Flatter la voix ©Jean Houzard

Flatter la voix

Christophe Conte

L’inventeur de l’Auto-Tune nous fait chanter, mais juste
En un quart de siècle, l’Auto-Tune a changé pour toujours le son de la musique populaire et constitue désormais un marqueur générationnel. Que les parents se résignent : cet effet spécial n’est pas que le son d’une génération. Il est là pour durer.  

Lorsqu’il dîne un soir avec des amis, Andy Hildebrand ne se doute pas qu’il est à l’aube de provoquer un tremblement de terre dont les secousses seront ressenties au cours des trente prochaines années. Nous sommes au milieu de la décennie 1990 et ce tout jeune retraité de l’industrie pétrolière est un familier des ondes sismiques, phénomène géologique qu’il a étudié pendant vingt ans, depuis l’obtention de son diplôme d’ingénieur en électricité à l’université de l’Illinois en 1976. Celui que l’on surnomme Doctor Andy est l’inventeur d’une technologie imparable, qui permet de détecter, grâce à l’envoi de signaux acoustiques dans les sous-sols, la présence d’une nappe pétrolière, dispensant ainsi ses clients de coûteux forages à l’aveugle. Embauché par Exxon, puis installé à son compte avec son entreprise Landmark Graphics Corporation, Hildebrand se paye le luxe de tout laisser en plan à l’âge de 39 ans pour, fortune faite, reprendre des études musicales. Car le scientifique, dont les recherches ont bouleversé le monde de l’industrie pétrochimique, est en réalité un musicien contrarié, qui a pratiqué intensément la flûte classique au cours de son enfance et entend mettre à profit son savoir dans un domaine plus directement en lien avec cette passion de jeunesse. Inscrit à la Rice University’s Shepherd School of Music, il étudie ainsi la composition et ses applications dans les nouveaux domaines offerts par la révolution numérique, retrouvant ainsi très vite ses réflexes de mathématicien. 

Au cours du fameux dîner, c’est la femme de l’un de ses amis, connaissant sa double expertise de scientifique et de musicien, qui lui lance un défi. Serait-il possible d’imaginer un instrument qui corrige les imperfections de la voix humaine ? En résumé, permettre à une casserole de chanter comme la Callas. Autour de la table, tel fantasme est accueilli, y compris par Andy lui-même, avec la circonspection amusée de ceux qui ne doutent pas que d’un âne on ne fera jamais un pur-sang. L’impossible étant toutefois proscrit du vocabulaire des savants un peu kamikazes, le Dr Hildebrand promet d’y penser. Quelques années plus tôt, avec son entreprise Antares Audio Technology, il a subi un revers cruel avec un logiciel pourtant ambitieux, Infinity, permettant de recréer artificiellement, grâce à une combinaison d’algorithmes, les nuances et la souplesse ainsi que les timbres des instruments acoustiques. Ce petit programme révolutionnaire, qui promettait un peu gaillardement de mettre au chômage des allées entières d’instrumentistes et de permettre à des compositeurs de diriger des orchestres philharmoniques de synthèse depuis leur chambre, n’a pas trouvé preneur. En revanche, la martingale technologique qui consisterait à corriger en studio les tonalités de certains chanteurs approximatifs, aussi farfelu qu’un tel projet puisse paraître à l’époque, aurait à coup sûr un retentissement plus important. 

Piqué au vif, Doctor Andy reprend à la racine ses travaux de sismologue en étudiant les applications que ses formules mathématiques basées sur l’autocorrélation (pour faire simple, la recherche d’une fréquence fondamentale d’un signal sonore perturbé ou brouillé) pourraient avoir lorsqu’on les fait interagir avec la voix humaine. Au fond de leur cave, dans les banlieues de Manchester ou de Detroit, face à leurs miroirs aux alouettes ou dans les karaokés les plus assommants, combien d’apprentis Michael Jackson ou de fausses Mariah Carey en détresse rêvent en secret d’une telle potion magique ? Quant aux interprètes professionnels, même les plus prestigieux, seuls les ingénieurs du son tenus au secret savent à quel point certains, dans l’intimité d’une cabine de prises, chantent aussi juste qu’une cornemuse branchée sur un aspirateur. 

Tous les chercheurs ayant planché sur la question se sont heurtés aux caprices inhérents aux différences qui peuvent exister d’une voix à l’autre et sur l’impossible uniformisation d’un tel procédé, qu’il faudrait adapter quasiment sur mesure à chaque interprète. Un vrai casse-tête comme les aime Andy, qui au prix de nombreuses nuits blanches à examiner une infinitude de données et de variables, parvient à une simplification arithmétique (façon de parler) qui fonctionne à travers un programme aussi basique que l’est son nom : Auto-Tune. Un an tout juste après le défi qu’on lui a lancé, il présente début 1996 sa trouvaille lors d’une conférence de la National Association of Music Merchants. 

