Profession producteur

Michel Palmieri

Un producteur, à quoi ça sert ? Brutalement posée, la question apparaît provocatrice. Elle n’est pourtant pas nouvelle. John Wayne, peu suspect de sympathies marxistes, s’interrogeait déjà il y a un demi-siècle : « Un acteur, un réalisateur, un chef opérateur, je vois bien leur rôle dans la fabrication d’un film. Mais un producteur, est-ce indispensable ? Est-ce utile ? Produire, qu’est-que ça signifie ? » 

L’image caricaturale du notable fortuné qui, cigare au bec, plaçait ses deniers personnels dans la fabrique d’un long-métrage, pour l’amour du cinéma, du risque et des starlettes, a jauni. Soucieux avant tout de minimiser les dangers d’une aventure par essence incertaine, les nouveaux producteurs n’engagent plus leurs fonds propres. Pour boucler leur budget, ils concentrent leurs efforts sur la collecte de subventions publiques, allouées par le ministère de la Culture (principalement à travers son bras armé, le Centre national du cinéma) ou les régions, ainsi que sur les financements privés encouragés par une législation cocardière : obligation pour les chaînes de télévision d’investir dans la création d’œuvres françaises originales, avantages fiscaux consentis à des sociétés privées (SOFICA) finançant le cinéma national… 

En France, depuis trois décennies,
la production oscille entre 200 et 300 films par an.
Ce qui est beaucoup. Trop

Ouvertement protectionniste, ce généreux dispositif affranchit l’industrie cinématographique du principe général de libre échange, édicté par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mises en place au nom de l’exception culturelle, ces règles ont d’incontestables mérites, qui ont permis au cinéma français de résister victorieusement à la volonté hégémonique de Hollywood quand nombre de pays au passé cinématographique prestigieux (Italie, Royaume-Uni, Allemagne…) voyaient leur production nationale s’effondrer. En France, au contraire, depuis trois décennies, la production oscille entre 200 et 300 films par an. Ce qui est beaucoup. Trop ? Le vertueux système n’aurait-il pas atteint ses limites ? On peut le penser à la lecture du rapport rédigé par le producteur René Bonnel, qui relève notamment que près de la moitié des films français attirent moins de 20 000 spectateurs en salles ! Un autre, Daniel Toscan du Plantier, s’interrogeait : « Est-il vraiment pertinent de mobiliser un budget de trois millions d’euros pour raconter une puberté difficile ? » Bonne question. Chaque année, en décembre, l’Académie des César adresse à ses membres, tous « professionnels de la profession », comme les désignait Jean-Luc Godard, un gros coffret contenant la totalité des films sortis depuis le 1er janvier. 

L’occasion de passer en revue l’ensemble de la production cinématographique française de l’année. Et, chaque fois, de s’étonner du faible intérêt de nombre d’histoires ou/et de la médiocrité de leur mise en scène. Comment des sujets aussi minces ont-ils pu mobiliser les énergies nécessaires à leur fabrication ? La clé de l’énigme est banale, tristement pragmatique : les maisons de production ont des coûts fixes. Elles ont du personnel administratif permanent, des locations de bureaux à acquitter, des frais de développement à engager… Pour les amortir, elles ont l’obligation de mettre en chantier des projets, même bancals ou insuffisamment aboutis, afin d’alimenter au plus vite leur trésorerie grâce aux différents financements publics ou privés. Les miracles ne survenant qu’exceptionnellement, le résultat à l’écran de ces projets mal nés est presque toujours décevant. Et leur exploitation régulièrement déficitaire. Dans n’importe quel secteur concurrentiel, cette stratégie de Gribouille condamnerait rapidement à disparaître les sociétés qui l’appliquent. Pas dans le cinéma.
Journaliste et critique de cinéma, Michel Palmieri est conseiller éditorial de Bastille magazine.
Si, en amont, le producteur a bien travaillé, couvrant l’ensemble du budget de son film (y compris son propre salaire) grâce à tout ou partie des aides à la création susmentionnées, il n’aura à subir aucune perte financière et pourra se lancer sans dommage dans une nouvelle entreprise. Une nouvelle chance de rencontrer le succès qui récompenserait son obstination et renflouerait ses caisses. Ainsi va ce merveilleux système, qui permet la socialisation des pertes et garantit la privatisation des profits. Un bien beau métier en vérité.  ...

Un producteur, à quoi ça sert ? Brutalement posée, la question apparaît provocatrice. Elle n’est pourtant pas nouvelle. John Wayne, peu suspect de sympathies marxistes, s’interrogeait déjà il y a un demi-siècle : « Un acteur, un réalisateur, un chef opérateur, je vois bien leur rôle dans la fabrication d’un film. Mais un producteur, est-ce indispensable ? Est-ce utile ? Produire, qu’est-que ça signifie ? »  L’image caricaturale du notable fortuné qui, cigare au bec, plaçait ses deniers personnels dans la fabrique d’un long-métrage, pour l’amour du cinéma, du risque et des starlettes, a jauni. Soucieux avant tout de minimiser les dangers d’une aventure par essence incertaine, les nouveaux producteurs n’engagent plus leurs fonds propres. Pour boucler leur budget, ils concentrent leurs efforts sur la collecte de subventions publiques, allouées par le ministère de la Culture (principalement à travers son bras armé, le Centre national du cinéma) ou les régions, ainsi que sur les financements privés encouragés par une législation cocardière : obligation pour les chaînes de télévision d’investir dans la création d’œuvres françaises originales, avantages fiscaux consentis à des sociétés privées (SOFICA) finançant le cinéma national…  En France, depuis trois décennies, la production oscille entre 200 et 300 films par an. Ce qui est beaucoup. Trop Ouvertement protectionniste, ce généreux dispositif affranchit l’industrie cinématographique du principe général de libre échange, édicté par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mises en place au nom de l’exception culturelle, ces règles ont d’incontestables mérites, qui ont permis au cinéma français de résister victorieusement à la volonté hégémonique de Hollywood quand nombre de pays au…

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