Hugues Pagan ©Sandrine Martin

Le plus culte des auteurs de polars français

Hubert Artus

Hugues Pagan, à l’encre noire
Quarante ans après la parution de son premier roman, Hugues Pagan revient avec Le Carré des indigents, dans lequel Schneider, son héros originel (et double ?) fait son come-back. Hubert Artus est parti à la rencontre du grand Pagan, ancien flic devenu roi du polar hexagonal, afin de remonter le fil d’une vie pleine de contrastes.

Il est loin, il est encore un peu flou, mais il est bien là. Sa silhouette et ses habits noirs s’extraient d’un décor encore anonyme, indécis et brumeux : le parking de la gare d’Angoulême, en début de matinée. La journée sera pluvieuse, une seule main suffira pour évaluer les degrés de la température réelle. La température ressentie, elle, grimpe au moment où la distance nous rapproche de notre homme : Hugues Pagan ôte alors son élégant feutre noir et un seul de ses gants (puisqu’une main suffit aussi pour toper du poing). Il nous a attendu sur le parking car il n’approche plus trop les gares depuis plus de trente ans, et nous en saurons plus sur ce blocage en cours de journée. Le timbre de sa voix achève de réchauffer l’atmosphère : il fait froid mais il a la verve chaude. 

Et pourtant, il râle : « J’ai pris le navire amiral pour venir te chercher, mais je l’ai prêté à un de mes enfants hier, et il ne l’a même pas nettoyé ! » Le navire en question est une Alfa Romeo V6 Spider, deux places, trente ans d’âge et 230 chevaux sous le capot, « le plus beau V6 du monde, tout le monde le dit, pas seulement moi ! ». Ses polars nous ont montré un certain goût pour les belles carrures automobiles et lui-même avait auparavant possédé une Jaguar et une Pontiac datant des années soixante-dix. La Spider est une décapotable, mais ce n’est pas un cabriolet. Ce que les carrossiers de la firme italienne (comme ceux de chez Porsche) ont nommé spider désigne une carrosserie deux places qui a été dessinée et conçue pour être ouverte et aller plus vite. Son châssis est donc encore plus près du sol. On y voit le monde un peu différemment. 

Il remet le gant, fait vrombir le moteur. C’est parti. Et il sourit. Deux semaines plus tôt, celui qui est officiellement retraité depuis deux décennies avait accepté de nous consacrer une journée. Entière. Faite de plusieurs étapes. Il fallait bien cela pour appréhender celui que beaucoup tiennent pour la plus belle plume du roman noir français contemporain. Si vous aimez le cinéma de Jean-Pierre Melville, si vous aimez les romans de David Goodis, si vous aimez les polars qui résolvent l’intrigue sans résoudre le schmilblick du grand tout, alors vous aime(re)z forcément Pagan. 

Le Carré des indigents, son nouveau roman, débute en « un de ces après-midis de fin novembre, à la fois lumineux et glacé ». Le hasard des agendas avait aussi fixé cette rencontre à un jeudi de fin novembre, glacé mais dépourvu de luminosité franche. Ces retrouvailles avec Pagan avaient également lieu à quelques semaines d’une date anniversaire : ce mois de janvier 2022 marque ses quarante ans de publication. De La Mort dans une voiture solitaire au susnommé Carré des indigents, ce sont douze romans et un recueil de nouvelles qui se sont succédé. Une carrière littéraire en deux temps : dix livres entre 1982 et 1997, presque autant de chefs-d’œuvre, clos par Dernière station avant l’autoroute, portrait émouvant d’une société désespérée, d’une police bouffée par la corruption et les abus de pouvoir. L’auteur était alors un officier de la police judiciaire qui avait entamé une (solide) double carrière. Puis il devint le scénariste et surtout le créateur de deux séries marquantes : Police District (1999-2001) et Mafiosa en 2006, écrivant aussi une douzaine d’épisodes de la série Nicolas Le Floch entre 2008 et 2017. Cette année-là, il réapparaissait dans les librairies avec son premier roman depuis vingt ans. Profil perdu nous faisait renouer avec le romancier, mais aussi avec un personnage utilisé deux fois par le passé : Claude Schneider, plus simplement appelé Schneider, un inspecteur principal de la police criminelle française hanté par… les mêmes démons que son créateur. Schneider était apparu dans le premier roman de Pagan : La Mort dans une voiture solitaire. Il y avait également disparu, puisque son créateur avait choisi de le tuer dans les ultimes pages. « Erreur de jeunesse, plaide-t-il aujourd’hui, je considérais ce bouquin comme un coup unique. » Bien que mort à l’arrivée du premier livre, Schneider est revenu. Ressuscité ? Le coup est bien plus tordu : son erreur de départ contraint Pagan à enquiller les prequels. Chaque nouveau livre avec Schneider remonte le temps, Le Carré des indigents se situant pour sa part au milieu des années soixante-dix. Pagan rembobine, c’est une raison de plus pour faire le point. Voir l’univers du bonhomme, et retrouver la cellule-souche.

