Big data : nouvelles règles pour un nouveau monde

Nathalie Sonnac

Omniprésentes dans l’économie numérique, les données constituent une matière première, comme le pétrole a pu l’être au siècle dernier, elles forment un actif stratégique. Leur valeur réside à la fois dans l’usage qui peut en être fait, mais également dans les traitements et croisements avec d’autres données ou encore dans leur circulation. Nos multiples consommations en ligne, pour échanger, travailler, interagir laissent des milliers et des milliers de traces qui sont un moyen pour les entreprises qui les collectent, les trient et les assemblent, de nous fournir de nouveaux services et surtout de mieux nous connaître. La nouvelle mise en données du monde n’épargne pas l’univers des médias. Nos pratiques d’information, culturelles et de divertissement se font de plus en plus en ligne, où les médias traditionnels doivent faire face à des plateformes numériques qui ont envahi la sphère de l’entertainment, recourant à une collecte massive de données qui leur a permis d’acquérir un pouvoir de marché considérable. 

Dans cet univers, l’accès direct aux données, générales ou personnelles des utilisateurs, est donc, pour celui qui les possède ou les contrôle, une source de profit assuré. Le monde des industries culturelles et créatives n’échappe pas à ce mantra. Historiquement, la donnée utile pour la publicité télévisuelle était la donnée d’audience agrégée, fournie par Médiamétrie, permettant de valoriser les espaces publicitaires en fonction du volume et de la composition de l’audience (sexe, âge, catégories socio-professionnelles). Mais l’éditeur de chaînes a dû adapter son modèle d’affaires au marché complexe et technique de la publicité en ligne, qui permet d’offrir un ciblage efficace aux annonceurs. Un marché estimé à près de six milliards d’euros en 2021, qui dépasse d’une fois et demi, depuis quelques années, celui de la publicité télévisée. Un marché en ligne largement dominé par Facebook et Google, qui captent l’essentiel de la croissance. 

À côté de la perspective publicitaire, dans cet océan de contenus en ligne, les producteurs recourent également aux algorithmes de recommandation, à l’intelligence artificielle et aux nouvelles formes de collectes de données pour fabriquer leurs programmes. Ils peuvent ainsi les adapter aux préférences des téléspectateurs et les mesurer en temps réel. Compte tenu des sommes folles engagées, posséder une connaissance fine de son public est une sorte de « garantie » pour minimiser les risques de l’échec commercial. 

Toutes ces nouvelles entreprises technologiques émergentes, spécialisées dans la mise en place de mécanismes de collecte et de traitement de données qui sous-tendent la recommandation algorithmique, garantissent-elles des processus transparents et loyaux ? Exposent-elles la finalité de l’utilisation des données ? Comment être certain qu’il n’y ait pas détournement de leur usage ? En septembre 2018, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) publiait une note stratégique sur le besoin de créer un cadre de régulation pour l’économie de la donnée dans le secteur. Le premier objectif de ce dispositif est d’assurer des conditions d’accès équitables et loyales aux données de consommation des programmes. Celles-ci incluraient les données de localisation des utilisateurs et celles des audiences des programmes afin que la richesse produite par leur utilisation soit partagée équitablement entre éditeurs et distributeurs. 

Le deuxième objectif porte sur le partage des données. Même si les fournisseurs d’accès à Internet sont déjà soumis à des règles strictes lorsqu’ils souhaitent procéder à la collecte, au traitement, voire à la transmission à des tiers de données liées à la consommation des programmes, ils constituent un canal central de diffusion (gatekeeper). Et ce sont eux qui disposent majoritairement de la donnée permettant d’exploiter le potentiel du ciblage publicitaire à la télévision. Enfin, le dernier objectif de cette note vise la question du partage de la valeur de la donnée. Les éditeurs de chaînes estiment que les données de consommation des contenus ne font qu’emprunter les réseaux pour accéder aux téléspectateurs, mais comme ce sont eux qui sont à l’origine de leur production, elles leur appartiendraient donc ; côté fournisseurs d’accès, ceux-ci estiment que ces données de consommation sont « co-générées ». Sans leur distribution, il ne peut y avoir une consommation massive des programmes édités par les chaînes.
Nathalie Sonnac
professeure à l’Institut français de presse de l’université Paris II Panthéon-Assas, présidente du comité d’éthique pour les données d’éducation, a été membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (2015-2021).
Cette note est toujours d’actualité. L’accès aux données, leur traitement, l’usage et le partage de valeur qui en résultent ne sont ni traités, ni même abordés dans la nouvelle loi relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, promulguée le 25 octobre 2021. Elles sont pourtant au cœur des enjeux de la nouvelle économie de l’audiovisuel et de sa régulation. C’est aujourd’hui une question de souveraineté culturelle et numérique que nous ne voulons pas aborder. À se demander si les termes « contenus » et « industries » ne demeurent pas encore tabous ?  

1. The Wall Street Journal du 15 juillet 2020....

Omniprésentes dans l’économie numérique, les données constituent une matière première, comme le pétrole a pu l’être au siècle dernier, elles forment un actif stratégique. Leur valeur réside à la fois dans l’usage qui peut en être fait, mais également dans les traitements et croisements avec d’autres données ou encore dans leur circulation. Nos multiples consommations en ligne, pour échanger, travailler, interagir laissent des milliers et des milliers de traces qui sont un moyen pour les entreprises qui les collectent, les trient et les assemblent, de nous fournir de nouveaux services et surtout de mieux nous connaître. La nouvelle mise en données du monde n’épargne pas l’univers des médias. Nos pratiques d’information, culturelles et de divertissement se font de plus en plus en ligne, où les médias traditionnels doivent faire face à des plateformes numériques qui ont envahi la sphère de l’entertainment, recourant à une collecte massive de données qui leur a permis d’acquérir un pouvoir de marché considérable.  Dans cet univers, l’accès direct aux données, générales ou personnelles des utilisateurs, est donc, pour celui qui les possède ou les contrôle, une source de profit assuré. Le monde des industries culturelles et créatives n’échappe pas à ce mantra. Historiquement, la donnée utile pour la publicité télévisuelle était la donnée d’audience agrégée, fournie par Médiamétrie, permettant de valoriser les espaces publicitaires en fonction du volume et de la composition de l’audience (sexe, âge, catégories socio-professionnelles). Mais l’éditeur de chaînes a dû adapter son modèle d’affaires au marché complexe et technique de la publicité…

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