Occupation oubliée ©Charles Monnier
Occupation oubliée ©Charles Monnier

14-18, l’occupation oubliée

Arnaud Ramsay

TROU DE MÉMOIRE

Occupation, déportations, camps de concentration : pendant la Première Guerre mondiale, dix départements français ont vécu dans des conditions épouvantables, plus souvent associées à la guerre de 1939-45. Élie Fleury, alors directeur du Journal de Saint-Quentin, a vécu et chroniqué les « 18 jours d'esclavage, de vie absurde, d'étouffement sous la botte allemande. »

Contrôleur, ouvrier, porteur d’avis, receveur, expéditionnaire ou homme d’équipe : dix-sept agents de la Compagnie du chemin de fer du Nord ont donné leur vie pour la France durant la Grande Guerre. Leurs noms figurent sur une plaque de bronze suspendue en gare de Saint-Quentin. La cité de l’Aisne a été détruite à près de 80 % à l’issue du conflit, qui n’a laissé aucune maison habitable en l’état. À la différence de la plupart de ses édifices, comme la basilique gothique, perchée à 123 mètres, dont les tirs d’artillerie ont ravagé la charpente, les toitures et une large partie des voûtes, la gare, d’abord plateforme logistique pour l’armée anglaise en partance pour le front, a résisté aux bombardements. Mais pas à l’incendie de 1922. Elle a été reconstruite presque à l’identique. Le Buffet attenant, classé grâce aux créations du maître-verrier et mosaïste Auguste Labouret ou au comptoir en béton armé drapé de grès cérame, d’opaline et d’émaux de Venise, a été bâti dans le style émergent de l’entre-deux-guerres : l’Art déco. Depuis le Buffet de la gare, avant de franchir le pont en béton qui enjambe le canal et mène au centre-ville, se dresse face à l’étang d’Isle un imposant monument aux morts, formé de dix colonnes. Ce mur de granit de 31 mètres de long, œuvre de l’architecte Paul Bigot, grand prix de Rome, a été inauguré en 1927 en présence du général Debeney, chef d’état-major général des Armées et libérateur de la ville le 1er octobre 1918, sans combat de rue. L’identité des disparus y est inscrite. La ville picarde s’est relevée de ses ruines morales et physiques et assume son passé. Il affleure d’ailleurs partout comme une revendication. Au lycée Henri Martin, quartier général britannique les 25 et 26 août 1914 – et où le Maréchal Joffre a participé à une réunion –, avant de servir de centre médical, on distingue un monument contre un mur et une plaque apposée sur la façade. Cette mémoire s’incarne aussi dans les nombreux cimetières britanniques ou dans celui réservé aux Allemands. Sur la place piétonne de l’Hôtel-de-Ville, en revanche, il est difficile d’imaginer que le théâtre à l’italienne, baptisé depuis Jean-Vilar, a accueilli la rencontre entre le maire et l’ennemi afin de définir les conditions de l’occupation, tandis que le bâtiment voisin, le Crédit Lyonnais, devenait le siège de la Kommandantur. 

Élie Fleury a soixante ans depuis quatre jours quand, le 28 août 1914, moins d’un mois après la déclaration de guerre, six mille soldats allemands passés par la Belgique pénètrent dans la ville et mitraillent à tout-va afin de dissuader la moindre résistance civile. Saint-Quentin, 55 000 habitants, ville prospère grâce au textile et à la production métallurgique, bascule à l’heure allemande. Une de plus que la française. D’abord directeur de sucrerie, Élie Fleury dirige le Journal de Saint-Quentin, dont il a fait un quotidien tiré à trois mille exemplaires et à onze mille le samedi. Une affaire de famille : son fils André est secrétaire de la rédaction, l’autre, Jean, typographe, gère l’imprimerie. Les parents et les enfants habitent chacun un étage, au 2 place Saint--Quentin, au-dessus de l’entreprise. Le journal cesse de paraître lorsque la guerre éclate et que le papier est réquisitionné. Les fils Fleury sont mobilisés. Graphomane et fin observateur, Elie reste en ville pour faire son métier : « Aussitôt que l’on peut sortir, je fais du reportage, exactement comme en temps de paix, pour m’entretenir la main, mais sans sortir papier ni crayon, car alors, mon compte serait bon ! » Il accumule les notes durant ces longs mois d’oppression, ces « 1018 jours d’esclavage, de vie absurde, d’étouffement sous la botte allemande ». Sa production féconde, publiée en livrets puis dans un ouvrage en deux tomes parus en 1928, fait de Sous la Botte un témoignage éclairant et précieux. Ornementé de croquis de Paul Séret, c’est le récit d’une occupation effroyable, qui se poursuit jusqu’à février 1917, où les Saint-Quentinois sont évacués de leur ville. L’exode, en réalité, débute dès les premiers jours. 

