Les derniers - Sophie Nahum

Sophie Nahum : raconter la Shoah 

Sophie Rosemont

«Vous avez de la chance, ce sont les derniers que vous voyez là », lui a dit Ginette Kolinka. À 96 ans, elle est l’une des rares rescapées françaises d’Auschwitz encore en vie. Sophie Nahum tient alors le titre de son projet, dans lequel elle s’est lancée il y a déjà près de dix ans. Alors réalisatrice de non-fiction pour plusieurs chaînes, elle tourne Young et moi (2015), documentaire incarné où Tomer Sisley part sur les traces du jeune champion de boxe Young Perez, disparu en déportation. Dans le sillage de ce film, elle lance Les Derniers dès 2017. L’objectif : faire témoigner les Juifs français qui ont vécu la Shoah. Elle les filme, les enregistre pour le format podcast, et rassemble ces verbatim dans une série de livres. Le premier est dédié aux survivants des camps, le second aux enfants cachés. Ils racontent leur parcours : le basculement, l’arrestation, l’arrivée au camp ou la vie cachée, la libération, l’après-guerre. Passionnée de documentaire, Nahum mesure sa « chance de rencontrer ces personnes qui ont tant de choses à dire » : « En croisant les témoignages, on constate à quel point les parcours sont à la fois individuels et similaires, dit-elle. Chez les déportés, on retrouve le silence, les cauchemars, la difficulté à faire des enfants… » Pour la réalisatrice, il faut « rentrer dans la grande histoire en passant par la petite, et ainsi retracer un parcours collectif. Pour les plus jeunes, cela permet d’éviter l’écueil des dates et des chiffres… et de rendre accessible un sujet a priori ardu ».

Les derniers - Sophie Nahum« J’avance en marchant », dit-elle. Et il faut avoir les nerfs solides. Outre la gravité du sujet, il y a les financements à trouver. Afin de maîtriser la cohérence éditoriale de ce corpus, Sophie Nahum veut être indépendante avant tout, prendre le temps d’échanger avec ses interlocuteurs, de s’entourer d’un chef opérateur et de monteurs de qualité. Un, deux puis plusieurs mécènes soutiennent Les Derniers. Les trois premières années, elle réussit à tourner une vingtaine d’épisodes. Ces dernières saisons, plus d’une cinquantaine ! Lorsque le premier ouvrage sort, au début de l’année 2020, l’accueil est enthousiaste. Depuis, il y a eu une cinquantaine d’autres épisodes tournés, un long-métrage envisagé… Le prochain livre des Derniers s’attardera, lui, sur le rescapé et dessinateur Shelomo Selinger. « En quelques mois, il y a eu une évolution exponentielle de la réception du projet, qui est amené vers le grand public, commente Sophie Nahum. On me prend plus au sérieux, le regard est différent, l’adhésion plus forte. » Beaucoup de jeunes lui écrivent : « On est sortis du réflexe : c’est le passé et ce sont les Juifs. S’ils honorent leurs disparus, les témoins racontent pour alerter les nouvelles générations afin que cela ne se reproduise plus, pas pour se plaindre. Mon objectif, qui est une gageure, c’est comprendre que ce génocide concerne l’humanité dans son ensemble. La plus grande phrase de Ginette ? “La haine mène à Auschwitz.” » Or, le temps emporte avec lui de plus en plus de rescapés de la Shoah. Il y a une urgence à faire entendre leurs voix, sans larmes, sans pathos. « Mes enfants sont encore petits et quand ils seront en âge de comprendre ce qui s’est passé durant la Seconde Guerre mondiale, les survivants ne seront plus là », regrette Nahum. Sans exception, les témoins ressentent très fort une certaine passivité face aux actes antisémites, notamment dans une France qui compte 4 000 Justes des Nations – ceux qui ont pris des risques pour sauver des Juifs durant la guerre. Depuis l’enfance, Sophie Nahum déteste qu’on se ligue contre les minorités autant qu’elle aime écouter les récits des anciens, dont le sort, dans Les Derniers, a souvent pu dépendre d’une rencontre. « L’impact des actes individuels peut infléchir un destin, affirme-t-elle. C’est important de savoir que l’homme peut être monstrueux, mais qu’existent des héros ordinaires qui ont avancé dans la vie avec courage, dans une société pourtant pas toujours tendre. Plutôt que de se plaindre, d’être aigris ou violents, ils sont allés de l’avant. C’est admirable, et c’est ce qu’il faut dire aux jeunes d’aujourd’hui. » Lorsqu’on lui demande comment garder le cap dans un projet aussi émotionnellement prenant, Sophie Nahum répond simplement, à la fois humble et fière du travail accompli : « À chaque récit, c’est comme si c’était la première fois. Même après avoir interrogé 80 personnes… Ce que je veux transmettre me donne de la force et du courage. Mais on ne s’habitue jamais. » 

  • Les Derniers, rencontres avec les enfants cachés pendant la Seconde Guerre mondiale, de Sophie Nahum, Alisio (2021), 316 p.
  • Les Derniers, rencontres avec les survivants des camps de concentration, de Sophie Nahum, Alisio (2021), 246 p.

Informations sur : lesderniers.org



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