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D’une révolution à l’autre

Jean-Vincent Bacquart

Réindustrialisation, relocalisation de l’appareil productif, sauvetage des entreprises menacées… À l’heure où la France entre dans une campagne électorale, la question industrielle s’invite une nouvelle fois dans la plupart des débats. Un phénomène sans doute amplifié par la pandémie de Covid-19, qui aurait mis en lumière une incapacité à produire suffisamment de biens « stratégiques » sur le sol national. Mais, au-delà des masques chirurgicaux, des flacons de gel hydro-alcooliques ou des comprimés de paracétamol, produire chez soi favoriserait, évidemment, la création d’emplois et réduirait les émissions de CO2 à travers des circuits courts de distribution. Autre vertu supposée du phénomène, il éviterait les pénuries en tout genre qu’une économie mondialisée serait désormais susceptible de générer. 

Si les experts et les analystes sont appelés à se prononcer sur le bien-fondé de ces théories, l’historien peut, de son côté, éclairer le débat en revenant aux origines de l’industrialisation de l’Hexagone. Apparue en Grande-Bretagne dans la seconde moitié du xviiie siècle, la révolution dite « industrielle » gagne la France au début du siècle suivant. Favorisée par le code civil promulgué en 1804, qui encadre le droit à la propriété privée, elle marque le passage d’une économie agraire et artisanale, en partie héritée de l’époque médiévale, à une économie industrielle et commerciale. Employé pour la première fois en 1837 par l’économiste Adolphe Blanqui, le terme de « révolution industrielle », passé dans le langage courant pour caractériser le xixe siècle, est pourtant sujet à controverse chez certains historiens. En effet, par définition, une révolution se conçoit comme un changement brutal et irréversible de situation. Ici, il serait plutôt question d’une « évolution industrielle », la mutation économique de la société française étant, en réalité, le fruit d’un processus à l’œuvre sur plusieurs décennies.

Intimement liée au développement technique, notamment avec l’usage de la machine à vapeur et du charbon, la première révolution industrielle se caractérise par une mécanisation à grande échelle de la production de biens manufacturés. En France, le Nord du pays est la première région à se transformer profondément avec son industrie textile ; ailleurs, il faut véritablement attendre les années 1830 et la Monarchie de Juillet pour que minoteries, filatures, brasseries, papeteries, forges, ateliers ou fabriques en tout genre fleurissent sur le territoire, annonçant des transformations profondes de la société : culturelles, juridiques, économiques, sociales, environnementales et agricoles. Face au capitalisme moderne, entendu comme le fait de détenir les moyens de production, apparaît en miroir une classe ouvrière aux conditions d’existence souvent précaires, dont l’importance numérique ira croissant. 

De la charrue à la machine, du blé aux biens manufacturés, des champs aux usines, un demi-siècle aura suffi à faire passer de la campagne aux zones urbaines une large partie de la population française. Alors que le déploiement du chemin de fer, facilitant le transfert de matières premières ou de produits transformés, annonce une nouvelle étape dans l’augmentation de la productivité et de la création de richesses, ce n’est pas moins de six millions d’ouvriers que compte le Second Empire naissant. Puissance industrielle incontestable, la France de l’époque ne connaît pourtant pas la même croissance que sa voisine d’outre-Manche. Dominée par une bourgeoisie peu ouverte sur le monde, surtout intéressée par son marché intérieur, l’industrie y reste modérément dynamique ; les changements et innovations y sont plus lents, la concentration d’entreprises et la production de masse moins rapides. 

D’une révolution à l’autre, la deuxième étape de ce phénomène interviendra dans les dernières décennies du xixe siècle avec l’apparition de nouveaux secteurs clés comme la chimie, l’électricité, le pétrole, l’automobile ou la sidérurgie. Ainsi États-Unis, Allemagne, Japon ou Russie connaîtront à leur tour une phase de transformation profonde de leur économie et de leur société. Passé ce cap, presqu’un siècle s’écoulera avant que microprocesseur et informatique ne bouleversent à nouveau notre monde. Dans ce monde contemporain justement, où l’usine, symbole de la première révolution industrielle, s’envisage parfois comme une solution à nos maux économiques, certains signes annoncent que nous sommes déjà à la veille d’une quatrième révolution : celle de l’intelligence artificielle. 



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