« S’il n’y avait que les Français en cause, nous finirions par nous entendre,
mais avec les Anglais, ce sera plus long, je le crains. »

« La mairie a délivré six mille laissez-passer, consigne Elie Fleury dans ces 340 pages à l’écriture dense. Il nous paraît sage d‘envoyer chez leur grand-mère, en Provence, notre fille et sa fille. Celle-ci arrive le même jour d’Angleterre où elle a passé les vacances. À Boulogne, les officiers anglais voulaient la retenir avec la religieuse qui l’accompagnait. Saint-Quentin, trop dangereux ! La nonne était épavaudée, suivant l’expression picarde, mais cette enfant de onze ans fit tant de pieds, des mains et de la langue qu‘il fallut bien la laisser partir. Et pour partir encore aussitôt arrivée. 
– Mais, grand-père, qui vous défendra contre les Allemands si je m’en vais ? dit-elle.

Occupation oubliée ©Charles Monnier

Et, parcourant la maison, elle prononça ces mots prophétiques : Adieu tout ce que j’aime et que je ne reverrai jamais ! Nous les faisons monter, sa mère et elle, avec les sentiments qu’on devine, dans un fragment de train qui semblait oublié sur une voie, mais qu’une locomotive accroche heureusement et en route ! »

Le maire Arthur Gibert, remplaçant au débotté du docteur Muller, qui a quitté brusquement la ville de peur d’être fusillé en raison de ses origines alsaciennes, négocie auprès des autorités allemandes la réouverture des écoles primaires. Les garçons iront en classe le matin, les filles l’après-midi. Si 7 500 hommes ont rejoint leur régiment pour partir sur le front, beaucoup de ceux assignés à résidence sévissent dans les ateliers militaires installés dans les usines métallurgiques ou dans les champs. Ces civils n’ont pas le choix. La municipalité a l’ordre de verser des soldes aux soldats allemands, jusqu’à huit francs pour les officiers. Les rues changent de nom, les cafés sont transformés en cantines et tavernes allemandes. Adaptation contrainte aussi pour l’épicerie Félix-Potin. Les rebelles ? Exécutés, ce qui n’empêche pas certains habitants de continuer à cacher des soldats anglais.

Le Kaiser Guillaume II se rend une douzaine de fois à Saint-Quentin. Élie Fleury se souvient de la première visite du roi de Prusse et empereur d’Allemagne, « par une matinée radieuse, le dimanche 4 octobre, où une douceur de printemps atténuait la sévère mélancolie de l’automne ». Bras gauche inerte, cheveux blancs et moustache châtain, l’empereur réquisitionne, dans le quartier des Champs-Élysées, la très belle demeure d’amis à lui « prestement expulsés le matin ». Deux jeunes dames du voisinage furent requises « pour faire un lit » dans lequel Guillaume II ne coucha d’ailleurs pas car il lui fallait son « plumeau » à l’allemande. Le Kaiser est accompagné du prince héritier de Bavière et déjeune avec son cortège chez le général Karl von Bülow, le coriace commandant de la IIe armée, installé rue de Lorraine jusqu’à son retrait des opérations militaires après une attaque cardiaque. Élie Fleury retranscrit le dialogue entamé boulevard Gambetta entre l’industriel Charles Basquin, dans son propre salon, et l’empereur, qui parle le français sans accent.

– Je n’ai jamais voulu la guerre, moi, j’ai fait tout pour l’éviter. J’ai retardé la mobilisation de quatre jours et donné des ordres formels à tous mes chefs d’armée afin de ne pas laisser mettre un pied sur le sol français : le lendemain, je recevais dépêche sur dépêche m’annonçant que les Français entraient en Allemagne. Alors, j’ai marché, mais je vous répète que jamais je n’ai désiré la guerre.

