COP26©Pierre-Louis Bouvier
©Pierre-Louis-Bouvier

Good COP ? Bad COP ? 

Philippe Zaouati

Parce qu’elle nous implique tous, États, entreprises et individus, la lutte pour la défense de l’environnement offre l’opportunité d’une alliance planétaire. Au-delà de nos rivalités et de nos divergences, ne peut-on imaginer que les menaces qui pèsent sur notre destin commun nous contraignent à coordonner nos efforts et à regarder dans la même direction ?  

Organisée avec un an de retard en raison de la pandémie de Covid-19, la COP26 qui s’est tenue à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre s’est achevée en demi-teinte. Elle n’aura pas permis d’avancée majeure sur la route encore longue vers la neutralité carbone. Elle n’a pas été non plus, comme certains le prédisaient, la réunion de la dernière chance. Soyons lucides. Des conférences sur le futur de notre planète, il y en aura d’autres. Beaucoup d’autres. Et ce dès l’année prochaine avec la COP15-biodiversité en Chine, qui sera suivie très vite par… la COP27, qu’accueillera l’Égypte. Il faut donc éviter de donner à ces grand-messes plus d’importance qu’elles n’en ont réellement. À l’exception de quelques rendez-vous marquants, comme la COP21 de Paris, chacun de ces événements n’est que l’un des petits cailloux blancs que nous déposons au sol pour ne pas perdre notre chemin.

En dépit d'une déclaration commune tardive, la Chine et les États-Unis ont eu bien du mal à convaincre de leur leadership. 

Depuis quelques années, la place croissante prise par la société civile et le monde économique dans ces conférences invite par ailleurs à faire le bilan des COP à travers plusieurs prismes, au-delà des seuls angles diplomatique et politique qui furent leur socle historique. À l’heure du bilan de cette 26e édition, on peut en dégager trois traits saillants :

La raison d’être de ces conférences est de faire avancer les négociations internationales sur le climat. Des centaines de diplomates venus du monde entier passent leurs jours, et souvent leurs nuits, à discuter chaque virgule des textes qui seront soumis à l’adoption. À Glasgow cette année, l’un des enjeux clés était le relèvement des objectifs climatiques des États, fixés par l’Accord de Paris il y a six ans. La récolte fut plutôt maigre, puisque seuls deux tiers des pays, représentant au total environ 50% des émissions, ont accepté de réviser à la hausse leur ambition. En dépit d’une déclaration commune tardive appelant à une accélération de l’action dans la prochaine décennie, la Chine et les États-Unis, les deux principaux pays émetteurs, ont eu bien du mal à convaincre de leur leadership. Finalement, la somme des nouveaux engagements est loin de permettre d’envisager une limitation de l’élévation des températures à 1,5 degré par rapport à l’ère pré-industrielle. À l’aune de cet objectif, la COP26 est donc un échec.

En marge de cette négociation, il y eut pourtant des annonces importantes : un plan ambitieux de réduction des émissions de méthane, un gaz dont l’effet de réchauffement est 80 fois plus puissant que celui du dioxyde de carbone et qui provient notamment de l’élevage et du traitement des déchets ; une déclaration sur la conservation des forêts, signée par une centaine de pays, dont certains pointés du doigt pour leur intense contribution à la déforestation, comme le Brésil ; l’arrêt du financement international des nouvelles explorations d’énergies fossiles par une coalition de grands pays (que la France a rejoint in-extremis). Ces avancées sont limitées, mais réelles. Les optimistes se raccrochent surtout à cette déclaration finale qui mentionne, pour la première fois dans une COP (!), la nécessité de sortir du charbon et de réduire l’utilisation des énergies fossiles.

