La démocratie telle qu’elle meurt de ne pas être

Dorian Dreuil

Chaque nouveau rendez-vous électoral est une nouvelle occasion pour convoquer la fin de la démocratie. Les responsables de ce funeste destin sont ainsi désignés comme ceux qui s’abstiennent et qui détournent le regard des urnes. Moins la participation électorale est élevée et plus on considère que la démocratie s’affaiblit. C’est ainsi un curieux paradoxe : on aime tellement la démocratie qu’on aime à l’imaginer disparaître. Un moyen de se faire peur pour les uns, d’alerter pour les autres. La démocratie est-elle en train de disparaître ? Pas sans avoir sonné le tocsin. L’abstention est-elle la seule grille de lecture de notre système politique ? 

Avant d’enterrer pour de bon le « pouvoir » du « peuple », évoquons d’abord sa naissance. Tous s’accordent à dire qu’il voit le jour au Ve siècle avant J.C., au cœur des cités grecques. On y imagine alors un système qui permet d’organiser la vie de la Cité et les relations entre les citoyens. Cette philosophie d’organisation politique traversera les siècles et les frontières. Pourtant, nos démocraties modernes n’ont que peu de ressemblance avec la démocratie athénienne. Pour preuve, le vote n’était que peu répandu – c’est le tirage au sort qui prédominait le choix des gouvernants, qui ne peuvent être de bons princes que s’ils ont été avant cela des gouvernés. Par la suite, la démocratie grandit et revêt bien des visages. On y adosse plusieurs autres noms. La définition même de la démocratie change selon qui en parle. Elle peut être représentative, participative, délibérative ou même contributive. Représentative quand elle donne aux citoyens le droit de voter pour déléguer leur pouvoir. Participative quand elle associe aux décisions prises ceux qui devront vivre avec leurs conséquences. Délibérative quand elle permet à chacun d’exprimer des opinions contraires pour en extraire une position consensuelle. Contributive quand elle reconnaît que la cohésion nationale passe aussi par l’exercice d’une citoyenneté en dehors des institutions par des corps intermédiaires. Dans l’inconscient collectif, elle peut prendre l’une de ces formes, à l’exception de toutes les autres. 

Depuis 2017, l’histoire s’est accélérée au gré des défis qui ont secoué la société. Nous avons connu tour à tour chacune de ces quatre formes démocratiques. Aux votes des élections présidentielles et législatives se sont succédé le Grand débat national, puis la Convention citoyenne pour le climat et la réforme du Conseil économique, social et environnemental, représentant les corps intermédiaires. Preuve, s’il en fallait une, que la participation ne s’oppose pas à la représentation, que la contribution n’est pas incompatible avec la délibération. Et si le salut de la démocratie n’était pas de privilégier un de ses systèmes sur l’autre, mais de les faire tous coexister ? Pourquoi s’obstiner à ce qu’une forme de démocratie doive gouverner toutes les autres ? Alors que le vote perd du terrain, les succès du Grand débat national et des cahiers citoyens, l’intérêt pour les travaux des conventions pour le climat ou l’engagement toujours plus constant dans la vie associative démontrent avec force que la démocratie n’est pas morte. Elle doit se transformer, hybrider ses modèles, se répandre et se répondre. Elle doit être ancrée dans la vie quotidienne et surtout être continue. Les rendez-vous électoraux ne seront ainsi que renforcés si entre les élections, les citoyens peuvent délibérer, participer et s’engager. 
Dorian Dreuil
Ancien Secrétaire général et porte-parole de l’ONG Action contre la Faim, Dorian Dreuil est l’auteur de Plaidoyer pour l’engagement citoyen (2019, VA éditions). Il enseigne au Nouveau Collège d’Études Politiques (NCEP) à Paris Nanterre. En juin 2021, il rejoint l’Observatoire de la vie politique de la Fondation Jean Jaurès comme expert associé et crée « A Voté », une ONG de défense des droits civiques et du progrès démocratique.
Ces dernières années ont assurément été celles de l’innovation démocratique. Les 160 000 contributions réparties dans les 16 000 cahiers citoyens ont fait du Grand débat national de 2019 le plus grand moment d’expression citoyenne depuis 1789. Mais alors qu’ils devaient être rendus publics et libres d’accès, les cahiers de doléances ont été renvoyés aux archives départementales. La Convention citoyenne pour le climat a réuni pour la première fois des citoyens représentatifs de la société française par tirage au sort avec l’ambition folle de se mettre d’accord sur ce qui divise tout le monde. Mais alors que ses propositions devaient être transmises sans filtre à la représentation nationale, tous eurent le sentiment que leur travail était détricoté. Le danger est grand : il est de nourrir les frustrations que ces dispositifs sont censés apaiser. Il est de laisser entrevoir ce que la démocratie pourrait être, tout en démontrant comment elle meurt de ne pas être.   ...

Chaque nouveau rendez-vous électoral est une nouvelle occasion pour convoquer la fin de la démocratie. Les responsables de ce funeste destin sont ainsi désignés comme ceux qui s’abstiennent et qui détournent le regard des urnes. Moins la participation électorale est élevée et plus on considère que la démocratie s’affaiblit. C’est ainsi un curieux paradoxe : on aime tellement la démocratie qu’on aime à l’imaginer disparaître. Un moyen de se faire peur pour les uns, d’alerter pour les autres. La démocratie est-elle en train de disparaître ? Pas sans avoir sonné le tocsin. L’abstention est-elle la seule grille de lecture de notre système politique ?  Avant d’enterrer pour de bon le « pouvoir » du « peuple », évoquons d’abord sa naissance. Tous s’accordent à dire qu’il voit le jour au Ve siècle avant J.C., au cœur des cités grecques. On y imagine alors un système qui permet d’organiser la vie de la Cité et les relations entre les citoyens. Cette philosophie d’organisation politique traversera les siècles et les frontières. Pourtant, nos démocraties modernes n’ont que peu de ressemblance avec la démocratie athénienne. Pour preuve, le vote n’était que peu répandu – c’est le tirage au sort qui prédominait le choix des gouvernants, qui ne peuvent être de bons princes que s’ils ont été avant cela des gouvernés. Par la suite, la démocratie grandit et revêt bien des visages. On y adosse plusieurs autres noms. La définition même de la démocratie change selon qui en parle. Elle peut être représentative, participative, délibérative ou même contributive. Représentative quand elle donne aux…

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