M. Basquin : 
– On a, en effet, dit longtemps en France que l’empereur d’Allemagne était un souverain pacifique.
Guillaume II (le prenant par son habit) :
– Très bien ! Voilà la vérité, répétez-la. J’aime la France, j’aime les Français. C’est un peuple intelligent et brave, mais bien mal gouverné.
– Sire, croyez-vous que cette malheureuse guerre durera longtemps ?
– Je ne crois pas. S’il n’y avait que les Français en cause, nous finirions par nous entendre, mais avec les Anglais, ce sera plus long, je le crains. »
Rien n’échappe au regard acéré d’Elie Fleury. Ainsi du passage à la nouvelle année, le 31 décembre 1914 : « À 11 heures (minuit allemand), vociférations, chansons, coups de feu à volonté : les Allemands fusillent l‘année qui file. Cela dure une heure et plus. Des Saint-Quentinois s’en émeuvent : les uns sortent de chez eux sans craindre l’amende, pour voir ce dont il retourne, les autres, au contraire, descendent à la cave… Un garçon boulanger fait un joli mot. Il rentre, au moment le plus bruyant, sa permission du soir en main, dans la maison où il loge et la trouve toute en désarroi : 
– N’ayez pas peur, dit-il, ce ne sont pas les Français. »
L’année 1915 démarre dans le sang. À la caserne, les Allemands fusillent, sans jugement, trois Saint-Quentinois. Dont M. Ancelet, 62 ans, ancien voyageur de la maison de draps Ségais et vivant de ses rentes. « Il paraît qu’il possédait un ou deux fusils Dreyse ramassés, après le 19 janvier 1871, sur le champ de bataille de Saint-Quentin. Au cours d’une perquisition, ces armes auraient été trouvées roulées dans une couverture, sous son lit, précise Élie Fleury. Il fut enlevé de chez lui brutalement, en pantoufles, sans pouvoir dire adieu ni donner une explication à sa sœur qu’il rencontra. » En mai, sur la façade de l’hôtel de ville, c’est le drapeau allemand qui flotte. La terreur règne. « Félix Popelard, armurier et coutelier à Saint-Quentin, a été fusillé d’après la loi martiale le 27 septembre 1915 pour avoir agi contrairement à l’ordonnance de Monsieur l’inspecteur d’étape du 24 mai 1915, ayant caché des armes et des munitions », indique un avis du commandant Von Bernstorff.

Les habitants ont besoin d’un laissez-passer pour se rendre dans les villages alentour. Le régime militaire se durcit. Un couvre-feu est instauré, l’information censurée. Les difficultés de ravitaillement s’accumulent, les denrées sont notamment achetées en Belgique et aux Pays-Bas, sous le contrôle de l’administration allemande. Les habitants sont prisonniers de leur propre ville et considérés, pour développer parfois une forme de complaisance, comme des « Boches du Nord »… Ville de garnison oblige, on n’en oublie pas moins les plaisirs : la prostitution ne se cache pas, certaines professionnelles venant d’Allemagne. Les filles sont examinées chaque semaine, pour éviter les maladies sexuellement transmissibles, dans une école maternelle qui existe toujours.

La riposte ne faiblit pas. L’aviation alliée vise les dépôts militaires allemands aux abords de la gare. Il y a parfois jusqu’à deux cents blessés allemands par jour. En attendant leur transfert vers des hôpitaux militaires, la basilique, pas encore squelette de pierre, se transforme en centre de transit, avec des lits et de la paille dans les bas--côtés. Élie Fleury garde sa part d’humanité. « Ce qui est le plus affreux, c’est l’expression abrutie de toutes les figures dont la fièvre agrandit les yeux, des yeux où se logent l’hébétude et l’épouvante. Qui n’aurait pitié ? », se demande-t-il. 

À partir de juillet 1916, la bataille de la Somme laisse augurer une libération prochaine. Mais les combats meurtriers de l’offensive franco-britannique ne font rien à l’affaire. Élie Fleury ne peut que le constater : « Le 29 août, après un orage et sous la pluie qui tombe à seaux, une canonnade comme on n’en a jamais entendu retentit à l’ouest. On dirait d’une manivelle manœuvrée à une vitesse folle qui déclencherait des mailloches sur la peau tendue d’une grosse caisse, et toute la nuit ce sera cette volée de sons martelés en quatrième vitesse, écrit-il. Et il faut se résigner à un troisième hiver d’occupation avec un petit frisson. »

