Mers-les-Bains, le regain

Patrick Raynal

À la Belle Époque, elle fut une star de la côte picarde, puis d’autres stations balnéaires, plus au sud, l’ont supplantée. L’avènement du « monde d’après », réel ou fictif, serait-il en train de réveiller doucement Mers ? 

En 1889, une superbe affiche du Chemin de fer du Nord proclamait fièrement Paris-Le Tréport-Mers, trajet par train rapide en 3 heures 1⁄2 de Paris. C’était vrai… et ça l’est toujours, ou à peu près, cent trente- deux ans plus tard.

C’est grâce au train qu’à la fin du xixe siècle, Mers-les Bains est brusquement passée du statut de petit village de pêcheurs de la Somme à celui de station balnéaire à la mode la plus proche de Paris. C’est vers ses rivages que les fameux trains de plaisir acheminaient à pleins wagons de riches familles bourgeoises de Paris ou d’Amiens, avec enfants, bagages et domestiques, venues goûter aux bienfaits de l’air marin et des bains de mer. Patricia, retraitée, se souvient qu’« en été, les gens ici appelaient ça le “ train des cocus ” », une référence aux maris qui, seulement le week-end, rejoignaient leurs épouses laissées libres pendant la semaine de céder à la tentation pendant leurs mois de villégiature. Les « baigneurs », comprendre les touristes, affluaient, et Mers était devenue l’une des places to be des bords de la Manche, bien avant que la Côte d’Azur ne soit inventée. 

Depuis 1999, Mers-les-Bains, Le Tréport et Eu, sont regroupées dans la Communauté de communes des Villes Sœurs (« sœurs enne- mies », ricanent certains Mersois). Eu, ancienne ville royale qui abrite sa mairie dans l’ex-résidence d’été de Louis-Philippe, Le Tréport, port de pêche à municipalité communiste qui vit débarquer en grande pompe la reine Victoria, et Mers-les-Bains, la seule Picarde – ses deux autres sœurs sont normandes. 

Quand on débarque à Mers en voiture, le rond-point bordé par les hypermarchés et les enseignes de zones commerciales ne fait rêver ni aux bains de mer, ni aux bourgeoises infidèles. Plantée au milieu, la statue d’une baigneuse 1900 contemple les deux goélands qui raillent en silence sur le toit de sa cabine de plage, le tout en mousse polyuréthane et résine. Les oiseaux s’étaient mystérieusement envolés – la blague d’une équipe de rugbymen anglais passablement éméchés –, mais l’auteur de l’œuvre, l’artiste giratoire bien connu Jean- Luc Plé, a tenu à venir lui-même les remplacer. 

Ce n’est qu’en arrivant sur le front de mer que l’on comprend enfin ce que fut Mers au temps de sa splendeur. Face à une plage de près d’un kilomètre se dresse un mur vertical de villas aux façades étroites et hautes, avec balcons ouvragés et bow-windows, ornées de nombreuses fantaisies. Un rare ensemble architectural de styles Napoléon III, Art nouveau et Art déco d’un charme suranné, et qui vaut le détour. Certaines sont signées par des architectes célèbres, et la municipalité a eu la bonne idée de poser devant celles-ci des plaques indiquant leur nom et un résumé de leur carrière. Pour ne citer que lui, Édouard-Jean Niermans (à qui l’on doit le Moulin- Rouge à Paris, et l’hôtel Negresco à Nice) en a signé trois parmi les plus étonnantes : avenue Foch, La Villa Parisienne et La Villa Française, et rue Boucher-de-Perthes, Jan et Helena. Par arrêté du 7 août 1986, la Ville a obtenu le classement de ce joyau, com- posé de quelque 600 villas, en Secteur sauvegardé. 

