LES SENTINELLES ©Benjamin Beni

Croire à la paix en temps de guerre

Pierre Sérisier

Le hasard fait bien les choses. Les Sentinelles, série écrite par Thibault Valetoux et Frédéric Krivine, arrive au printemps alors que la France a décidé de mettre un terme à neuf ans de présence militaire au Mali pour combattre les groupes islamistes. C’est l’occasion de s’interroger sur les enjeux géostratégiques dans cette partie de l’Afrique et sur l’héritage colonial français. « En écrivant le scénario, nous avons compris que le Mali était l’Afghanistan de la France, explique Thibault Valetoux. Nous suivions l’évolution du conflit afin que la série ne soit pas datée au moment de sa sortie. » Pour rendre compte d’une situation mouvante, les deux auteurs ont ancré le récit dans un village où pouvait se déployer une intrigue attractive et se poser les enjeux d’une intervention dans un pays où l’État ne remplit plus ses missions traditionnelles.

Les Sentinelles s’inspire du téléfilm britannique Warriors de Peter Kosminsky, qui relatait en 1999 la vie de casques bleus en Bosnie avec cette question : comment être un soldat de la paix en temps de guerre ? L’aveu d’impuissance contenu dans cette interrogation traverse les sept épisodes de la nouvelle fiction d’Orange. « Lors d’un déjeuner de préparation avec des militaires, raconte Thibault Valetoux, un général a eu cette phrase : Barkhane, c’est comme assécher une rivière avec une passoire et quand on dit que ce n’est pas possible, on nous donne une passoire plus grande. » 

« Ce qui m’intéressait, c’était de réfléchir à ce qu’est un pays colonisateur dans ses rapports avec ses anciennes colonies. »

La formule résume la contradiction inhérente à cette opération, une contradiction essentielle pour faire une bonne histoire. Les Sentinelles offre l’occasion rêvée de parler du post-colonialisme et des rapports actuels Nord-Sud. « Ce qui m’intéressait, c’était de réfléchir à ce qu’est un pays colonisateur dans ses rapports avec ses anciennes colonies », précise Frédéric Krivine, créateur de Un Village Français, fresque historique de la France sous l’Occupation. Là encore, la série arrive à point nommé. La déclaration d’Emmanuel Macron en 2017 reconnaissant le colonialisme comme « un crime contre l’humanité » a provoqué une vague d’indignation qui n’est pas retombée. La question ne cesse de resurgir, confirmant que les blessures du passé colonial français sont loin d’être cicatrisées. Elles le sont d’autant moins que le débat politique vire largement à droite et que la nostalgie de la puissance disparue se conjugue à la peur d’une perte d’identité face à une mondialisation incontrôlable.

Les Sentinelles expose le paradoxe laissé intact par la décolonisation : comment des humanitaires et des militaires animés des meilleures intentions maintiennent en place un système inégalitaire et inefficace car la géostratégie les contraint à agir contre leurs convictions ? « Il y a une prise de conscience de ces soldats et de ces médecins qui sont des chevaliers au sens classique, poursuit Krivine. Ils savent qu’ils ne peuvent que s’occuper de la partie émergée de l’iceberg. Ils limitent l’insécurité à court terme, mais ils décrédibilisent l’État malien, incapable de remplir ses fonctions. Ils n’ont pas d’autre choix que de faire du mieux possible ce pour quoi ils se sont engagés, même si cela ne sert ni les intérêts de leur pays ni ceux du pays dans lequel ils interviennent. Il y a dans la série une résonance sur l’état du monde. »

Comme dans Un Village Français, le propos évite de donner des leçons, de faire croire qu’il existe un camp du bien et un camp du mal. La complexité de la réalité subsaharienne depuis la chute du régime libyen ne peut supporter une vision univoque. « Je refusais de donner mon avis sur la question de savoir s’il fallait ou non intervenir militairement au Mali », affirme Thibault Valetoux. D’où le choix d’une série chorale qui apporte un souffle à la narration. « Cela permet de montrer que personne n’a tort et personne n’a raison, ajoute le scénariste. Humaniser tous les points de vue est le b.a.-ba même si cela n’est pas un super argument de vente. » Les fictions de guerre ont tendance à se focaliser sur les soldats d’élite ou les troupes spéciales. Ici, on suit les aventures de trois femmes, une lieutenant de l’infanterie, une journaliste et une médecin. Cette féminisation constituait une demande du diffuseur, même s’il y a peu d’officiers femmes dans les unités combattantes.

« Humaniser tous les points de vue est le b.a.-ba,
même si cela n’est pas un super argument de vente. »

L’idée des Sentinelles est née dans l’esprit de Thibault Valetoux peu avant son entrée à la Fémis à l’automne 2015. Après les attentats du 13 novembre, ses directeurs de formation l’incitent à présenter son sujet comme travail de fin d’études. « J’avais 24 ans à l’époque, se souvient-il. Et c’était intimidant car je voulais faire une série sur la jeunesse à travers le prisme de l’armée. » L’arrivée du très expérimenté Frédéric Krivine a donné au projet sa dimension politique et romanesque tandis que la ligne narrative principale se fixait dans un village où une patrouille est victime d’une embuscade. « Au départ, j’avais imaginé deux lignes narratives de même importance. Une erreur de débutant, reconnaît Valetoux. Frédéric a corrigé ça et m’a aidé à mieux assumer le caractère politique trop timide. » Pour que la success story soit complète, la série a failli ne pas voir le jour en raison de la pandémie. 

Le tournage au Maroc a exigé des prouesses de la part des producteurs, notamment le recours à des avions privés pour transporter les équipes. Il a fallu composer avec le virus, mais aussi avec les fortes chaleurs et le ramadan. « À un moment, j’ai cru qu’on allait tout abandonner, dit Valetoux. Les producteurs avaient perdu beaucoup d’argent, mais finalement, on a coupé des lignes narratives et condensé les deux derniers épisodes en un seul. On est passé de 8 x 52 minutes à 7 x 45. On a fait notre deuil de certaines choses, mais le projet est bien vivant. » 



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