Le repli progressif des forces allemandes sur la ligne Hindenburg passe par Saint-Quentin, plongée de facto au cœur de la zone de combat. L’armée réclame, le 28 février 1917, par un avis placardé, l’évacuation de la population à partir du lendemain, « dans le calme et la dignité », seul moyen « d’éviter des mesures rigoureuses ». Les 42 300 habitants restants embarquent dans l’un des trois trains quotidiens, en direction du Nord, des Ardennes et de la Belgique, en zone libre. Élie Fleury s’éclipse vers le Cateau-Cambrésis le 4 mars, avec sa femme, après avoir pris soin de murer un caveau où est renfermée la collection centenaire du Journal de Saint-Quentin. « Nous faisons nos préparatifs car nous croyons aller crever de misère en quelque camp de concentration et, à huit heures et demie, la messe entendue, quelques amis embrassés, portant à bout de bras et sur le dos, dans un sac alpin, notre fortune mobilière et immobilière, les menus souvenirs de plusieurs générations et quelques victuailles, nous franchissons notre seuil sans nous retourner, ni fermer la porte… » Il fait beau, enfin. « Nos malheureux concitoyens, eux, pataugèrent dans la boue glacée, sous le vent aigre et la neige, ajoute-t-il. Plusieurs en sont morts, dont mes deux plus chères relations saint-quentinoises, MM. Jules Desjardins et Emmanuel Lemaire. »

« Regardez bien votre ville de Saint-Quentin et dites-lui adieu parce que vous ne la reverrez plus jamais ! »

Le maire, qui a obtenu que les familles ne soient pas séparées, part en dernier, le 18 mars, direction Maubeuge. Le téméraire Arthur Gibert fait parvenir une note à Élie Fleury, dans laquelle il relate : « Quant aux soldats, il est juste de reconnaître qu’en général, ils aidèrent les femmes, les enfants, les vieillards et les malades à s’installer dans les trains. Beaucoup d’entre eux paraissaient honteux de collaborer à cette besogne abominable. Le ravitaillement hispano-néerlandais, si bien organisé dans notre ville par nos amis américains, nous permit d’assurer l’alimentation des évacués pour le jour du départ et ceux qui suivraient. (…) Un jour, pendant que j’assistais à la gare à l’embarquement de la population civile, le comte de Bernstorff s’approcha de moi avec un colonel qu’il me présenta, mais dont le nom m’échappe. Celui-ci me dit : 
– Monsieur le maire, regardez bien votre ville de Saint-Quentin et dites-lui adieu parce que vous ne la reverrez plus jamais : elle sera détruite, ainsi que toute la région, votre gouvernement n’ayant pas voulu accepter la paix proposée par notre empereur, en décembre 1916. Il faut que les alliés sachent ce que deviendra le reste du pays envahi et au besoin la Belgique du fait de votre entêtement sans bornes. Je restai impassible et muet. »
Entre mars 1917 et novembre 1918, « Saint-
Quentin avait perdu tous ses enfants et notre vieille cité n’abritait plus que des barbares… », s’insurge Élie Fleury. Le propriétaire du journal a aussi retranscrit (et publié en 1924, quatre ans avant d’être nommé chevalier de la Légion d’honneur) les 64 séances du conseil municipal pendant l’occupation allemande. Pour cette somme, il a considéré « comme un honneur de pouvoir se faire, non pas l’historien – le mot serait ambitieux –, mais le chroniqueur du long et méritoire effort des deux seuls organismes purement français qu’ait tolérés l’envahisseur : le conseil municipal et la commission de contrôle ». Un témoignage là encore précieux du quotidien des Saint-Quentinois et de leurs souffrances. Lui-même échappe de peu au pire. Pour avoir pris des notes, il est condamné à mort pour espionnage. L’ordre de l’arrêter arrive heureusement après le passage de la frontière allemande, quand il sera rapatrié. Après l’armistice, il est chargé de préparer le retour des pastels du peintre Maurice-Quentin de La Tour, figure de Saint-Quentin dont la statue colorée trône sur la place de l’Hôtel-de-Ville depuis 2009.

C’est en octobre 1918 que le 15e corps d’armée français libère Saint-Quentin. Le retour de la population sera lent : 253 habitants au 1er janvier 1919, dix mille en juillet, quinze mille en novembre. Des prisonniers de guerre participent au déblaiement des ruines. Peu à peu, l’industrie relève la tête. Les cités provisoires pullulent. Voici venu le temps de la reconstruction. L’Art déco fait fureur et plus de trois mille immeubles sont construits dans ce style architectural, patrimoine que l’on identifie encore aujourd’hui en de nombreux endroits du centre-ville. À tel point que, dans les Années folles, Saint-Quentin se révèle comme un haut-lieu du divertissement, accueillant par exemple Joséphine Baker sur scène en 1934. 

