Marvel, le super-pouvoir de Disney

Pierre Sérisier

Les investisseurs ont reçu le message : Disney veut combler au plus vite son retard dans la bataille des plateformes. Avec 116 millions d’abonnés au troisième trimestre, Disney+ reste loin derrière Netflix et ses 210 millions d’utilisateurs payants. Mais l’écart se réduit et son objectif est désormais de 230 à 260 millions d’utilisateurs en 2024. 

Pour réussir ce tour de force, Disney compte sur Pixar et Lucasfilm (Star Wars), mais aussi sur Marvel Studios et ses super-héros. Les séries WandaVision, centrée sur la sorcière Wanda Maximoff, et Loki, une des figures les plus intrigantes de l’univers Marvel, ont confirmé que l’intégration des activités cinéma, télé et édition était achevée. 

« Les séries télé peuvent désormais jouer avec les joyaux de la couronne que sont les personnages des films de l’Univers cinématographique Marvel (MCU) », explique Xavier Fournier, auteur de Kirbysphère, ouvrage consacré à Jack Kirby, collaborateur du mythique créateur de super-héros Stan Lee (Caurette Éditions, 2020). « Il y a une plus grande interdépendance entre les divisions cinéma et télévision. On peut passer six ou sept heures à approfondir des personnages qui sont secondaires dans les films. » 

Cette interdépendance a long- temps été entravée par le conflit larvé qui opposait le président de Marvel Studios, Kevin Feige, et le patron historique de Marvel, Isaac Perlmutter. Ce dernier conservait, depuis le rachat par Disney en 2009, un droit de regard sur les activités cinéma et télévision. « Les dirigeants de Disney ont décidé de tout rapatrier sous le même toit au moment de créer Disney+, vers 2017 », précise Xavier Fournier. 

L’intégration des différentes activités, confiées au seul Kevin Feige, a donné un coup d’accélérateur à la production et une cohérence aux contenus. Tout d’un coup, la « licence d’univers », la bible de règles que Marvel impose à tous les scénaristes et réalisateurs, a pris tout son sens. C’est dans ce contexte qu’est apparue, en juin, la série Loki, personnage de la mythologie nordique incarné par Tom Hiddleston. « Cette mini-série marque un basculement parce qu’elle introduit la notion d’univers parallèles (multivers), note Théo Touret, spécialiste des super-héros. Avant cela, l’univers Marvel était unique et fermé. En déverrouillant plusieurs univers, Marvel multiplie les possibilités de récits et de productions. » En clair, tous les personnages – ils sont environ 5 000 dans la bibliothèque – peuvent trouver une place dans la bible des règles. Les perspectives commerciales sont vertigineuses avec un public élargi. 

« La culture geek est devenue mainstream, rappelle Théo Touret. Aujourd’hui, on regarde Arrow sur TF1 comme autrefois on regardait Urgences. Au lieu d’avoir de l’action hospitalière, on a de l’action de super-héros, mais sinon c’est pareil, c’est un feuilleton. Cela fait partie du quotidien. » 

« Le réflexe culturel autour du super-héros a changé. Cette figure est sortie du ghetto sous l’influence de trois facteurs concomitants au tournant des années 2000 », renchérit Xavier Fournier. D’abord, le super-héros est un personnage feuilletonnesque, au sens des feuilletons populaires du xixe siècle. Il évolue, il vieillit, il s’inscrit dans une chronologie forte. Ensuite, le recours au numérique, comme dans les films de James Cameron, a permis d’intégrer des effets spéciaux spectaculaires sans exploser les budgets. Enfin, il y a eu les attentats du 11 septembre 2001. « Quand l’Amérique a peur, elle se cherche des symboles de résilience, note Xavier Fournier. Il s’est créé à cette époque un carrefour de conditions qui ont rendu possibles et montrables des fictions de super-héros avec des enjeux forts. » Si Marvel Studios a fini par rafler la mise, c’est autant en raison des forces vives de Disney qu’en raison d’un manque de conviction de la part des producteurs d’Hollywood. Au milieu des années 2000, les droits de personnages comme Iron Man ou Thor ainsi que plusieurs licences ont été cédés à d’autres studios. La Fox, elle-même, a produit des X-men dont certains ont marché et d’autres se sont révélés calamiteux. « Mais, à l’époque, ces studios n’ont pas cru aux personnages. Ils ont juste attendu que le temps passe et ont rendu les licences, rappelle Xavier Fournier. Si Sony lance Iron Man en 2005 et ne le rétrocède pas à Marvel, c’est toute la face du cinéma qui est changée. Le succès de Marvel tient à une forme d’opportunisme dans le bon et le mauvais sens du terme. » 

Par son insolence, cette réussite agace. Au point que Martin Scorsese a récemment expliqué tout le mal qu’il pensait de cette évolution de l’industrie hollywoodienne. Pour le réalisateur, le MCU « n’est pas du cinéma ». « Quand Scorsese dit qu’il est de plus en plus difficile de faire des films exigeants, la critique est recevable, juge Théo Touret. Marvel, c’est du divertissement mais ce ne sont pas que des films et des séries bébêtes. Certains sont de qualité, comme Black Panther, avec une vocation universelle. Il faut se souvenir que, historiquement, Marvel a toujours été un peu à la gauche des idées. Cela étant dit, il est dangereux d’avoir un modèle qui plaît autant et rapporte autant. Dangereux pour l’industrie du cinéma et l’industrie de la culture. Une situation de monopole n’est jamais bonne. » 

Pourtant le succès de Marvel n’est pas de son seul fait. Il tient aussi à « l’indigence de la concurrence », affirme Xavier Fournier. « Il y a de l’espace pour faire des fictions DC Comics qui tirent les personnages vers le haut mais pour l’instant, chez Warner, ils passent à côté de ce qui fait l’ADN de Superman, Batman ou Wonderwoman. » 

En attendant, tout le monde s’y met. Des fictions de super-héros sont produites à Bollywood ou en Turquie. « C’est un genre parfait pour l’industrie du streaming, résume Théo Touret. Les super-héros sont le western d’aujourd’hui. » 

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