Cette même question taraude les passionnés et le monde du sport à l’approche d’une échéance olympique. Gagnera-t-on suffisamment de médailles ? Les interrogations sont plus prononcées autour du paysage de Paris 2024 et cristallisent de nombreuses crispations. Car, les enjeux ne sont pas uniquement sportifs, mais politiques, économiques, diplomatiques, concentrés sur de nombreux adjectifs en « iques ». Et si la solution résidait dans l’application de la méthode Lecat ?
Stéphane Lecat est à la tête de l’eau libre française depuis 2013, 84 médailles à son effectif, dont plus de la moitié en or, patron de « frappadingues » capables de parcourir en milieu naturel des distances de 5, 10, 25 kilomètres, voire plus. Une nage qui nécessite des efforts monumentaux, qui convoque autant la force, le style que la grâce. Cependant, l’histoire du sport ignore les exploits de ses héros. La faute à une fédération internationale peu reconnaissante. Les grands rendez-vous internationaux de la natation en eau libre se déroulent traditionnellement la troisième semaine de juillet, et donc, toujours en face du Tour de France. Les derniers jours du troisième plus grand événement sportif au monde font le plein d’audience et masquent des exploits tout aussi spectaculaires qui sombrent dans un relatif anonymat.
« Le plaisir ? C’est ressentir les sensations extraordinaires de l’eau qui s’écoule sous son corps
et jouer avec les adversaires pour les dominer. »
« Moi je le vis très bien, lâche Stéphane Lecat, un sourire amusé sur les lèvres. Je suis amoureux de la performance, de l’idée du singulier et de l’unique. Être champion du monde ou champion olympique, c’est rare. C’est pour cela que je le fais, pour le challenge, pour les émotions qui me sont propres. Je ne suis pas avide de reconnaissance. » Il se dégage quelque chose de beau et de tendre chez ce colosse à la tête ronde posée sur un corps cubique. Une masse bien éloignée du profilage d’un nageur. À l’époque où il était sur le devant de la scène, avec son physique de troisième-ligne de rugby, le désormais directeur national de son sport avait pour moteur ce goût de la performance transmis par son grand-père circassien et trapéziste, qui gérait le stress à 25 mètres de hauteur sans filet grâce à un mental d’acier. Il faut remonter le fil de ses émotions d’ancien champion pour saisir où se niche le plaisir dans ces marathons nautiques.
« Le plaisir ? C’est en fait avoir cette capacité à jouer avec l’eau. Ressentir les sensations extraordinaires de l’eau qui s’écoule sous son corps et jouer avec les adversaires pour les dominer. C’est une multitude d’émotions qui surgissent. À part la naissance de mes enfants, il n’y a pas grand-chose qui puisse rivaliser avec ça. Le plaisir est dans cette récompense. » Cette quête attire les entreprises dans des séminaires de Team Building où s’illustrent des gens ordinaires conduits à faire des choses extraordinaires. Patiemment, Stéphane Lecat a, par exemple, inoculé la rage de vaincre aux collaborateurs d’une entreprise de solutions informatiques dans la région de Compiègne. Certains d’entre eux savaient à peine nager. Des mois d’entraînements en piscine, puis dans un lac à Longueuil, dans l’Oise, et enfin des séances en pleine mer au Tréport dans une eau à 12 degrés pour réaliser l’impensable : rallier à la nage les 16 kilomètres entre Quiberon et Belle-Île. Stéphane Lecat en parle les yeux humides, le souffle et la gorge serrés : « Quand ils sont arrivés, j’ai ressenti la même émotion qu’une médaille olympique d’un de mes nageurs. »
Notre homme a nagé tout autour du monde dans les conditions les plus extrêmes, en Argentine, 88 kilomètres en 10 heures, pour la plus longue course au monde entre Hernandarias et Parana, 42 kilomètres entre Newport-
USA et Magog-Canada dans une eau à un peu plus de 10 degrés et parfois sous la pluie. On se doute que, pour lui, la traversée de la Manche en 2003, pour la gloire, en 8 heures et 19 minutes, ne représentait pas de difficulté particulière : il n’y avait personne pour le recevoir lorsqu’il posa un pied sur la plage de Calais. La gueule de bois fut violente. Ce colosse discret, généreux et laborieux aurait aimé un tout petit peu de reconnaissance, pas pour lui, mais pour sa discipline. Ce n’est pas le cas en France.
Parmi les 350 nageurs qui tentent la traversée chaque année et les milliers sur la liste d’attente, les Français se comptent sur les doigts d’une main. Les candidats sont majoritairement anglophones. L’anonymat de cette discipline en France et l’intérêt qu’elle suscite en Grande-Bretagne sont révélateurs, en creux comme en relief, de ce mal français qui freine les ambitions : le manque de culture sportive, consubstantielle de la culture de la gagne, ce petit plus qui trace la route du succès vers les médailles. Stéphane Lecat le sait. Tourné vers le présent et pas le passé, il érige sa méthode en système. En vue de Paris 2024, il répète à ses athlètes comme un mantra : « Pour gagner des médailles olympiques, il faut que le projet olympique soit la seule priorité et ils doivent construire leur vie autour de ce projet, sinon aucune chance d’y arriver. C’est la clé. »