« Les cartes où l’Alsace-Lorraine figurait sous une teinte différente de celle du reste de l’Empire
devaient être enlevées des salles de classe. »

Moins connue que Xavier Bertrand, maire entre 2010 et 2016 et président de la communauté d’agglomération jusqu’en 2020, Maryse Trannois, ancienne professeure des écoles, n’en est pas moins une figure locale. Comme Élie Fleury en 1908 puis son fils André en 1949, elle a présidé la Société académique de Saint-Quentin, créée en 1825, dont elle reste vice-présidente et trésorière. Elle a notamment coordonné une exposition sur les enfants pendant la Grande Guerre, s’appuyant sur des monographies d’instituteurs revenant sur cette période pour mieux entretenir les souvenirs auprès des écoliers. On peut par exemple lire ceci, du directeur de l’école Paringault : « Nous avons vu de nos propres yeux des soldats pénétrer dans une épicerie-mercerie voisine de l’école, s’emparer de linge de toilettes, de chocolat, de bonbons, de desserts pendant que l’un d’eux, révolver au poing, tenait le commerçant en respect. Dans tous les quartiers, les portes des maisons abandonnées furent défoncées à coups de crosses de fusil et les habitations dépouillées des objets les plus précieux. La ville connut les contraintes, les vexations, les humiliations qui caractérisent la méthode de guerre allemande. » Ou encore : « La Kommandantur s’immisça peu dans les services d’enseignement. Les maîtres reçurent l’ordre de ne pas enseigner l’histoire et la géographie, ils furent invités à ne pas commenter les événements militaires, à se garder de toute réflexion désobligeante sur l’Allemagne, sa politique, ses gouvernants, son armée. Les cartes où l’Alsace-Lorraine figurait sous une teinte différente de celle du reste de l’Empire devaient être enlevées de nos salles de classe. »

Dans le cadre des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, la ville a largement rappelé ce passé tragique : rétrospective et exposition en 2014, publication de Saint-Quentin 1914-1918, une ville occupée, bel objet richement illustré signé Frédéric Pillet, historien de l’art et des sciences et techniques chargé d’études documentaires pour Saint-Quentin, et Victorien Georges, directeur du patrimoine de la ville. Ils insistent sur le devoir de transmission aux jeunes générations de « cet épisode de l’histoire qui fonde une partie de notre identité ». Un héritage comme un acte civique et de mémoire d’autant plus essentiel qu’il intervenait au moment où venait d’être volée la sculpture en bronze d’Haïm Kern sur le plateau de Californie à Craonne, hommage aux soldats tombés au Chemin des Dames, dans l’Aisne, en 1914-1918. L’œuvre avait été découpée par des ferrailleurs voulant faire main basse sur 1,6 tonne de bronze. Recréée en 2017, elle est depuis installée devant le musée de la Caverne du Dragon. Son nom : Ils n’ont pas choisi leur sépulture....

TROU DE MÉMOIRE Occupation, déportations, camps de concentration : pendant la Première Guerre mondiale, dix départements français ont vécu dans des conditions épouvantables, plus souvent associées à la guerre de 1939-45. Élie Fleury, alors directeur du Journal de Saint-Quentin, a vécu et chroniqué les « 18 jours d'esclavage, de vie absurde, d'étouffement sous la botte allemande. » Contrôleur, ouvrier, porteur d’avis, receveur, expéditionnaire ou homme d’équipe : dix-sept agents de la Compagnie du chemin de fer du Nord ont donné leur vie pour la France durant la Grande Guerre. Leurs noms figurent sur une plaque de bronze suspendue en gare de Saint-Quentin. La cité de l’Aisne a été détruite à près de 80 % à l’issue du conflit, qui n’a laissé aucune maison habitable en l’état. À la différence de la plupart de ses édifices, comme la basilique gothique, perchée à 123 mètres, dont les tirs d’artillerie ont ravagé la charpente, les toitures et une large partie des voûtes, la gare, d’abord plateforme logistique pour l’armée anglaise en partance pour le front, a résisté aux bombardements. Mais pas à l’incendie de 1922. Elle a été reconstruite presque à l’identique. Le Buffet attenant, classé grâce aux créations du maître-verrier et mosaïste Auguste Labouret ou au comptoir en béton armé drapé de grès cérame, d’opaline et d’émaux de Venise, a été bâti dans le style émergent de l’entre-deux-guerres : l’Art déco. Depuis le Buffet de la gare, avant de franchir le pont en béton qui enjambe le canal et mène au centre-ville, se dresse face à l’étang d’Isle un imposant monument aux morts, formé…

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