Enfin, n’oublions pas les innombrables engagements du secteur privé. Jamais encore les représentants des entreprises et des industries n’avaient été aussi présents que cette année à Glasgow. Les mauvaises langues ont d’ailleurs pu faire remarquer que la délégation la plus importante en Écosse ne représentait pas un État, mais les compagnies pétrolières. Quoi qu’il en soit, sur les estrades ou dans les couloirs, la plupart des grands patrons n’avaient qu’une expression sur les lèvres : « Net Zero ». Autrement dit, un objectif de neutralité carbone à un horizon déterminé, le plus souvent autour de 2050. Le Net Zero, c’est le but ultime. Toutefois, cette expression peut recouvrir des réalités très diverses, parfois décevantes, car sa définition reste extrêmement floue. Le concept a bénéficié à Glasgow de l’implication de Mark Carney, un ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, surtout connu pour son célèbre discours sur la « tragédie des horizons ». En 2015, quelques mois avant la COP21, il y expliquait pourquoi le changement climatique constituait un risque systémique pour… la finance mondiale. Désormais envoyé spécial des Nations Unies pour l’action climatique, Mark Carney a lancé la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ) qui rassemble les principales initiatives Net Zero du système financier : l’alliance bancaire Net Zero (NZBA), la Net Zero Asset Managers (NZAM) et la Net Zero Asset Owner (NZAO). La finance semble aimer aligner les zéros…  « C’est une percée décisive dans l’intégration du financement climatique dont le monde a besoin », a déclaré Mark Carney. Pourtant, si l’objectif de neutralité carbone se comprend aisément au niveau de la planète, voire à celui d’une région ou d’un pays, ce concept devient difficile à manier à l’échelle d’une entreprise, et plus complexe encore pour une banque ou un investisseur. À tel point que beaucoup d’ONG et de scientifiques dénoncent une vaste opération de greenwashing. C’est le cas par exemple de Laurence Tubiana, l’ancienne négociatrice de l’Accord de Paris, pour qui « le greenwashing est le nouveau déni climatique ». Si les climato-sceptiques ont en effet quasiment disparu, une communication absconse pourrait être tout aussi dommageable. Sur ce troisième axe, le bilan de la COP26 est donc incertain.

Pour juger de la réussite et des conséquences d’une COP, il me semble nécessaire de prendre en compte également ce qui se passe ailleurs dans le monde, hors des cercles politiques et économiques. Comme lors des conférences précédentes, de grandes manifestations ont été organisées dans les rues des grandes villes, réunissant des dizaines de milliers de jeunes venus dire leur angoisse pour l’avenir. Selon une étude publiée en septembre par la revue The Lancet Planetary Health, les trois-quarts des 16-25 ans dans dix pays, du Nord comme du Sud, jugent le futur « effrayant ». Cette pression de la jeunesse est fondamentale car elle met les dirigeants politiques et économiques devant leurs responsabilités face aux générations futures.

Le Net Zero, c’est le but ultime. Toutefois, cette expression peut recouvrir des réalités très diverses, parfois décevantes, car sa définition reste extrêmement floue.

Peut-on en dire autant de la multiplication des réactions indignées qui inondent les réseaux sociaux ? J’en doute. Considérer que les actions et inactions des gouvernements et des entreprises en font, aujourd’hui, des ennemis du climat et de la nature, on peut le comprendre. Les enfermer définitivement dans le camp adverse et leur dénier toute possibilité de trouver les solutions, cela conduit à un échec certain. À l’issue de cette nouvelle conférence des parties, cette polarisation des positions me semble le constat le plus inquiétant. Un exemple frappant de cette tendance à l’indignation stérile est le cas de Tariq Fancy. Cet ancien responsable de l’analyse ESG (environnement, social, gouvernance) chez BlackRock, plus grand gérant d’actifs au monde, a quitté son poste après deux années de service. Il a alors publié une série de tribunes enflammées et accusatrices contre la finance durable, coupable, selon lui, non seulement de n’avoir aucun impact positif, mais d’être nuisible parce qu’elle n’incite pas les gouvernements à agir. Pour Tariq Fancy, seule la régulation, notamment la mise en place d’un prix du carbone, peut résoudre la crise climatique. La finance ne devrait même pas essayer d’agir, puisque par définition son action est inutile. Alain Grandjean et Julien Lefournier avaient développé des arguments similaires dans leur ouvrage à charge L’Illusion de la finance verte (éd. de l’Atelier, 2021). Un procès en sorcellerie, et bien peu de solutions.

