Planqué sous les arcades qui serpentent le long du quai, un peu avant les terrasses des restaurants à tapas, un poil à l’écart du centre de Cadaqués, Javi Aznarez a tout du peintre à touristes. Y compris le look. Sa tignasse blonde en bataille est un hommage aux deux vents violents qui s’affrontent dans le petit port de Catalogne où il réside : la tramontane et le garbi. Sur la porte de son atelier, un fusil en pétard, un hommage à Dalí, le maître pictural des lieux. De loin, à la nuit tombante, son coin de quai ressemble d’ailleurs à une toile du maître ou à une œuvre de Chiriquo, l’un de ses inspirateurs.
Javi Aznarez est affable. Il parle les langues. Le castillan, le catalan, le français, inévitable si près de la frontière, l’anglais, nécessaire pour discuter du prix d’une des toiles exposées sur les sept murs de la salle principale et de l’alcôve du fond. En cherchant bien, vous y trouverez même des vues de Cadaqués, des marines, tous ces sujets qui font la fortune ou le pécule des peintres de villégiature.
Mais l’univers de Javi est assez différent. Son environnement l’ins- pire, mais aux marges. Il a rendu aux vents mauvais de la Costa Brava un hommage en forme de BD, dont les planches garnissent toujours les recoins de l’atelier (Ventvolgut estrangulador, 2016, en vente à la boutique). S’il ne rechigne pas à sublimer l’architecture dissymétrique de son village, il s’est plutôt inspiré, ces dernières années, d’un des événements discrets de la station balnéaire : une course de nage en haute mer, qui fait tourner les bras comme des moulins et crépiter sur les flots dorés les bonnets rouges ou bleus des nageurs de fond. Depuis, il décapite des touristes et des locaux, dans son décor naturel, pour la série The Beheadeds (Les Décapités), suite d’illustrations d’un Cadaqués pris par la passion de la guillotine.
Et puis il y a The French Dispatch, le film de Wes Anderson, toujours attendu, dont il a réalisé l’affiche dans son style caractéristique, entre illustration, BD ligne claire et déjantement catalan.
C’est la coproductrice du film, la Française Octavia Peissel, qui a mis Javi sur le coup. La jeune femme a grandi à Cadaqués, où sa famille dispose d’une maison de famille et où repose son père, le réalisateur et explorateur Michel Peissel. Elle connaît Javi depuis toujours et lorsque Wes Anderson a décidé de faire réaliser des unes à la manière du New Yorker, elle a tout de suite pensé à lui. « Elle m’a fait sortir de ma grotte », comme il dit.
Le thème-même de The French Disptach, un magazine imaginaire, à l’esthétique décalée, rendant compte du quotidien d’une petite ville de France, Ennui-sur-Blasé, ne pouvait qu’inspirer Bastille, finalement proche cousin du périodique inventé par Wes Anderson et dont Javi Aznarez a imaginé les couvertures fictives.
« Ce fut une année incroyable », tranche le jeune Catalan, très en cour depuis ce coup de pouce du destin. Esquire lui a commandé un portait du réalisateur, et il travaille désormais pour la plus prestigieuse des marques de whisky, Macallan, qui lui a demandé d’illustrer ses deux cents ans d’existence par des dessins rendant hommage au rouge, la couleur fétiche de l’illustrateur et du commanditaire. Javi, qui a vécu quatre ans à Paris avant de revenir en Catalogne, avoue qu’il lui faut du temps pour donner la pleine mesure de son talent, et se sent du même coup proche des vieux whiskies de la célèbre distillerie créée en 1824.
À Cadaqués, où l’ont précédé non seulement Dalí, mais aussi Duchamp, qui y passait tous ses étés, et Picasso, Javi Aznarez a tout le temps de savourer sa notoriété nouvelle. Sans ennui, sans se blaser.
« Le problème, c’est que j’ai du mal à être satisfait de mes dessins. Quand tu réalises une illustration, tu t’habitues à la voir à tous les stades de la fabrication et tu perds l’effet de surprise que ressent le spectateur la première fois qu’il la voit. C’est seulement avec le temps, quand tu n’as pas vu un dessin pendant des années, que tu peux le redécouvrir et l’apprécier à nouveau. »