Bien qu’elle n’ait pu lâcher les chevaux, la Spider a fait entendre le hennissement de son moteur sur une portion d’autoroute à la sortie d’Angoulême. On a ensuite repris la Nationale. Puis le conducteur a ralenti sans qu’on l’ait senti venir. C’est en se garant qu’il lance : « Première surprise ! » Nous ne sommes qu’à mi-chemin de son domicile. Il n’est que 11h15. « Je ne sais pas si tu es fine gueule. Moi oui, alors je t’invite. » On ne l’avait pas sentie venir, la côte de bœuf qu’il se réjouit de nous annoncer. Il a ses habitudes, donc ses entrées, au Bon Repas de Barbezieux. Notre table sera au coin du feu. Le cognac-Schweppes arrive en apéritif. Trente minutes plus tard, la salle est comble. À vue d’œil, au moins une quarantaine de couverts. Nous attaquons l’entretien avec le chapitre algérien, puisque c’est là que se nichent bien des traumas de Schneider… et de son créateur.

« Les armes, je suis né avec,
parce que c’était la guerre. »

Yann Lapasset – il prit le pseudonyme ­d’Hugues Pagan en devenant écrivain – est né en 1947 dans une ville alors appelée Orléansville (devenue Chlef après l’Indépendance), à mi-chemin entre Alger et Oran. « L’histoire de ma famille correspond à peu de choses près à l’histoire sociale de la France et de la colonisation : mes ancêtres sont venus en Algérie en 1830, et par la suite des vagues successives sont venues s’établir là, génération après génération. Quand ils sont arrivés, ils étaient tous de gauche. Ceux qui sont repartis étaient passés à l’extrême-droite. Entretemps, ils étaient devenus propriétaires. » Sauf ses parents, si on en croit leur fils aujourd’hui. Après une « brillante carrière militaire », le père était devenu inspecteur des PTT. Sa mère directrice d’école. Tous les deux étaient catholiques pratiquants. Bien qu’il les situe dans la classe moyenne (plus précisément l’upper middle-class), il donne du « Monsieur mon père » et du « Madame ma mère » quand il les évoque et précise qu’« on se voussoyait dans la famille ». Cette touche un peu Grand-Siècle fait tilt : on remarque à cet instant que, depuis qu’on a pris place dans le châssis bas de l’Alfa, l’écrivain ratisse régulièrement du subjonctif et du langage châtié, qu’il mélange avec des calembours ou des termes bien crus.  

Dans les romans signés Pagan, ce mélange participe à sa petite musique et à son style. À l’oral, il constitue une rhétorique rusée, car bien huilée, permettant de ne lâcher clairement que de minces éléments sur ce qu’il entend garder secret. Titillé sur son adolescence, il admet avoir « fait des conneries, parfois à main armée, des conneries comme on en fait à seize ans ». Ce qui explique qu’il effectua une partie de sa scolarité dans un lycée disciplinaire. « Les armes, je suis né avec, parce que c’était la guerre », assène-t-il. Ses mots d’amour pour le sol algérien disent aussi sa détestation des colons, et surtout sa haine des pratiques de l’armée française durant la « vaste opération militaire de maintien de l’ordre qu’on appelait guerre ». Qu’il illustre par un souvenir d’enfant : « À huit ou neuf ans, je vivais dans une école à Charon (situé à vingt kilomètres de sa ville natale, ce village se nomme aujourd’hui Boukadir, ndlr). Il y avait un terrain de foot, où nous étions tout le temps. Un matin, il faisait beau, et j’ai vu arriver deux Halftracks, ces véhicules de transport de troupes de l’armée. Normalement, ils transportaient des militaires ou bien du bois. Ce jour-là, ils transportaient des cadavres de Fellaghas, raflés et mitraillés pour l’exemple. Ils ont déversé le contenu, qu’ils ont laissé là toute la journée, avec interdiction à la population de s’en approcher. » Il est possible que Schneider, ce héros qui ressemble tant à son géniteur, ait de telles images gravées au fond de la rétine.