« Believe », classé numéro 1 dans 23 pays à sa sortie en 1998, relance non seulement la carrière de Cher, mais devient le patient zéro d’une épidémie virale planétaire.

Devant le succès remporté, tous les studios de Los Angeles se ruent bientôt sur ce petit software miracle qui va épargner des heures de souffrance de part et d’autre de la vitre, remplaçant des dizaines de prises de voix laborieuses par une seule qu’il suffira de corriger en quelques manipulations. L’invention est fiable, les résultats obtenus sont surprenants, mais rien n’indique toutefois que le nom d’Andy Hildebrand est appelé à s’inscrire en lettres de feu dans la longue histoire de la musique enregistrée. Parfois, ceux qui laissent une trace indélébile sont des malchanceux, des étourdis ou des ingénus de génie, rarement des mathématiciens. En 1926, au cours d’une séance d’enregistrement primitive d’une chanson de Boyd Atkins, Louis Armstrong fit malencontreusement tomber la feuille où était écrit le texte, et se lança dans une improvisation vocale à base d’onomatopées qui deviendra immédiatement populaire sous le nom de scat. Quarante ans plus tard, le guitariste des Kinks, Dave Davies, percera de rage la membrane de son ampli, créant la distorsion de « You Really Got Me », dont les retombées seront telluriques sur l’histoire du rock. Le dub fut également le produit d’une erreur de manipulation d’un ingénieur du son jamaïcain, King Tubby, qui oublia une piste de voix et fit exulter les foules le week-end suivant avec cette production instrumentale non préméditée. John Lennon, de retour chez lui pour écouter « Rain », le morceau que les Beatles venaient d’enregistrer en avril 1966, se trompera dans le sens de la bande sur son magnétophone et découvrira les délices psychédéliques des sons passés à l’envers, un heureux accident qui sera reproduit sur le mix final le lendemain. Parfois, c’est la technologie elle-même qui s’enraye, comme les transistors défectueux de la boîte à rythmes TR 808 de Roland, qui provoqueront des grésillements vite adoptés par les producteurs des premiers titres house et techno. « Sans la musique, la vie serait une erreur », disait le vieux Nietzche. Mais sans les erreurs, la musique manquerait de vie.  

En 1998, la chanteuse Cher est au Royaume-Uni pour enregistrer l’album d’une énième tentative de renaissance de celle qui restait figée dans l’imaginaire hippie des sixties comme moitié du duo Sonny & Cher. Loin du folk-rock lascif de ses années de gloire, la chanteuse souhaite se refaire une jeunesse sur les dance-floors, et l’un des titres, « Believe », en bourgeon depuis neuf ans sans que personne n’ait trouvé l’engrais nécessaire, possède un vague potentiel pour raccrocher les wagons de l’Eurodance alors en pleine vitesse. Problème : à 50 ans, la chanteuse ne possède plus la voix de contralto immaculée d’antan, et sur les couplets, notamment, le producteur Mark Taylor (du duo Xenomania) manque de s’arracher les oreilles. Avant que la séance ne se termine en champ de bataille autour du chant récalcitrant de Cher, Taylor opte pour l’Auto-Tune, peu utilisé et encore moins maîtrisé. Comme l’explique Hildebrand, son principe agit de manière graduée : « Lorsqu’une chanson est plus lente, comme une ballade, les notes sont longues et la hauteur doit changer lentement. Pour les morceaux plus rapides, les notes sont courtes, la hauteur doit être changée rapidement. J'ai intégré un cadran où vous pouvez régler la vitesse de 1 (la plus rapide) à 10 (la plus lente). Juste par convention, j'ai mis un réglage zéro, qui change la hauteur au moment exact où on reçoit le signal. » C’est ainsi, en utilisant sans le vouloir le réglage « zéro » que Mark Taylor obtient un étrange effet de vibration sur la voix de Cher, la transformant de manière presque irréelle, et que « Believe » décolle tel un supersonique futuriste. Malgré les réticences de Warner, Cher exige que le titre sorte en l’état (« si vous voulez le modifier, il faudra me passer sur le corps », explose la chanteuse face aux atermoiements de se son label) et son obstination est récompensée. Le single, classé numéro 1 dans 23 pays (dont la France) à sa sortie en 1998, relance non seulement sa carrière, mais il devient historiquement le patient zéro d’une épidémie virale planétaire. 

