SPLENDEUR ET MISÈRE DE POMPADOUR

Olivier Villepreux

Longtemps considéré comme le haut lieu du sport hippique en France, le village d’Arnac-Pompadour, situé en Corrèze, a aussi accueilli le tout premier Club Med. Mais les chevaux et les vacanciers ont peu à peu déserté la petite commune, laissant des habitants exsangues et nostalgiques, malgré l’enthousiasme des nouveaux arrivants.

Sur la place de Pompadour, entre le château de la marquise – où elle n’a jamais vécu – et l’hippodrome s’ébrouaient jadis des chevaux de race, des attelages et se tenait le foirail. C’est aujourd’hui un parking. Jusqu’en 1990, Arnac-Pompadour a été gâtée par l’histoire. Le premier Club Méditerranée y a vu le jour en 1972 : équitation, golf et tennis attiraient des touristes et fournissaient du travail. Les locaux pouvaient aussi profiter des cocktails, de la boîte de nuit. Il n’en aurait rien été si le Haras national, vitrine de la race anglo-arabe, n’avait signalé Pompadour au centre de la carte de France. Ce havre pour chevaux de sport, de course et de trait, dans un décor de dense verdure, d’allées pavées, de jardins au cordeau, les cartes postales du bar-tabac du centre en donnent encore une pâle idée.

À côté de cela, une poignée de professions libérales entretenait l’idée, autour des courses hippiques, que la croissance ne fléchirait pas. C’était oublier que rien n’appartenait aux villageois. Les Trigano ont lâché prise au profit d’une clientèle avide de pentes neigeuses ou de flots bleus. Bien que soutenu ensuite par un financement régional, le parc hôtelier, très beau, n’a pas été entretenu ; le coût de sa rénovation devenant exorbitant, il a fermé ses portes en 2014 juste avant le rachat de la marque Club Med par des opérateurs basés à Shanghai. Quant au haras, dont l’essor déterminant remonte à Napoléon, et à ses domaines agricoles qui attiraient une clientèle locale, nationale, voire mondiale, le coup de grâce est arrivé sous Nicolas Sarkozy. Le démantèlement de l’institution fut décidé en s’abritant derrière une directive européenne dénonçant la concurrence déloyale qu’exerçait l’État sur le prix des saillies du privé. Puis arriva le temps pour l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE, dont le siège est à Saumur) de vendre le patrimoine devenu obsolète, dont la Jumenterie Nationale de la Rivière et son châtelet, un pur joyau délustré du xve siècle situé à Beyssac tout proche. Aujourd’hui, ne restent que le château et ses splendides écuries au ventre creux ; le Puy Marmont, bâtisse datant de Colbert, où se déroulent des compétitions hippiques ; et enfin le très bel hippodrome de cross-country (situé sur la commune voisine de Saint-Sornin-Lavolps) accueillant des réunions en été. Leur avenir n’est ni dessiné, ni assuré, même s’ils constituent encore pour un tiers de l’année le principal centre d’intérêt des visiteurs. 

Le site du Club Med a été vendu à la hâte à Nazih Najem, un exportateur de marbre libanais qui voulait en faire un hôtel de luxe pour propriétaires de chevaux. Ce projet inauguré par François Hollande, alors président, qui le rêvait en « Camp David français », est en redressement judiciaire. Tarifs, isolement et manque d’animation touristique dans le périmètre immédiat n’ont pas permis d’attirer des clients. La Jumenterie de la Rivière a, elle, été cédée pour le prix d’un studio à Paris à son neveu, Joy Najem, cavalier de jumping dont l’école d’équitation et le commerce de chevaux n’ont pas pris. Pompadour n’a conservé dans ce bouleversement que l’administration de l’IFCE s’occupant de l’enregistrement des livrets des chevaux sur le territoire.

Maxime Dupuy, dit « Max », a vécu dans le châtelet de la Jumenterie Nationale de la Rivière. Une fenêtre étroite ouvrait sur de vastes prés coiffés d’une épaisse chevelure de feuillus. Ces hectares, tout en pentes abruptes et traîtresses pour les chevilles, accueillaient au printemps les poulains nerveux en équilibre sur leurs jambes maigres qui suivaient leur mère. Quatre allumettes dont on ne pouvait qu’appréhender la fracture sèche et soudaine. Or ces vallons fortifiaient leurs muscles et leurs articulations. Max a été « mécanicien de parapluie ». Il réparait des baleines. Il intégra ensuite les Haras nationaux, comme beaucoup d’hommes de Pompadour. Emploi stable au grand air. Infatigable marcheur, il s’y est bousillé les genoux à force de crapahuter dans les champs, une longe à la main, ou en réparant les piquets. Mais il fut aussi un des fondateurs de la radio locale (Pompadour Air Campagne) avec notamment le journaliste Bruno Fuchs (aujourd’hui député MoDem du Haut-Rhin). Max a aussi été cibiste et a fait le tour du monde à dos d’ondes. Il recevait des cartes postales d’inconnus, voix étrangères crachotant de tous les recoins de la planète, jusque derrière le rideau de fer. Fan de country music et, toujours, de Johnny Cash. Souvenirs qu’il a rangés sous sa gapette Stetson. Aujourd’hui, il est le chroniqueur photographique « indépendant » sur les réseaux sociaux d’un village qui cherche un second souffle depuis que les poulains sont en peau de lapin. Les jours sans, Max arpente donc désormais le marché du village, le samedi. Ne rate aucune commémoration officielle, défilé des pompiers et promotion des commerces, à la peine face à la concurrence des supermarchés et du commerce en ligne. En solitaire, il promène sa moustache et son insatiable besoin d’accumuler des tombereaux de JPEG à la recherche d’un frémissement, furetant dans le moindre angle les signes d’une nouvelle dynamique qui tarde à se manifester, freinée par la ComCom dont les élus ne veulent pas perdre leur écharpe par une fusion des communes…

La vieillesse occupe tous les rouages
de la politique locale.

