Le nzango, l’anti Squid Game

Par Sylvère-Henry Cissé

Le zango est une anomalie à part entière au regard du reste du monde du sport. Alors que les disciplines modernes comme le foot- ball, le rugby à XV sont nées dans des périodes d’euphorie économique, ce nouveau sport féminin apparu au Congo-Brazzaville au début des années 2000 a été consacré dans les vagues de la récession des subprimes. Alors que des pratiques étranges, comme le tir au cerf courant ou le 200 mètres nage libre avec obstacles, ont très rapidement décliné et ont bien heureusement disparu au début du siècle dernier, le baroque nzango connaît une progression impressionnante en Afrique centrale. 

En effet, pour le non-initié confronté à cette joute féminine, le nzango reste une énigme fascinante à voir. Pendant près d’une heure, deux équipes de onze joueuses se font face. Tour à tour, le regard planté dans celui de son adversaire, la femme engagée sur le terrain enchaîne des sauts et rebonds à une cadence frénétique, rythmée par un chant repris à l’an- tienne par ses partenaires. Pendant qu’elle accomplit cette danse aérienne, le claquement des mains sur des comptines populaires accompagne les différentes combinaisons de pas. À la fin de son engagement, c’est à l’adversaire de répondre de la même manière. 

Je suis resté coi devant cette chorégraphie sportive : l’affrontement et la conquête dans le sport exigent de la rudesse, ordonnent aux muscles de se gonfler de sang, imposent aux visages, les dents serrés, de se déformer sous la douleur de l’effort. Ici, le temps d’une compétition de nzango, les femmes sourient à leurs adversaires. Oui ! Alors que le cardio monte dans des intensités folles. La compétition nécessite de se dépasser pour impressionner les concurrentes. Sous l’effort fourni, les compétitrices parviennent à surmonter la douleur pour conserver la lumière sur leurs visages. 

L’ancienne journaliste Sylvie Kaky Okabando, à la tête du conseil départemental congolais de la Lékoumou, pose un regard tendre et ému sur les origines de ce nouveau sport. « Le nzango, c’est l’enfance qui sommeille en moi et dans chaque Congolaise. Ce sont des souvenirs de maison, où, dès 10 ans, les petites filles installaient la petite sœur ou le petit frère calé à califourchon dans le dos, et le bercer pour l’endormir pendant que la maman finit de ranger la maison et de cuire le repas. Par la suite, ces berceuses sont devenues des jeux pour adolescentes, des moments de partage l’après-midi et le soir au clair de lune. » 

On éprouve un sentiment d’effarement et d’éblouissement devant ces femmes, rondes de générosité, capables de performances de vitesse et de rythme dignes de sportives de haut-niveau. Une petite frustration cependant : il est quasi impossible pour le spectateur néophyte de déterminer qui a remporté la joute. Les règles du jeu resteront obscures. Je pourrais m’échiner à tenter de les expliquer, mais, autant le dire tout de suite, l’essentiel est ailleurs. 

Une prise de conscience de la croissance inquiétante de l’obésité chez les femmes a incité, en 2005, Guy Noel Mpassi Titov à regarder de plus près le nzango. Ce fonctionnaire au ministère de la Santé du Congo a la conviction qu’il peut lutter efficacement contre le surpoids chez les femmes et les risques de maladies cardio-vasculaires en classant ce jeu traditionnel en sport. Dès lors, les choses se précipitent autour de lui : codification de la pratique, création d’une fédération, inscription au programme des Jeux africains de 2015. Le nzango se développe à vitesse grand V dans les pays du bassin du Congo. RDC, Gabon et Cameroun s’emparent du phénomène. Mais, le principal bénéfice revient aux femmes des milieux ruraux. Elles trouvent dans cette discipline le moyen de s’échapper quelques instants de leurs conditions de vie précaires. En effet, bien plus que dans d’autres parties du monde, ce sont elles qui assument l’essentiel des travaux domestiques, de l’approvisionnement en eau potable et bois de cuisson. « Oui, les femmes font de l’activité physique à travers les tâches ménagères et les travaux des champs, prévient Sylvie-Kaky Okabando, mais le nzango leur donne du sourire, même du rire, de la créativité, ce sport est une source de joie de vivre. » 

Et, indéniablement, le nzango est une bénédiction. Il renforce la confiance en soi chez les femmes et leur permet de sortir de l’isolement relationnel dans lequel leur quotidien les enferme. Alors que l’appropriation du jeu 1-2-3 soleil adapté en danse macabre dans la série à succès Squid Game inquiète, le nzango apporte la lumière et renouvelle les énergies. Qu’on se le dise, le nzango peut aussi conquérir le monde. 

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