Cali, Colombia - April 17, 2020: Netflix app on tv screen playing "La Casa de Papel" (Paper House) behind a bowl of popcorn and a remote control.

La guerre des écrans est déclarée

Nathalie Sonnac

Depuis plusieurs années se produit une lente érosion de la consommation audiovisuelle sur les chaînes de télévision traditionnelles, dites linéaires, même si la crise sanitaire a montré qu’elles n’avaient pas dit leur dernier mot. Les Français ont regardé en moyenne cinq heures par jour des programmes sur leur téléviseur, avec une appétence sensible pour l’information. Malgré ces audiences record, cette période a été révélatrice de la place grandissante des services de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) dans les foyers. Les diverses révolutions – économiques, techniques et d’usage – produites par la numérisation de l’information et le déploiement des plateformes dans l’espace des médias et du divertissement ont conduit à la recomposition du paysage médiatique. En quelques années, l’offre de services en ligne s’est étendue, du côté des chaînes historiques qui proposent leurs programmes en rattrapage (délinéarisation) et par l’arrivée croissante des services de SVOD distribués par le biais de l’Internet ouvert, en OTT (over the top) ou via les fournisseurs d’accès à Internet. Ce sont les plus jeunes qui se sont les premiers tournés vers les services de streaming, suivis par les 35 ans et plus. Une étude Hadopi-CSA (janvier 2021) montre que la consommation des services de SVOD connaît une forte progression dans cette tranche d’âge, passant de 51% à 61% en l’espace de deux ans. Cinq millions de Français regardent chaque jour une vidéo à la demande par abonnement. « Nous estimons que 50% de la consommation télévisuelle s’effectuera à la demande d’ici cinq à six ans », expliquait récemment Thomas Valentin, vice-président du groupe M6.

Netflix est l’un des premiers opérateurs à être sorti du modèle traditionnel de la location de DVD envoyés par la Poste, anticipant la modification des usages avec l’arrivée du numérique et le développement du haut débit. Il s’est transformé peu à peu en une entreprise de high-tech et en studio de création et de divertissement, comptant, vingt-quatre ans après sa création, près de 220 millions d’abonnés. La plateforme a dépensé 17 milliards de dollars dans les contenus en 2020. À titre de comparaison, les contributions cumulées, sur cinq années, des quatre principaux services de télévision français – France Télévisions, Canal+, TF1 et M6 – sont trois fois moins importantes, environ six milliards d’euros. Netflix est présent en 2021 dans un foyer sur quatre en France. Autre firme emblématique à s’être engouffrée dans le streaming : une des filiales composantes des GAFA, Amazon Prime Vidéo (APV). D’abord simple service offert aux utilisateurs d’Amazon pour s’affranchir des coûts d’acheminement des colis, APV a su enrichir son catalogue de films et de séries et a annoncé en mai le rachat des studios de la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) pour 8,7 milliards de dollars (environ 7 milliards d’euros). APV possède un catalogue de plus de 4 000 films, dont la collection des James Bond et des Rocky, et près de 17 000 heures de séries. Il a dépensé 15 millions d’euros dans la création originale française contre 71 millions pour Netflix.

L’offre de services de SVOD est ainsi devenue un cœur de métier pour les GAFA. Tous livrent une concurrence directe aux chaînes de télévision linéaires, avec une palette de programmes à la carte, sous des formats de plus en plus diversifiés et qui s’apparentent à ceux d’une chaîne classique – films, séries et documentaires et bientôt retransmissions sportives et émissions de divertissement en live – avec des modalités modernes. Aux Pays-Bas, le passage au numérique de l’offre de télévision gratuite n’a pas résisté, elle s’est éteinte en 2006, remplacée par une offre payante distribuée par l’opérateur télécom KPN. Cette prolifération de services en streaming représente un réel danger pour l’avenir des télévisions linéaires et va jusqu’à remettre en cause leur existence. Cette offre pléthorique conduit à une fragmentation des audiences, entraîne une baisse des recettes publicitaires des chaînes commerciales et une chute du nombre d’abonnés des chaînes payantes. Ces pertes de revenus pèsent sur leur capacité à investir et à innover. 

En face, le modèle économique des nouveaux acteurs constitue un élément essentiel de leur puissance de frappe. Fondé sur l’abonnement plutôt que sur la publicité, il leur permet de bénéficier d’avances de trésorerie et les met à l’abri des fluctuations du marché publicitaire. Pendant la crise sanitaire, malgré les bons chiffres d’audiences, les chaînes de télévision ont vu leurs recettes publicitaires s’effondrer. C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet de fusion des chaînes TF1 et M6. On constate en outre que c’est l’ensemble de la filière de création européenne qui est fragilisée sur le marché de la production et entraîne une reconfiguration du marché des droits au détriment des chaînes linéaires. Les milliards de dollars des plateformes numériques ont pour effet d’inonder le marché mondial de leurs productions, asséchant petit à petit les marchés locaux et poussant à une inflation généralisée des droits. Par leur surpuissance, elles imposent de nouvelles pratiques commerciales, raréfient les mécanismes d’entente avec les chaînes et nouent entre elles des accords de sortie plus longs, allant jusqu’à l’acquisition de studios. Ces derniers tentent de résister en se lançant dans le streaming afin de compenser la baisse des audiences de leurs propres chaînes et les recettes des salles de cinéma. Ils sont nombreux à choisir de distribuer leurs longs-métrages directement sur les plateformes. À l’exception de Sony Pictures, tous sont aujourd’hui liés à une plateforme : Warner Bros, filiale d’AT&T, diffuse ses films sur son service HBO et Walt Disney, qui a racheté la 21st Century Fox, propose certains de ses films sur Disney+, qui compte déjà plus de 95 millions d’abonnés dans le monde. C’est une véritable guerre commerciale que se livrent les pure players de la SVOD et les studios. 

