celle qui se considère comme la plus fortement engagée. Près de 40 % des 18-30 ans donnent chaque année du temps bénévolement dans une association, et près de 90 000 d’entre eux ont effectué une mission de service civique. Quand les jeunes se mobilisent pour l’environnement, ils en font un enjeu de l’agenda politique. Quand les jeunes s’indignent sur les réseaux sociaux, ils s’imposent à l’agenda médiatique. Plus que jamais, la jeunesse est engagée, mobilisée, à l’avant-garde des défis du siècle. Elle donne le tempo des causes du temps. Pour autant, elle ne vote pas ou peu, et la tendance ne fait qu’empirer. Les élections régionales et départementales ont ainsi montré des taux historiques d’abstention chez les jeunes. L’élection présidentielle à venir pourrait ne pas échapper à cet effondrement électoral, bien qu’elle soit traditionnellement l’élection qui passionne les Français.
Pour considérer que le vote est
de nouveau aussi puissant que de
se mobiliser dans une association
ou sur les médias sociaux, il reste alors
à produire de nouveaux horizons collectifs.
D’aucuns pensent que la jeunesse se désintéresse des scrutins parce qu’elle serait dépolitisée, ce qui ne se vérifie pas à plus d’un titre. D’abord, la démocratie ne peut être uniquement électorale et se résumer aux jours de scrutin. Elle est continue, quotidienne : démocratie contributive, délibérative, participative — elle est protéiforme et suppose de nombreuses mécaniques complémentaires. Ensuite, le senti- ment prédominant chez les jeunes qui s’engagent aujourd’hui est celui de l’efficacité de l’action. Ce n’est pas le regard sur le vote qui a changé — celui-ci n’est que la conséquence de l’évolution des modalités d’engage- ment. L’engagement n’est plus global, il est au service de causes précises. L’engagement n’est plus conduit par de grandes théories politiques, mais par la mesure de l’impact et la capacité de changement. Ces changements ont une conséquence notable : le vote n’est plus considéré par les jeunes comme le mode d’action le plus efficace. Tout aussi engagés que leurs aînés ou les générations précédentes, ils ne trouvent tout simplement plus dans le vote la forme d’action la plus efficace. D’autres modalités ont détrôné le vote dans la pyramide d’efficacité de l’action : s’engager dans une association, faire un don à une organisation non gouvernementale, ou encore parler de la cause qu’on défend dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux.
C’est alors, d’une certaine façon, l’échec de la politique à montrer qu’elle peut « changer la vie », à démontrer sa capacité à incarner le changement et avoir de l’impact sur les causes qui mobilisent aujourd’hui. Le pou- voir n’est plus dans l’urne ni sur le bulletin, il est ailleurs. En 1917, le sociologue Max Weber décrivait un monde désenchanté par le recul des croyances religieuses et magiques au profit d’explications scientifiques et rationnelles. Le nouveau désenchantement du monde, au xxie siècle, sera- t-il celui de la politique telle qu’on la connaît ? Cela serait considérer qu’elle ne vit que par le vote et oublier qu’elle peut revêtir bien des visages.
Nous faisons face à une génération désenchantée du vote au profit de nouvelles formes de mobilisation citoyenne. Elles ne font pas moins partie de la vie démocratique, mais en sont tout autant une vive expression. Considérons que la Politique ne vit pas que par le vote et qu’elle peut revêtir bien des visages. Il n’en demeure pas moins que réenchanter le monde politique apparaît comme un défi. Regardons du côté des fictions, qui disent sou- vent bien plus de nous que certaines enquêtes, et notamment de l’une d’elles qui parle si souvent de politique sans jamais faire référence au vote : Game of Thrones. Le machiavel de Westeros, Tyrion Lannister, évoque ce qui fait une société politique en interrogeant les puissants seigneurs qui concourent au trône : « Qu’est-ce qui unit le peuple ? Les armées ? L’or ? Les drapeaux ? » Rien de tout cela, estime-t-il en précisant « qu’il n’est rien de plus puissant qu’une bonne histoire ». Les grands récits sont ceux qui, dans les théories socio-constructivistes, construisent et gardent en lien des communautés politiques. Pour considérer que le vote est de nouveau aussi puissant que de se mobiliser dans une association ou sur les médias sociaux, il reste alors à produire de nouveaux horizons collectifs. Seuls ces grands récits réussiront à montrer aux nouvelles générations que le vote est une formidable modalité d’action collective qui permet de changer le réel et le quotidien. À moins de considérer que les jeunes produisent aujourd’hui à eux seuls ces nouvelles odyssées et qu’il nous reste à apprendre à les lire et les porter ?
Il n’y a de désenchantements que ceux qu’on n’accepte ou qu’on ne souhaite pas voir. ...
Déjà abonné(e) ? connectez-vous !