Oléron Photos © philippe fonteneau

Oléron, l’envers du paradis

Pascale Desclos

la france des coins tranquilles
Soixante kilomètres de plages de sable, des forêts, des côtes rocheuses, des marais, une flore et des oiseaux protégés, un microclimat doux… Sillonnée de cent-cinquante kilomètres de pistes cyclables, l’île d’Oléron a tout d’un paradis à vie. Oui, mais…
Philippe adore les tas de bois bien rangés. Les bûches, les rondins, les branchettes pour démarrer le feu dans le poêle, il les stocke sous le vieux préau de la Ferme de Sidonie, qu’il a héritée de ses parents au hameau de la Menounière, sur la côte ouest de l’île d’Oléron. Sidonie, c’était le nom de son arrière-grand-mère. Et la ferme appartient à la famille Fonteneau depuis le XVIIe siècle. Quelques arpents de vignes, des légumes, des vaches et un cheval, elle a tourné en autarcie pendant des années. C’est ici que Philippe, né en 1960, a fait ses premiers pas, a découvert les Stones, a commencé à gratter la guitare et à pratiquer le surf sur les rouleaux de la plage, au bout de la rue de l’Atlantique qui traverse la Menounière. « J’avais les cheveux longs jusque-là à l’époque, sourit-il en esquissant un geste vers son épaule. Quand j’étais gamin, les vacanciers arrivaient en 4CV, en Dauphine par le bac de Bourcefranc-le-Chapus, sur la rive en face. C’était un peu folklo, ils campaient sous la tente ou installaient la caravane dans les champs, sur les mauvaises terres louées par les agriculteurs. L’été, avec les copains, on partait à mobylette pour aller draguer les petites Parisiennes au bar de la plage. L’hiver, mon père faisait du gardiennage de caravanes, il y en avait au moins quinze sous le hangar de la ferme ! »

En 1967, tout s’accélère avec la construction du pont. Le nec plus ultra de ce qui se fait à l’époque, 3027 mètres de long, jetés sur le Coureau d’Oléron, le mince détroit qui sépare l’île du continent, entre Bourcefranc-le-Chapus et le lieu-dit Ors, sur la commune de Château d’Oléron. Avec lui suivent l’eau potable, les lignes électriques, les câbles de téléphone. Et des touristes toujours plus nombreux. Cinquante ans après, c’est toujours par le viaduc qu’on aborde les rivages d’Oléron. Trafic à quinze mille véhicules par jour, trente mille en haute saison, embouteillages garantis sous le soleil. Le péage à vingt francs a été supprimé en 1991, mais depuis peu ressurgit l’idée d’instaurer une écotaxe pour les vacanciers.

Petite pointe d’excitation au cœur quand on passe le pont au-dessus de la mer, nappe paisible, tons gris aquarelle, éclats de soleil, barges qui tracent leurs sillons jusqu’aux parcs à huîtres en ce matin de novembre. Au bout démarre la « Nationale », comme les habitants s’obstinent à appeler la départementale qui traverse l’île de part en part, sur trente kilomètres. Jusqu’à Saint-Pierre, travelling sur un décor de morne banlieue avec, par ordre d’apparition, le distributeur automatique de bourriches d’huîtres Gillardeau, qui fonctionne 24h/24, c’est marqué dessus, la station-service du Leclerc, l’entrepôt de matériaux Chausson, l’Intermarché Hyper Drive, le Mr Bricolage, le Décathlon Contact, fermé d’octobre à juin et d’innombrables magasins, carrefours et pavillons aux volets clos. Oléron a bien grandi et c’est la morte saison, ça se voit.