Ce que l’on nomme désormais le « Cher effect » arrive à point nommé pour la double bascule de la décennie et du millénaire : en permettant la transmutation du plus vieil instrument de l’humanité, il parachève le triomphe des technologies numériques appelées à régner sur  ce monde virtuel en train d’émerger. Depuis longtemps, transformer les voix au moyen de nouveaux outils fait partie de l’arsenal des musiciens et des producteurs, fascinés notamment par la science--fiction. Dès les années 1930 sont apparus les premiers appareils modifiant les voix, dans un premier temps pour réduire la bande-passante dans l’industrie téléphonique, ce qui conduira des décennies plus tard au vocodeur (le Korg VC-10, l’EMS Vocoder 2000 ou le Roland VP-330) largement utilisé pour créer des effets robotiques qui feront florès, de Kraftwerk à Herbie Hancock, au cours des années 1970-80, puis ensuite chez Daft Punk. 

Plus sommaire dans sa conception et son utilisation, mais partant du même principe consistant à faire circuler la voix à travers les organes électroniques d’un synthétiseur, la talkbox et son tuyau directement inséré dans la bouche du chanteur ou de la chanteuse sera l’un des effets préférés du funk et du disco à la naissance de l’Afro-futurisme, conjugaison des cultures noires-américaines et de l’imaginaire cosmique. Plus glacial et déshumanisé, l’Harmonizer, apparu au cours des seventies, sera largement utilisé dans les studios après le passage de David Bowie et Brian Eno dans les plaines désolées et post-atomiques de Low. Dans la pop commerciale, après l’ouragan Cher, -l’Auto-Tune devient un ingrédient incontournable. Le Français Mirwais, ex-Taxi Girl, en magnifie l’utilisation sur son album solo, Production, à l’entrée de l’an 2000, et c’est en tombant sur son « Naïve song » que Madonna lui propose de bâtir pour elle le son de Music et American Life, les deux disques qui propulsent la star des années 1980 dans le XXIe siècle.

Une génération a trouvé son empreinte, dissociable de tout ce qu’il s’était produit auparavant comme artifice d’expression vocale.

Mais l’Auto-Tune connaît une ascension plus fulgurante encore lorsqu’il est adopté dans une sphère musicale, le rap, où la voix est l’élément dominant. Le « Cher effect » devient ainsi en 2005 le « T-Pain effect » lorsque le rappeur T-Pain en abuse jusqu’à l’overdose sur son album Rappa Ternt Sanga, allant bientôt jusqu’à commercialiser un micro bon marché récréant sommairement les vibrations transgéniques du logiciel. « T-Pain est en effet le premier à l’utiliser, analyse Sylvain Bertot, auteur de cinq ouvrages sur le rap aux éditions Le Mot et le Reste, mais c’est lorsque Kanye West, qui a d’ailleurs fait appel à lui, intègre l’Auto-Tune sur 808s & Heartbreak, en 2008, que le phénomène prend une tout autre ampleur. Il est le producteur le plus important des années 2000 et, d’une certaine façon, il ouvre la voie. L’autre moment important, c’est à la fin de la décennie, quand ce qu’on pourrait appeler des « rappeurs de genre », loin de la démarche post-moderne de Kanye West, s’en emparent. Des gens comme Future, qui évoluent dans la Trap et ont un pédigrée plus Gangsta, s’y mettent à leur tour, et l’Auto-Tune prend alors une nouvelle dimension. » 

Certes, une voix discordante, et pas des moindres, s’élève avec fracas dès 2009 pour pulvériser cet effet de mode incommodant. En intro de D.O.A, acronyme pour « Death of Auto-Tune », le rappeur de Brooklyn Jay-Z chante volontairement faux un vieux tube des années 1960 (« Na Na Hey Hey kiss him goodbye » de Steam) avant de sortir les fusils : « Je sais que nous affrontons une récession, mais la musique que vous faites tous nous conduira à la Grande Dépression. » Il a tort, l’histoire est contre lui, sauf lorsqu’il parle de grande dépression. Le rap viril, combatif, empreint de colère sociale et de storytelling urbain, celui qui avait conquis le grand public depuis les années 1990, est en train insidieusement de céder la place à un rap mélancolique, vulnérable, toujours autocentré, mais d’une manière différente de l’égo-trip habituel, et l’Auto-Tune est l’idéal vecteur de ce glissement. Les rappeurs exhibent leurs souffrances, le mot pain (douleur) entre en force dans leur dictionnaire, quitte à en faire un business de plus. « Tout est exagéré dans le rap, qui est à la base une culture de l’exagération, poursuit Sylvain Bertot. Ce n’est pas une culture du réel, de la sincérité, mais une culture de l’artifice. L’Auto-Tune accompagne cette nouvelle tendance à la complainte qu’adoptent les rappeurs, surtout vis-à-vis d’eux-mêmes, car ils n’ont souvent que très peu d’égards pour les autres. » 

