Le bruit du monde, nul doute que Marie-Pierre Gracedieu et Adrien Servières vont l’entendre à Marseille, cette cité qui, comme le prétendait Maurice Vidalin dans la chanson interprétée par Colette Renard et Barbara, crie trop fort. Mais ce sont justement ces cris d’origines diverses que ce couple à la ville comme à l’édition est venu capter dans la deuxième ville de France. La covid a-t-elle été un pousse-au-crime ? Un peu. Surtout le prétexte pour aller au bout d’un vieux rêve partagé. Ils sont tous les deux auvergnats et ont grandi à quelques kilomètres l’un de l’autre, aux abords de Clermont-Ferrand, sans jamais se croiser. La littérature a remis tout cela en place. Elle a étudié les « métiers du livre », a vendu la littérature française à Londres et peaufiné son bilinguisme. C’est en stage chez Actes Sud à Arles qu’elle a découvert le Sud et surtout Marseille. Après une expérience chez un éditeur d’histoire, Alvik, Marie- Pierre Gracedieu a fait vivre son goût d’ailleurs chez Stock, où elle a dirigé la collection Cosmopolite. Forcément. Quelques années plus tard, elle fait escale chez Gallimard pour prendre le gouvernail de la collection Du monde entier, l’un des fleurons de la maison. Elle y cultive son goût pour la littérature anglophone avec des pointures comme Philip Roth, Jonathan Coe, Zadie Smith, et y orchestre d’extraordinaires succès d’édition comme celui d’Elena Ferrante, l’énigmatique romancière napolitaine.
Adrien Servières a développé son amour du livre de l’autre côté du miroir, ou du comptoir. Libraire dans un quartier cher à ce magazine, puis travaillant chez l’un des principaux diffuseurs littéraires français, il sera « le commercial ». Leur envie de s’épanouir dans un projet commun, risqué mais exaltant, a pris son envol pendant le confinement. Consulté sur cette idée dans l’air du temps de quitter une capitale paralysée, recroquevillée, pour l’horizon méditerranéen, un des grands pontes d’Editis, le deuxième groupe d’édition en France, dit « banco » ! L’aventure est sur les rails.
Marseille, dont la vie littéraire est foisonnante en dépit de sa mauvaise réputation et de sa proximité avec une capitale régionale de l’édition comme Arles (Actes Sud, Harmonia Mundi), accueille à bras ouvert les deux explorateurs.
Le Bruit du monde s’y fait discret, mais insistant. La ville, qui reçoit volontiers les idéalistes (Artaud, Rimbaud), est intriguée par cette entreprise. Aguichée, aussi. Depuis la disparition des Cahiers du Sud, la revue de Jean Ballard qui, de 1914 à 1966, publia les plus grands auteurs français, Marseille manquait d’un fer de lance, d’un navire amiral dans le domaine de l’édition, même si les éditeurs y sont nombreux et divers (Agone, Le Mot et le Reste, Jigal, Wildproject, Marc Crès, Gaussen, Jeanne Laffitte). Et puis recueillir la rumeur du monde, c’est justement sa vocation, à Marseille.
Alors ils se sont posés là, dans un meublé du Camas, en attendant mieux. Adrien a déniché un grand local rue de Rome, l’une des artères les plus bouillantes de la ville. Nos complices espèrent y recevoir, s’y ouvrir aux auteurs, aux lecteurs, loger des écrivains de passage en résidence. Pour eux-mêmes, ils hésitent encore un peu entre les facettes complémentaires de leur nouveau port d’at- tache : les collines provençales, la ville urbaine et bigarrée, la vue mer…
Depuis le début de l’aventure, ils se sont entourés. D’abord d’un jeune assistant d’édition polyglotte et voyageur : Benjamin Burguete, puis d’une éditrice confirmée qui a pris soin de nombreux auteurs francophones chez Actes Sud : Marie Desmeures.
Ce qu’ils attendent de leur nouvel univers comme de leur nouvelle mai- son : un regard décalé. Bien sûr, la littérature étrangère occupera une large place dans le catalogue qui s’annonce et devrait comporter une vingtaine de titres par an. Mais ils ne s’inter- disent rien. Récit, roman graphique, non-fiction narrative (le genre à la mode mais pas que…). Le Bruit du monde entend bien déconfiner l’édition. À suivre…