 

Les chaînes traditionnelles s’efforcent de reculer le moment fatidique de la fin de la télévision linéaire. C’est une véritable course de vitesse alors que 88% des Français déclarent se connecter tous les jours à Internet. Pour faire face, elles développent leurs offres en ligne et déploient des stratégies d’alliances qui prennent diverses formes. Des acteurs historiques nationaux, autrefois ennemis, mutualisent leurs investissements et cofinancent leurs projets. Les groupes privés TF1 et M6 se sont alliés avec France Télévisions pour lancer Salto, une plateforme de streaming payant, suivant ainsi l’exemple d’autres pays européens comme le Royaume-Uni, avec Britbox, l’Allemagne, avec Joyn Plus, ou l’Espagne, avec LOVEStv. Depuis 2018, les trois groupes publics européens, la ZDF (Allemagne), la RAI (Italie) et France Télévisions ont créé l’Alliance, avec l’objectif d’échanger et de financer ensemble des grandes productions européennes. Plusieurs projets de séries sont en cours dont Leonardo, qui bénéficie d’un budget de trois millions d’euros par épisode : aucun de ces groupes n’aurait pu à lui seul assurer un tel financement. Les acteurs traditionnels n’hésitent pas non plus à nouer des partenariats avec les nouveaux venus. TF1 l’a fait en 2019 avec Netflix sur la production de la série Le Bazar de la Charité, la chaîne pouvant la diffuser en accès gratuit pendant une semaine et la plateforme bénéficiant d’une exclusivité de droits pendant quatre ans. Un autre service dans lequel les chaînes traditionnelles tentent de s’engouffrer est la vidéo à la demande gratuite (AVOD) dans lesquelles elles voient même leur salut. Sur la base d’une déclinaison de leur modèle de gratuité en ligne, elles veulent s’emparer de la pole position dans ce nouvel eldorado. 

Enfin, la distribution des services en ligne constitue un enjeu majeur pour l’ensemble de ces acteurs, tous s’efforçant d’être accessibles au plus grand nombre. Là encore, les acteurs américains ont pris de l’avance : Netflix a fait le choix pour son déploiement à l’international d’une distribution avec des partenaires locaux comme Canal+, proposant une offre couplée des deux services. L’accès direct aux consommateurs est aujourd’hui au centre des enjeux et le modèle économique natif du numérique est avantagé. Il repose sur des algorithmes de filtrage collaboratif et un modèle de recommandation qui permet d’analyser les habitudes de chacun, et d’avoir une vision précise des goûts des abonnés. La collecte massive de données et les interactions avec la plateforme permettent de produire des contenus en lien avec les attentes du consommateur et de renforcer les offres de catalogue.

Dans ce Big Bang médiatique, une réponse réglementaire est attendue par les chaînes traditionnelles. Elles dénoncent la concurrence asymétrique dans laquelle elles se trouvent face aux géants du Net. En effet, en échange d’une allocation de fréquences gratuites, les chaînes sont soumises à un certain nombre d’obligations, dont celle de participer au financement de la création française en versant un pourcentage de leur chiffre d’affaires au CNC, une participation fléchée vers la production européenne et d’expression originale française indépendante. Une contrainte à laquelle les plateformes ne sont pas encore tenues. Mais depuis la transposition de la directive de services de médias à la demande, entrée en vigueur le 1er juillet 2021, les acteurs du Net sont entrés dans le champ de la réglementation française et devront participer à leur tour au financement de la création. Tout le secteur est ainsi dans l’expectative du montant qui sera versé et notamment les acteurs du cinéma, qui voient le financement de leur modèle économique fragilisé par les nouvelles modalités de consommation en streaming, les chutes de la fréquentation des salles et la baisse du chiffre d’affaires des chaînes. ...

Depuis plusieurs années se produit une lente érosion de la consommation audiovisuelle sur les chaînes de télévision traditionnelles, dites linéaires, même si la crise sanitaire a montré qu’elles n’avaient pas dit leur dernier mot. Les Français ont regardé en moyenne cinq heures par jour des programmes sur leur téléviseur, avec une appétence sensible pour l’information. Malgré ces audiences record, cette période a été révélatrice de la place grandissante des services de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) dans les foyers. Les diverses révolutions – économiques, techniques et d’usage – produites par la numérisation de l’information et le déploiement des plateformes dans l’espace des médias et du divertissement ont conduit à la recomposition du paysage médiatique. En quelques années, l’offre de services en ligne s’est étendue, du côté des chaînes historiques qui proposent leurs programmes en rattrapage (délinéarisation) et par l’arrivée croissante des services de SVOD distribués par le biais de l’Internet ouvert, en OTT (over the top) ou via les fournisseurs d’accès à Internet. Ce sont les plus jeunes qui se sont les premiers tournés vers les services de streaming, suivis par les 35 ans et plus. Une étude Hadopi-CSA (janvier 2021) montre que la consommation des services de SVOD connaît une forte progression dans cette tranche d’âge, passant de 51% à 61% en l’espace de deux ans. Cinq millions de Français regardent chaque jour une vidéo à la demande par abonnement. « Nous estimons que 50% de la consommation télévisuelle s’effectuera à la demande d’ici cinq à six ans », expliquait récemment Thomas…

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