En juin 1962, la famille quitte l’Algérie. Après un court passage dans le sud de l’Hexagone, elle s’établit à Vesoul. Quand il raconte ce changement de climat, Pagan ne change pas de ton. Chaleureux. Ses premières années dans l’Est le voient obtenir une maîtrise de philosophie (sujet : De l’essence de la vérité, Lecture de Hölderlin par Heidegger), puis devenir prof de lettres et de philo à Gérardmer (Jura). Nous sommes en 1968. À vingt-et-un ans, Pagan vit aussi son premier mariage, « une vraie histoire de jeunesse, mais amoureuse » avec une copine de lycée. Deux ans plus tard naît un enfant. Très peu de temps après, un jour qu’il donne cours, on vient l’interrompre pour lui apprendre le décès de son épouse. Quand il parle du « trou noir » que furent cet instant et les semaines suivantes, ses yeux se figent. Bref silence. Intense. Il retrouve vite le fil : « J’ai arrêté l’enseignement après ce décès. » Et enchaîne sur la partie décisive : son entrée dans la police.  

Après trois années de « boulots lucratifs et divers », il se laisse convaincre de passer le concours du ministère de l’Intérieur. Reçu dans les trente premiers, et après une formation à l’École supérieure des inspecteurs de la police nationale (ESIPN) de Cannes-Écluses, il se fixe dans la police criminelle à Dijon. Pourquoi la police ? « C’était pour le côté Starsky & Hutch, aider la veuve et l’orphelin, courser les voyous. » Peu crédible. Il reprend sans temps mort : « En fait, ce choix répondait à mon goût pour le service public et à l’envie de pouvoir porter légalement une arme. Pour ce qui est des “voyous”, je me suis vite rendu compte qu’ils étaient à la Chambre de commerce et d’industrie. » Du Pagan pur jus.  

Le voilà donc parti pour vingt-quatre ans à « l’Usine » (ainsi appellera-t-il la « maison » dans ses romans noirs). D’abord inspecteur divisionnaire à Dijon (« une époque sensas’ »), il va ensuite être affecté à Belfort, au service des frontières des Renseignements généraux. Puis assistant de l’enseignement à Cannes-Écluses avant d’arriver à la PJ parisienne au commissariat de quartier du 12e arrondissement. Le quotidien : « Affaires courantes, affaires de meurtres. Je suis passé au service de nuit, j’avais monté une putain d’équipe. J’étais ce qu’on appelait un “prince de la nuit”. À l’époque où il y avait des princes dans la police. » 

« J’étais ce qu’on appelait un “prince de la nuit”. »

À cet instant, la fourchette a emporté le dernier morceau de la tendre côte de bœuf. Une lampée de vin blanc vient équilibrer les saveurs et calmer sa rage contre l’administration et la froideur technocratique que presque toutes ses fictions ont furieusement pointées (sur les guerres des polices et autres luttes intestines au sein des services de renseignement, conseillons L’Eau du bocal, son deuxième roman paru en 1983, et L’Étage des morts, paru en 1990 et adapté au cinéma par Gilles Béhat sous le titre Diamant 13). Non que Pagan ait été un sempiternel rebelle à sa hiérarchie, loin de là. Mais il est de ces hommes pour qui ce métier devait rester « un observatoire social », un inlassable labourage du terrain qui, seul, conduit « à distinguer le compromis de la compromission, chez les voyous comme dans les services de police ». « Comment veux-tu faire respecter l’ordre si tu ne réfléchis pas à l’ordre social ? pointe-t-il quand on lui parle des actuelles violences policières. Le problème est que les gars sont en roue libre, aujourd’hui, ils ne sont plus dirigés. Ces violences étaient en germe depuis longtemps. » Il évoque sa carrière policière sans peurs ni tabous (« je dormais deux heures par nuit, je tenais grâce aux amphétamines »), mais on sent que le rythme du débit tangue quand il faut aborder les dernières années. Une nouvelle fois, les yeux se figent. On sent, car on sait cet épisode, que des images tragiques ressurgissent. Celles de la catastrophe du 27 juin 1988. Le train Melun-Paris, qui percuta à 70 km/h un autre train à quai, dans la partie souterraine de la Gare de Lyon. Cinquante-six victimes et autant de blessés. Aujourd’hui encore, la plus grave catastrophe ferroviaire française. De permanence ce jour-là, Pagan fut l’un des officiers de police judiciaire appelés sur les lieux. Son regard, ses tripes, son âme semblent tous avoir plongé très bas quand il évoque ces corps qu’il fallut identifier. Des cadavres qui, en juin 1988 comme en novembre 2021, convoquèrent assurément le souvenir de ceux du terrain de foot de Boukadir. Profondément marqué, l’OPJ décide alors de prendre du recul. Un temps « placardisé », ce qui ne l’empêcha pas « de passer inspecteur divisionnaire, puis divisionnaire-chef », il quitte « l’Usine » en 1997 avec le grade de commandant principal. « J’avais l’aura du flic, réelle, doublée de l’aura de l’écrivain, non moins réelle », dit-il en retrouvant le sourire. Concluant d’une pique : « L’aura n’était pas uniquement sympathique : c’est que les patrons de la police ont toujours peur des gens qui écrivent, car ils connaissent des journalistes ! »