En cette fin des années 1980, sans doute saisie par le vertige du succès, la municipalité en place entre- prend la construction d’un golf, un vrai, 18 trous, club-house et tout le toutim. « Histoire de faire de la place, raconte Patricia dont les parents ont commencé à fréquenter la station dans les années 1930, on a détruit le casino du front de mer, moche, mais typique des années 1960, et on a déménagé le club de tennis, célèbre pour son tournoi annuel qui déplaçait tout le gratin de la côte. L’arrivée en Rolls de la princesse Sturdza et son prince moldave ravissait les Mersois. » Aujourd’hui, le casino, toujours aussi moche, mais tout neuf, se retrouve sur la rocade en face d’Auchan, et les tennis derrière le stade de foot. Le club-house n’a pas été construit et les 18 trous sont restés vierges : le golf n’a jamais ouvert. La faute à une très mauvaise affaire financière, qui a sans doute précipité le déclin de Mers, laissant à la Ville une masse de dettes que l’actuelle municipalité finit à peine d’éponger. « On n’a pas tout perdu, rigole un commerçant, on a quand même le plus vieux mini-golf de France ! » Inauguré en 1952, ins- tallé en plein centre-ville, on y propose encore des clubs en cuivre aux clients. Il fait partie du patrimoine de la commune, on y sert à boire et à manger. 

Mais les choses sont en train de changer. Une boucherie et une pois- sonnerie se sont récemment ouvertes sur la place, un supermarché est en train d’y être aménagé, et une épicerie bio tenue par des autistes, l’Épicerie de Jeannot, vient d’être inaugurée en grande pompe par Nicolas Hulot et la créatrice des Maisons de Vincent, Hélène Médigue : « Il y a six résidents 

dont mon grand frère, Vincent. L’autisme a toujours fait partie de ma vie. J’ai voulu créer des lieux de vie adossés à l’écologie. » Les fruits et légumes viennent d’une ferme bio, les Jardins de la Bresle, qui emploie des salariés en insertion après une lourde peine. Par chance pour la Ville, c’est un habitant de Mers qui a offert à l’association le plus grand local. 

Cet été, un nouveau bar-restaurant de plage s’est installé sur les galets, cocktails, fruits de mer et lumières spectaculaires du ciel sur la mer. Comme au pied de la falaise de craie, où un autre restaurant a doublé sa sur- face de terrasse cette année. Surtout, la municipalité annonce la réhabilitation de la rue Jules-Barni. Pour se faire une image précise de ce qu’était Mers- les-Bains au début du siècle dernier, il faut regarder les photos d’époque de cette rue commerçante construite entre 1869 et 1875. On y voit plus de Mersois qu’aujourd’hui sur la place, les jours de marché en été. La « galerie », faite de plusieurs petites boutiques séparées par un escalier d’accès à l’étage, était considérée comme le premier centre commercial des environs. « La boulangerie Goizet y tenait le haut du pavé, raconte un enfant du pays. La mère Goizet a même fini par racheter toute la rue. On venait de partout acheter ses croissants et ses pains au chocolat. Un vrai régal. » « L’ennui, précise Patricia, c’est que la boutique était si sale qu’on voyait des toiles d’araignées entre les gâteaux du dimanche. » Il y a toujours une boulangerie dans la rue, son accès en est interdit par de gros madriers qui empêchent sa façade de s’effondrer. Heureusement, une inscription à l’inventaire des Monuments historiques en décembre 2011 est venue sauver cette architecture originale avec toits en terrasse et balcons partiellement ajourés. La mairie est en train d’acquérir toute la galerie pour la restaurer et lui redonner vie. 

Alors Mers est-elle vraiment en train de remonter ? « Je ne sais pas si ça remonte, mais c’est sûr que ça change et ça va plutôt dans le bon sens. Les vieilles maisons sont mieux entre- tenues et il y a plus de vie », confirme un autre habitant. D’autres ne sont pas de cet avis. Certains ronchonnent car des Parisiens ont racheté des maisons et qu’ils ne peuvent plus se garer devant chez eux… Ils parlent même de quitter Mers. « Les Mersois veulent tout, du moment que rien ne change, s’amuse le même. Vous êtes tombés sur un membre de la petite secte des “gens-qui-veulent-se-tirer”, heureuse- ment qu’ils finissent par rester, ils nous manqueraient ». 



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