Alerte à la frisée

Brigitte Benkemoun

La frisée aux lardons est à Claire Bretécher ce que la Madeleine est à Proust. À ceux qui me feraient remarquer qu’ils n’étaient pas nés au temps des Frustrés, je rappellerais que je n’ai pas non plus connu Proust personnellement.

Mais pour ne pas perdre le lecteur dès le premier paragraphe, je vous propose un bref résumé, à peine subjectif : cette salade ne doit sa célébrité qu’à une BD sans parole, publiée dans les années 1970 dans un journal qui s’appelait alors Le Nouvel Observateur. Claire Bretécher y mettait en scène un couple au restaurant, lors d’un premier rendez-vous, apparemment amoureux. Malheureusement, la jeune femme commet l’erreur fatale de commander une frisée aux lardons. Et en essayant d’engloutir ces feuilles impliables et gorgées de sauce, elle finit avec des giclures de vinaigrette de la nappe au menton, sous l’œil effaré de son camarade qui subitement comprend ce que l’on entend par « plat tue-l’amour ». D’où la conclusion de la jeune femme, en forme de morale : « J’évite la frisée aux lardons quand je cherche à plaire. »

Depuis la fin des années 1970, nous sommes donc un certain nombre à suivre ce conseil avisé. Au point de croire que Bretécher avait eu la peau de la frisée tant elle avait disparu des menus, en-dehors peut-être des cantines attardées, des Flunch, ou de quelques bistrots qui n’ont pas changé de carte depuis la Libération. Mais la cuisine est aujourd’hui soumise aux mêmes injonctions vintage que la mode ou la déco. Et quand on dit seventies, les uns pensent pattes d’éph, les autres plastique orange et les cuisiniers, ayant épuisé les vertus de l’œuf mayo des années soixante, redécouvrent la frisée aux lardons, pensant avoir trouvé l’eau chaude. Il y aurait pourtant d’autres pistes à creuser pour « revisiter » la cuisine de maman. Les bouchées à la reine, la fondue bourguignonne, l’omelette norvégienne, les bananes flambées ou même les cœurs de palmier et les Apéricubes.

Mais il est sûrement trop tard… La frisée aux lardons, souvent avec son complice, l’œuf mollet, se pavane déjà au menu de tous les « bouillons » (Pigalle, République ou Chartier…) comme du nouveau restaurant plus chic de l’hôtel Château Voltaire. Il y a quelques semaines, même Le Monde s’est fendu d’une recette ! Ne reste plus qu’à retouiller le chèvre chaud. Bref, le mouvement est lancé, elle sera bientôt chez Coste, et, telle une mauvaise herbe, elle va tout envahir. Aussi sûrement que la burrata, les ceviches et les poke bowls (un jour il faudra ouvrir ce dossier-là). 

Son intérêt, outre de ridiculiser celui qui essaie de manger proprement, serait « sa délicate amertume ». Et là, on tient peut-être une piste, une tendance qui dépasse le dégout de voir les convives s’éclabousser de vinaigrette. Dans le sillage de la frisée arrivent les salades émergentes :  la chicorée italienne, la puntarella, ou même l’endive frisée. Lentement mais sûrement, notre époque vire à l’amère, et s’éloigne du douçâtre. Bonne nouvelle : l’appétence à aimer l’amertume est, dit-on, un signe de maturité. ...

La frisée aux lardons est à Claire Bretécher ce que la Madeleine est à Proust. À ceux qui me feraient remarquer qu’ils n’étaient pas nés au temps des Frustrés, je rappellerais que je n’ai pas non plus connu Proust personnellement. Mais pour ne pas perdre le lecteur dès le premier paragraphe, je vous propose un bref résumé, à peine subjectif : cette salade ne doit sa célébrité qu’à une BD sans parole, publiée dans les années 1970 dans un journal qui s’appelait alors Le Nouvel Observateur. Claire Bretécher y mettait en scène un couple au restaurant, lors d’un premier rendez-vous, apparemment amoureux. Malheureusement, la jeune femme commet l’erreur fatale de commander une frisée aux lardons. Et en essayant d’engloutir ces feuilles impliables et gorgées de sauce, elle finit avec des giclures de vinaigrette de la nappe au menton, sous l’œil effaré de son camarade qui subitement comprend ce que l’on entend par « plat tue-l’amour ». D’où la conclusion de la jeune femme, en forme de morale : « J’évite la frisée aux lardons quand je cherche à plaire. » Depuis la fin des années 1970, nous sommes donc un certain nombre à suivre ce conseil avisé. Au point de croire que Bretécher avait eu la peau de la frisée tant elle avait disparu des menus, en-dehors peut-être des cantines attardées, des Flunch, ou de quelques bistrots qui n’ont pas changé de carte depuis la Libération. Mais la cuisine est aujourd’hui soumise aux mêmes injonctions vintage que la mode ou la déco. Et quand on dit…

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