Les cafés sont finis lorsque nous attaquons la dernière étape du séquençage. Il va falloir avaler des kilomètres pour changer de décor. Retour à l’Alfa Roméo. Direction le village de Saint-Maigrin, à une dizaine de bornes (et trente-huit kilomètres d’Angoulême). Plus précisément, le lieu-dit Chez Gonin, auquel on accède en longeant quelques champs de bébés-vignes. Depuis 2001, c’est ici que vit le couple que l’écrivain forme avec Catherine, son épouse (la troisième) depuis plus de trente ans. Ils ont eu ensemble trois enfants, un fils et deux filles qui ont aujourd’hui entre vingt-six et trente-six ans. Les deux filles vivent à Angoulême, et la cadette va devenir maman en 2022. Un nouvel enfant viendra rejoindre les autres petits-enfants, dont la simple évocation fait trembler la voix de ­grand-papa Pagan.

La demeure ouvre sur un jardin, au fond duquel loge une piscine (« c’est pour les enfants, moi je déteste aller dans l’eau »). On y trouve aussi un poulailler, dont les poules ont dû donner bien des œufs et des fous rires, mais il est actuellement occupé par une grande majorité de (sept) coqs. À l’intérieur, plusieurs chats et chattes campent dans l’entrée, et y restent quand nous montons à l’étage. Au bout d’un couloir tapissé de livres, une grande pièce : le bureau. Deux ordinateurs, une guitare, des livres, des photos personnelles, des voitures de collection (des Dinky Toys), deux fusils (dont un à pompe), et un vélo d’intérieur sur lequel il pédale une heure par jour. Premier réflexe de notre hôte : la musique. Nous écouterons plusieurs versions de « St. James Infirmary », morceau standard et étendard du blues. 

Après Pagan d’Algérie, Pagan flic, place à Pagan l’écrivain. Ce dossier-là débute en 1980. Il est alors assistant d’enseignement à l’ESIPN de Cannes-Ecluse. Le déclic ? « Une colère, à cause d’un plafond qui venait de s’écrouler. Et de ma femme de l’époque qui m’emmerdait. Après six mois de travail scène par scène (un découpage minutieux que je fais depuis toujours, je ne commence jamais un roman sans savoir où je vais), j’ai écrit La Mort dans une voiture solitaire en trois mois. » Il fut souvent dit et écrit que Hugues Pagan, comme tous les autres flics passés au roman policier, avait choisi le genre par déformation professionnelle, profitant de ses connaissances du terrain. Si ce fut écrit, sans doute l’avait-il lui-même dit. « Pas du tout ! s’amuse-t-il, c’est par fainéantise ! Quand on écrit, on raconte ce qu’on a sous les yeux. Moi, j’avais des crétins en bleu, j’avais les victimes, les voyous. Pourquoi aller chercher ailleurs ? » À cette époque, il ne jure que par John Dos Passos, John Steinbeck et Louis-Ferdinand Céline. À le croire, ça n’a d’ailleurs pas beaucoup changé. Si ce n’est qu’il a pris le temps de découvrir Raymond Chandler, Dashiell Hammett, Horace McCoy et Jim Thompson, quatre points cardinaux du ­hard-boiled américain. 