En France, c’est Booba qui ouvre une brèche sur le refrain de « Illégal », le titre saillant de son quatrième album, 0.9, et ceux qui se pincent le nez à l’époque n’imaginent pas qu’il s’agit d’une faille béante à travers laquelle tout le monde va s’engouffrer au cours des années 2010. « Avant ça, raconte Laurent Bouneau, directeur des programmes de Skyrock, les rappeurs faisaient appel à des chanteuses de R’n’B pour les refrains, mais ils n’étaient pas chanteurs. Avec l’Auto-Tune, ils sont en mesure de chanter, et ça modifie profondément la structure et ce que racontent les morceaux. » Comme l’exprime assez clairement le Belge Damso sur son titre baptisé simplement « Auto-Tune », l’effet est aussi un paravent, un filtre opacifiant à la crudité des sentiments : « J’n’ose pas lui dire, je n’veux pas faire de peine. Et si j’lui disais tout c’que je ressens sur l’instrumental. Avec de l’Auto-tune ça passera p’t’être mieux. » En stéréo des deux côtés de l’Atlantique, épargnant toutefois l’Angleterre où le phénomène est resté marginal, le rap comme la pop commerciale sont imbibés depuis une quinzaine d’années par ces performances liquides, mouvantes, émouvantes parfois, qui envoûtent les millennials avec la même ardeur qu’elles font suffoquer d’effroi les boomers. Une génération a trouvé son empreinte, dissociable de tout ce qu’il s’était produit auparavant comme artifice d’expression vocale. Le Vocoder et ses équivalents avaient pour illusion de donner une voix aux créatures extraterrestres ou aux robots. L’Auto-Tune a plus à voir avec la transhumanité, l’humain augmenté, comme projection idéalisée de soi en s’accordant un superpouvoir à peu de frais. 

Mirwais, encore lui, avait anticipé dès l’aube de la déferlante cette aspiration, en s’affichant mi-homme mi-cyborg sur la pochette de Production. Pour le Canadien Chilly Gonzales, l’Auto-Tune crée la voix d’un « robot qui pleure », un robot humain, après tout. « Je connais des jeunes qui ne chantent plus sous la douche car ils ne peuvent entendre leur voix dépourvue de cet effet, s’amuse à remarquer le producteur et ingénieur du son Lucien Krampf. Quand Young Thug est arrivé, tout le monde pensait qu’il utilisait l’Auto-Tune, alors qu’il chantait naturellement comme ça. Il avait tellement écouté Future et les autres que sa voix avait pris cette couleur. » À l’instar des filtres sur Instagram ou Snapchat qui modifient en miroir la perception qu’ont les ados d’eux-mêmes, l’Auto-Tune et ses équivalents comme le Melodyne ont indéniablement chassé le naturalisme pour lui substituer une forme de surnaturel dont il apparaît parfois difficile de sortir. Comme Photoshop, destiné à l’origine à corriger les imperfections, l’Auto-Tune a débordé de son cadre premier pour s’imposer en outil d’effacement du disgracieux au profit d’un autre type de métamorphose plus ou moins heureux. 

« C’est la porosité entre les cultures rap et raï dans les banlieues parisiennes et marseillaises qui a conduit à cette mouvance très ancrée. » 

« La chanteuse soul Alicia Keys, raconte Laurent Bouneau, a essayé de revenir avec une formule très dépouillée, se présentant sans maquillage, avec un son sans aucun effet, et ce fut un échec total. Le public ne voulait plus entendre ça. » Même si, dans le rap américain, la tendance est à la décrue depuis plusieurs années, le rap francophone demeure ce pays d’exception où l’Auto-Tune tourne à plein régime, occupant l’essentiel des premières places des classements de streaming sans montrer de signes de faiblesse. Le duo PNL et son cloud-rap narcotique et envapé ne cesse de faire des émules, en dépit d’une mise à nu involontaire il y a quelques années lors d’un concert à Dour en juillet 2019, où une panne technique les a privés du filtre magique, provoquant l’hilarité des haters sur une vidéo virale que le groupe a pris soin de faire disparaître depuis. De l’autre côté du spectre, le Marseillais Jul et ses productions en rafales incessantes, qui confondent souvent Auto-Tune et tuning, voire auto-tamponneuses, pousse le style à l’extrême de l’humainement supportable pour les plus de douze ans. « Le phénomène perdure en France, remarque Lucien Krampf, parce qu’il n’a pas uniquement comme source les États-Unis. L’Auto-Tune a d’abord été adopté par les chanteurs de raï des pays du Maghreb (à tel point que la télévision algérienne a interdit les morceaux avec Auto-Tune, qui menaçaient selon elle le patrimoine du raï, ndlr) et c’est la porosité entre les cultures rap et raï dans les banlieues parisiennes et marseillaises qui a conduit à cette mouvance très ancrée. » 