Tourner à gauche après Saint-Pierre. Voilà, ouf, de l’air, on retrouve les champs mouillés de rosée, les murets de pierres sèches. L’île commence à ressembler à une île. Au hameau de la Menounière, sur la place des Tilleuls, la Ferme de Sidonie veille derrière son portail en bois, où un panneau annonce Maison d’hôtes et gîte. C’est en 2014 que Philippe et sa sœur Margaret ont franchi le pas. La bâtisse familiale, divisée en raison d’une succession complexe, risque d’être acquise par un promoteur immobilier. Ils unissent leurs ressources pour l’acheter. L’idée de la rénover en privilégiant les matériaux écologiques pour y accueillir des hôtes germe à ce moment-là. Aujourd’hui, la maison blanche aux volets verts, prolongée de sa vieille longère, est une des escales prisées de l’île. La plage est à cinq minutes à pied. Des kilomètres de sable blanc battus par les vagues. On y accède par une ganivelle, un de ces chemins palissés de piquets de bois qui coupent à travers les dunes aux herbes folles. Margaret n’est plus là, emportée par un mauvais cancer en octobre 2021. À 61 ans, Philippe est toujours accro au surf. Entre deux petits-déjeuners à préparer à la Ferme, il continue à maraîcher les terres familiales. Il arpente les chemins pour photographier les plages, les marais, les plantes sauvages qui y poussent. Pas peu fier, non plus, d’être le trésorier de l’association de protection des écluses à poissons d’Oléron. Sur les deux cents qui encerclaient le littoral de l’île, il en reste encore dix-sept actives. « Depuis le Moyen Âge, les îliens utilisent ce système de pêche ingénieux : les poissons se font piéger dans les bassins, des demi-cercles de pierre posés sur l’estran qui restent en eau à marée basse. Si les mareyants passent, ils prélèvent ce dont ils ont besoin. Sinon, adieu bars, seiches, dorades, qui s’enfuient à marée haute. » Philippe a une vie bien remplie. Il a même son El Dorado, le nom du cinéma art et essai rouvert en 1982 par une poignée de passionnés à Saint-Pierre d’Oléron : « La programmation alterne films, documentaires et débats tous les jours de l’année. » Mais Philippe est inquiet pour l’avenir de son île et il n’est pas le seul.

Au bar de la Petite Mer, à Saint-Pierre d’Oléron, ça cause au comptoir. Les habitués râlent contre les « pinpins », comprenez les touristes, et le grand parking créé sur le port de la Cotinière, à l’emplacement de l’ancienne criée aux poissons, remplacée par une nouvelle, plus grande et plus moderne, au bout de la digue. Lancinante, la question revient sur toutes les lèvres : faut-il s’obstiner dans la voie du tourisme alors -qu’Oléron est déjà saturée, suréquipée ? À trop vouloir tirer de ce territoire naturel fragile, ne risque-t-on pas de menacer son équilibre ? Avec 22 000 habitants permanents, l’île compte 124 habitants/km2, une densité supérieure à la moyenne nationale. Et cinq cabinets orthophonistes, alors que les territoires ruraux de Charente-Maritime sont boudés par les jeunes professionnels. En saison, on dépasse les 200 000 occupants, les séjours s’étirant maintenant du printemps à l’automne. Depuis les années 1970, les services, les restaurants et les commerces se sont multipliés. Beaucoup ne fonctionnent qu’en été, affichant le reste de l’année de funèbres panneaux « Fermé temporairement ». Allez chercher une boulangerie ouverte à Domino, au nord de l’île, en novembre ! Les maisons, pour 60 % des résidences secondaires, ont poussé comme des champignons. Avant la loi Littoral de 1986, beaucoup ont été construites un peu n’importe où, en front de mer ou sur les dunes, sans tenir compte des règles traditionnelles du bâti. Et malgré le classement d’une grande partie de l’île en site naturel en 2015, ce qui a été mal fait n’a pas été défait. Plus grave : les prix ont tellement grimpé qu’ils sont devenus inaccessibles aux insulaires, même les saisonniers qui viennent travailler sur l’île en été ne peuvent plus s’y loger. Charlie Meurer, le nouveau jeune patron de l’agence immobilière indépendante Delisle, qui possède cinq points de vente à Oléron, confirme : « Avec la crise sanitaire, la montée en puissance du télétravail, la mobilité accrue grâce au TGV, qui relie Paris au cœur d’Oléron via la gare de Surgères en quatre heures, les citadins s’arrachent les biens. Les prix ont augmenté de 15 à 30 %. Pour la maison de pêcheur rénovée avec la déco bobo chic à la Marrakech, comptez désormais entre 700 000 et 1,5 million d’euros. » Conséquence de cette frénésie immobilière : les petites routes de l’île, mal adaptées, se détériorent à cause du portage des matériaux de construction.