Max regarde en l’air. Il photographie des couchers de soleil, la pleine lune, remet les saisons en ordre, scrute l’arrivée du prochain train après que la ligne a été supprimée à la suite de l’effondrement d’un pont à l’été 2018. L’herbe folle repousse sur le ballast. Il préfère donner l’illusion d’une suite heureuse au temps qui cale et aux boutiques fermées. Dernière chance, une usine spécialisée dans les raccordements électriques présente dans le monde entier, Sicame, maintient son siège et un site de production qui offre davantage d’emplois que Pompadour compte d’habitants. Mais ses salariés ne s’installent pas. Les soirées sont longues, particulièrement entre fin septembre et début avril. La jeunesse fuit parce qu’elle s’ennuie, parce que la vieillesse occupe tous les rouages de la politique locale, les maisons ou résidences de retraités font le plein. La vie sociale se cogne à la buvette du stade de rugby, dont l’équipe doit recruter des joueurs pour disputer un championnat de clochers, aux portes du château qu’une association proche de la mairie tente de louer pour des événements privés trop exceptionnels. Ce qui prive les habitants d’inventer d’autres manières plus spontanées et contemporaines de le faire vivre.

Par la route, les automobilistes qui chercheraient à apercevoir des chevaux remarqueront surtout les voiles blancs sur les têtes des pommiers, censés protéger les fruits des piqûres des grêlons. Ces traînes virginales, qui tranchent sur le vert vif des campagnes accidentées à la porte du ­Périgord vert, masquent que l’agriculture est dépendante des pesticides et des aléas d’un climat qui contredisent les vieux dictons paysans. Ce printemps dernier, le froid a saisi les arbres et, dans l’urgence, les pneus qui sont déposés dans les allées des vergers ont été brûlés au clair de lune pour réchauffer les arbres saisis par le gel, quand ce ne sont pas des hélicoptères qui, de nuit, voletaient bruyamment au-dessus des vergers.

De nouveaux arrivants, en grande majorité des citadins britanniques, des Néerlandais, ou autres « Parisiens », n’ont pas les souvenirs de Max. Musique, soirées privées, potagers bio, artisanat, rénovations de solides fermettes abandonnées. Cette vie parallèle ne fait qu’effleurer celle des habitants de plus longue date. Le mur invisible d’une incompréhension culturelle réciproque sépare la population, le crépi contre la pierre. Dans son coin, le maire de Pompadour, Alain Tisseuil (UDI), réélu sans opposition en 2021, avance une solution d’avenir : la création d’un casino avec des bandits manchots. Il négocierait une dérogation spéciale du ministère de l’Intérieur, puisque Pompadour n’est pas une ville d’eau.

Max préfère photographier les oiseaux. Il intègre parfois des faucons dans ses images, accompagnant des cavaliers au galop, comme pour signaler une incongruité....

Longtemps considéré comme le haut lieu du sport hippique en France, le village d’Arnac-Pompadour, situé en Corrèze, a aussi accueilli le tout premier Club Med. Mais les chevaux et les vacanciers ont peu à peu déserté la petite commune, laissant des habitants exsangues et nostalgiques, malgré l’enthousiasme des nouveaux arrivants. Sur la place de Pompadour, entre le château de la marquise – où elle n’a jamais vécu – et l’hippodrome s’ébrouaient jadis des chevaux de race, des attelages et se tenait le foirail. C’est aujourd’hui un parking. Jusqu’en 1990, Arnac-Pompadour a été gâtée par l’histoire. Le premier Club Méditerranée y a vu le jour en 1972 : équitation, golf et tennis attiraient des touristes et fournissaient du travail. Les locaux pouvaient aussi profiter des cocktails, de la boîte de nuit. Il n’en aurait rien été si le Haras national, vitrine de la race anglo-arabe, n’avait signalé Pompadour au centre de la carte de France. Ce havre pour chevaux de sport, de course et de trait, dans un décor de dense verdure, d’allées pavées, de jardins au cordeau, les cartes postales du bar-tabac du centre en donnent encore une pâle idée. À côté de cela, une poignée de professions libérales entretenait l’idée, autour des courses hippiques, que la croissance ne fléchirait pas. C’était oublier que rien n’appartenait aux villageois. Les Trigano ont lâché prise au profit d’une clientèle avide de pentes neigeuses ou de flots bleus. Bien que soutenu ensuite par un financement régional, le parc hôtelier, très beau, n’a pas été entretenu ; le…

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