On se tromperait lourdement, pourtant, en résumant l’Auto-Tune à son utilisation dans les musiques désormais estampillées « urbaines ». Depuis que Radiohead, dès 2001, s’y est essayé sur le diptyque Kid A/Amnesiac, les artistes indés et électro n’ont jamais cessé de jouer avec cette fibre ultrasensible, qui offre une gamme infinie de nuances du moment qu’elle est utilisée comme un coloris parmi d’autres et non en couleur primaire. Dans la pop porcelaine de Vampire Weekend ou même chez le très rigoriste Sufjan Stevens, il s’est infiltré avec délicatesse, presque comme une onde sacrée venue du ciel, quand dans le rock calibré pour les charts, de Maroon 5 ou de Imagine Dragons, il est apparu tel un éléphant bariolé. L’Anglais James Blake ou l’Américain Bon Iver l’ont à ce point intégré à leur palette que des rappeurs aussi fureteurs que Kanye West, Frank Ocean ou Travis Scott ont réclamé en juste retour à utiliser leur savoir-faire au travers de collaborations pour le moins fertiles. Parfois, comme ce fut le cas avec le groupe de country-folk de Nashville Lambchop est son album Showtunes en 2021, la greffe forcée a du mal à prendre, car à trop confondre Drake et Nick Drake on termine souvent sans la confusion la plus sinistre. 

« J’ai le même sentiment avec -l’Auto-Tune qu’avec la reverb ou la compression, confie Panda Bear, membre du groupe Animal Collective dont le dernier album, Time Skiffs, intègre cet effet, mais modérément, sur un seul titre. Tout est une question d’utilisation, un peu comme un pinceau, dont on peut user avec finesse dans un tableau, mais qui peut aussi servir grossièrement à repeindre une façade. J’ai le sentiment que son apport à considérablement modifié la perception d’écoute, le fait que ça ne paraisse ni tout à fait naturel, ni complètement synthétique. Quelque chose de non naturel, mais qui provient d’une source naturelle, ce qui est assez intrigant. » 

Largement utilisé dans la profession, l’Auto-Tune a assuré le triomphe, la notoriété et la fortune d’Andy Hildebrand. En se démocratisant,le logiciel magique s’est changé en une sorte de monstre incontrôlable, faisant du Doctor Andy quelque chose comme un Docteur Frankenstein 2.0. musical.  Quant à Cher, telle une Cendrillon sur le coup de minuit, une fois dépouillée de ce maquillage qui lui donna le temps d’un tube l’apparat d’une princesse, elle est depuis violemment dévaluée. ...

L’inventeur de l’Auto-Tune nous fait chanter, mais juste En un quart de siècle, l’Auto-Tune a changé pour toujours le son de la musique populaire et constitue désormais un marqueur générationnel. Que les parents se résignent : cet effet spécial n’est pas que le son d’une génération. Il est là pour durer.   Lorsqu’il dîne un soir avec des amis, Andy Hildebrand ne se doute pas qu’il est à l’aube de provoquer un tremblement de terre dont les secousses seront ressenties au cours des trente prochaines années. Nous sommes au milieu de la décennie 1990 et ce tout jeune retraité de l’industrie pétrolière est un familier des ondes sismiques, phénomène géologique qu’il a étudié pendant vingt ans, depuis l’obtention de son diplôme d’ingénieur en électricité à l’université de l’Illinois en 1976. Celui que l’on surnomme Doctor Andy est l’inventeur d’une technologie imparable, qui permet de détecter, grâce à l’envoi de signaux acoustiques dans les sous-sols, la présence d’une nappe pétrolière, dispensant ainsi ses clients de coûteux forages à l’aveugle. Embauché par Exxon, puis installé à son compte avec son entreprise Landmark Graphics Corporation, Hildebrand se paye le luxe de tout laisser en plan à l’âge de 39 ans pour, fortune faite, reprendre des études musicales. Car le scientifique, dont les recherches ont bouleversé le monde de l’industrie pétrochimique, est en réalité un musicien contrarié, qui a pratiqué intensément la flûte classique au cours de son enfance et entend mettre à profit son savoir dans un domaine plus directement en lien avec cette passion…

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