Sujet d’inquiétude plus global : le trait de côte ne cesse de reculer. À l’ouest de l’île, sur le cordon dunaire, plusieurs centaines de mètres ont été mangés par les vagues et certaines maisons voient la mer arriver au milieu du jardin. Petit tour dans le vent frais de l’hiver sur la pointe de Gatseau, à Saint-Trojan, en compagnie de Jean-Baptiste Bonnin, le responsable de l’association IODDE (Île d’Oléron Développement Durable Environnement). Ici, face au continent, la forêt de pins plantée au xixe siècle pour faire barrière aux vagues s’avance jusqu’à la plage. Plus pour longtemps. Déjà, l’ancienne dune s’est affaissée, nombre d’arbres sont couchés sur le rivage, troncs brûlés par le sel, et la flore des marais gagne du terrain. « D’ici quelques années, la pointe sera submergée. La faute aux tempêtes, de plus en plus fréquentes et violentes ; aux courants qui ne ramènent plus le sable vers le rivage ; aux promeneurs qui continuent de piétiner les dunes, altérant l’enracinement des oyats et autres plantes des sables ; certains accusent aussi les prélèvements de sable opérés au large par quelques industriels de la cimenterie. » Sur le papier, la communauté des huit communes d’Oléron et les associations environnementales ont tout bon. Dix millions d’euros vont être débloqués d’ici 2035 pour acheter des terrains et y bâtir des logements à l’intention des Oléronais actifs et des jeunes, cent-cinquante kilomètres de pistes cyclables ont été créés. Les marais, véritable éponge naturelle au centre de l’île, sont à nouveau entretenus. Treize des soixante-quinze fermes de l’île sont passées en bio. Grâce à des réglettes, les pêcheurs à pied vérifient désormais la taille des coquillages qu’ils ramassent sur l’estran. Oui mais voilà : toujours plus de citadins adorent vivre et télétravailler en bord de mer, rouler à vélo sur les petits chemins, acheter des produits bio au marché. Paradoxe : les pratiques vertueuses augmentent encore l’attractivité du territoire. Et l’Office du tourisme en finit par hésiter à communiquer ! À Oléron, les touristes n’ont plus envie de s’en aller.

Crédit photo Oléron Photos © Philippe Fonteneau...

la france des coins tranquilles Soixante kilomètres de plages de sable, des forêts, des côtes rocheuses, des marais, une flore et des oiseaux protégés, un microclimat doux… Sillonnée de cent-cinquante kilomètres de pistes cyclables, l’île d’Oléron a tout d’un paradis à vie. Oui, mais… Philippe adore les tas de bois bien rangés. Les bûches, les rondins, les branchettes pour démarrer le feu dans le poêle, il les stocke sous le vieux préau de la Ferme de Sidonie, qu’il a héritée de ses parents au hameau de la Menounière, sur la côte ouest de l’île d’Oléron. Sidonie, c’était le nom de son arrière-grand-mère. Et la ferme appartient à la famille Fonteneau depuis le XVIIe siècle. Quelques arpents de vignes, des légumes, des vaches et un cheval, elle a tourné en autarcie pendant des années. C’est ici que Philippe, né en 1960, a fait ses premiers pas, a découvert les Stones, a commencé à gratter la guitare et à pratiquer le surf sur les rouleaux de la plage, au bout de la rue de l’Atlantique qui traverse la Menounière. « J’avais les cheveux longs jusque-là à l’époque, sourit-il en esquissant un geste vers son épaule. Quand j’étais gamin, les vacanciers arrivaient en 4CV, en Dauphine par le bac de Bourcefranc-le-Chapus, sur la rive en face. C’était un peu folklo, ils campaient sous la tente ou installaient la caravane dans les champs, sur les mauvaises terres louées par les agriculteurs. L’été, avec les copains, on partait à mobylette pour aller draguer les petites Parisiennes au…

Pas encore abonné(e) ?

Voir nos offres

La suite est reservée aux abonné(e)s


Déjà abonné(e) ? connectez-vous !



Zeen is a next generation WordPress theme. It’s powerful, beautifully designed and comes with everything you need to engage your visitors and increase conversions.

Top Reviews