D’une certaine façon, l’indignation et le greenwashing sont les deux faces de la même pièce : ils s’alimentent et se justifient l’un l’autre. Ils rendent les consensus impossibles à atteindre. Bien sûr, la détresse des jeunes générations est compréhensible, la colère de celles et ceux qui constatent l’insuffisance de l’action alors que le dérèglement climatique s’accélère et que la biodiversité s’écroule est légitime. Oui, la dénonciation de l’inaction est utile, mais seulement si elle permet de déboucher sur l’action. Lorsqu’elle se transforme en indignation permanente, elle alimente la spirale de l’échec. Malheureusement, le bilan mitigé de la COP26 n’a fait que renforcer ces sentiments d’angoisse et d’impuissance. 

D’une certaine façon, l’indignation et le greenwashing sont les deux faces de la même pièce : ils s’alimentent, se justifient l’un l’autre, et rendent les consensus impossibles à atteindre. 

Une chose est certaine, l’objectif de neutralité carbone en 2050 exige un bouleversement inédit du fonctionnement de notre société, condition nécessaire et, espérons-le, suffisante, pour transformer en quelques années un système économique qui s’est construit en deux siècles, et autour des énergies fossiles. La seule chance d’y parvenir est de réunir une alliance large de tous les acteurs : États, entreprises, citoyens. Il n’y a pas d’alternative. C’est la bataille de notre génération. Le think-tank Destin Commun a réalisé en 2019 une grande enquête sur l’état de la vie démocratique en France. Partant du constat répandu que la France n’a jamais semblé aussi divisée qu’aujourd’hui, cette étude visait à inventorier les enjeux qui se présentent, à comprendre les convictions profondes qui nous opposent et, in fine, à imaginer ce qui pourrait dessiner un consensus. La question écologique est apparue comme l’un des seuls défis capables de nous unir par-delà nos divergences. 

Nul doute que ce constat pourrait s’étendre bien au-delà de notre pays. À l’heure du bilan de la COP26, il faut se garder de voir le verre totalement vide ou totalement plein. Mieux vaut sans doute, sans perdre l’objectif de vue, suivre les conseils avisés d’un poète : « Ne pas se décourager, attendre, attendre s’il le faut pendant des années. » ...

Parce qu’elle nous implique tous, États, entreprises et individus, la lutte pour la défense de l’environnement offre l’opportunité d’une alliance planétaire. Au-delà de nos rivalités et de nos divergences, ne peut-on imaginer que les menaces qui pèsent sur notre destin commun nous contraignent à coordonner nos efforts et à regarder dans la même direction ?   Organisée avec un an de retard en raison de la pandémie de Covid-19, la COP26 qui s’est tenue à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre s’est achevée en demi-teinte. Elle n’aura pas permis d’avancée majeure sur la route encore longue vers la neutralité carbone. Elle n’a pas été non plus, comme certains le prédisaient, la réunion de la dernière chance. Soyons lucides. Des conférences sur le futur de notre planète, il y en aura d’autres. Beaucoup d’autres. Et ce dès l’année prochaine avec la COP15-biodiversité en Chine, qui sera suivie très vite par… la COP27, qu’accueillera l’Égypte. Il faut donc éviter de donner à ces grand-messes plus d’importance qu’elles n’en ont réellement. À l’exception de quelques rendez-vous marquants, comme la COP21 de Paris, chacun de ces événements n’est que l’un des petits cailloux blancs que nous déposons au sol pour ne pas perdre notre chemin. En dépit d'une déclaration commune tardive, la Chine et les États-Unis ont eu bien du mal à convaincre de leur leadership.  Depuis quelques années, la place croissante prise par la société civile et le monde économique dans ces conférences invite par ailleurs à faire le bilan des COP à travers plusieurs prismes, au-delà des…

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