« Quel métier faites-vous ? Policier ?
Ça doit être intéressant pour les PV ?! »

Écrivain encore en herbe, Pagan fait relier deux exemplaires de son manuscrit. Revenu en poste à la PJ de la capitale, il se présente chez deux éditeurs : Alex Varoux au Fleuve Noir, et Robert Soulat, qui dirigeait la Série Noire chez Gallimard. Les deux ont la même réaction : « Quel métier faites-vous ? Policier ? Ça doit être intéressant pour les PV ?! » En 1982, le livre est publié au Fleuve Noir. Comme les quatre suivants, jusqu’en 1985. En 1982, La Mort dans une voiture solitaire fut notre première rencontre avec Schneider. On le retrouvera dans Vaines recherches (1984). Puis plus rien jusqu’en 2017. Il revenait alors dans un titre taillé pour lui : Profil perdu. 

Nous avons commencé la journée à taquiner Pagan sur l’erreur originelle, qui le contraignait aujourd’hui aux retours en arrière. Dans cette pièce où a donc été conçu ce comeback, on réattaque : pourquoi cette absence de romans entre 1997 et 2017 ? « Je n’ai pas publié pendant vingt ans, mais au milieu de tous les scénarios et des films que j’ai écrits, il y a au moins deux mille pages de romans », dit-il, un peu gravement. On embraye : pourquoi poursuivre Schneider ? Il se fait nettement plus disert : « Je maîtrise bien l’animal. Mais, sans fausse modestie, je ne sais pas réellement qui est Schneider. Il s’est produit un événement dans sa vie qui a provoqué son état actuel. Mon but est de trouver ce moment. » On insiste, pas dupe de cette tirade. Comment ­Schneider, double fictionnel et frère aîné de son créateur – il serait né dix ans avant Pagan et entré dans la police en 1963 –, lui échapperait-il à ce point ? Il avoue : « Schneider, c’est deux choses : la nostalgie de l’Algérie et la nostalgie d’une femme qui l’a quitté sans qu’il sache pourquoi. Il a quitté ­l’Algérie après avoir vu des exactions dégueulasses. Ces exactions, je les ai vues aussi. » Il faudra encore titiller l’écrivain pour en savoir davantage sur la seconde nostalgie. Il fut ici question d’une première épouse, puis d’une troisième. Quid de la deuxième ? Dans la vraie vie d’Hugues Pagan, elle fut un « mariage passionné », mais aussi celle « qui m’emmerdait », citée plus haut. Dans les livres de Pagan, elle s’incarne dans le personnage de Cherokee.

Après nous avoir ramené non pas à la gare, mais vers la gare d’Angoulême – on a maintenant saisi l’origine du blocage –, Pagan passe saluer sa fille, qui vit en ville. Il y retrouve son épouse, Catherine. Ce jour-là, les deux femmes repeignent les murs de l’appartement. Aucune trace de colère chez l’ancien policier. Les plafonds ne s’écroulent plus. On peut refermer pour l’instant le ­dossier Pagan.  

Le Carré des indigents, de Hugues Pagan 

(Rivages/Noir), 450 p. Préface de Michel Embareck. En librairie le 5 janvier. Tous les livres de Hugues Pagan sont disponibles aux éditions Rivages....

Hugues Pagan, à l’encre noire Quarante ans après la parution de son premier roman, Hugues Pagan revient avec Le Carré des indigents, dans lequel Schneider, son héros originel (et double ?) fait son come-back. Hubert Artus est parti à la rencontre du grand Pagan, ancien flic devenu roi du polar hexagonal, afin de remonter le fil d’une vie pleine de contrastes. Il est loin, il est encore un peu flou, mais il est bien là. Sa silhouette et ses habits noirs s’extraient d’un décor encore anonyme, indécis et brumeux : le parking de la gare d’Angoulême, en début de matinée. La journée sera pluvieuse, une seule main suffira pour évaluer les degrés de la température réelle. La température ressentie, elle, grimpe au moment où la distance nous rapproche de notre homme : Hugues Pagan ôte alors son élégant feutre noir et un seul de ses gants (puisqu’une main suffit aussi pour toper du poing). Il nous a attendu sur le parking car il n’approche plus trop les gares depuis plus de trente ans, et nous en saurons plus sur ce blocage en cours de journée. Le timbre de sa voix achève de réchauffer l’atmosphère : il fait froid mais il a la verve chaude.  Et pourtant, il râle : « J’ai pris le navire amiral pour venir te chercher, mais je l’ai prêté à un de mes enfants hier, et il ne l’a même pas nettoyé ! » Le navire en question est une Alfa Romeo V6 Spider, deux places, trente ans d’âge et 230 chevaux sous le capot,…

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