Le Président oublié

Jean-Vincent Bacquart

Décidé, martial, accueillant, engagé, strict, détendu, mystérieux ou bienveillant… Immortalisés en couleur, ils posent devant une vénérable bibliothèque, dans un salon d’apparat ou en plein air. Avec ou sans drapeau, tricolore ou européen. Depuis janvier 1959, leurs portraits s’affichent sur les murs de nos mairies et autres bâtiments officiels. En soixante-trois ans, huit présidents se sont succédé à la tête de la Ve République ; huit à être passés, depuis 1965, sous les fourches caudines du scrutin uninominal majoritaire à deux tours, ce rendez-vous incontournable de notre calendrier politique : Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron.

À l’inverse de ceux de leurs prédécesseurs de la IVe République – Vincent Auriol et René Coty –, les noms de ces huit-là sont certainement plus ancrés dans les mémoires. Et puis, au-delà des mentions dans les manuels d’histoire ou de la tendance qu’ont certains à s’en revendiquer sans cesse, la République, reconnaissante, prendra soin de perpétuer leur mémoire en baptisant de leur patronyme bibliothèques, aéroports ou musées. Mais l’histoire et la Constitution réservent parfois quelques surprises. En l’occurrence, un neuvième homme qui, au milieu des présidents « homologués » que nous venons de croiser, occupa lui aussi les plus hautes fonctions. 

Lorsqu’il prend la tête du Sénat à la fin des années 1960, le centriste Alain Poher est loin d’imaginer qu’il devra bientôt s’asseoir dans le fauteuil présidentiel. Né en 1909, cet ingénieur de formation, devenu haut-fonctionnaire, combat durant la campagne de France de mai-juin 1940, où il est blessé. Engagé dans la Résistance, leader du groupe Libération Nord au sein du ministère des Finances, il est élu sénateur pour la première fois en 1946. Proche de Robert Schuman, cet Européen convaincu occupe plusieurs postes ministériels sous la IVe République avant d’être élu le 3 octobre 1968 à la présidence de la Chambre haute.

À titre intérimaire, Alain Poher va exercer durant cinquante-trois jours les fonctions de président de la République, jusqu’au scrutin de juin 1969.

En avril 1969, le général de Gaulle soumet aux Français, par référendum, une question a priori peu clivante : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat ? » Moins d’un an après Mai 1968, le scrutin se transforme en vote de rejet, plus de 52 % des électeurs glissent un bulletin « non » dans l’urne. Le chef de l’État, qui a mis son poste dans la balance, démissionne. 

Les hommes trébuchent, la République reste debout. L’article 7 de la Constitution de 1958 entre immédiatement en application : en cas de vacance de la présidence de la République, pour quelque cause que ce soit, ou d'empêchement constaté par le Conseil constitutionnel, les fonctions du président de la République sont provisoirement exercées par le président du Sénat. Le 28 avril 1969, Alain Poher se présente donc au palais de l’Élysée, convoque le Premier ministre, Maurice Couve de Murville, dont le gouvernement est maintenu en place, et annonce qu’il s’adressera à la nation. À titre intérimaire, il va exercer durant cinquante-trois jours les fonctions de président de la République, jusqu’au scrutin de juin suivant. Il se présente à la magistrature suprême et est battu au second tour par Georges Pompidou. Il retrouve ses fonctions au Sénat.
Historien, éditeur, Jean-Vincent Bacquart est doctorant à Sorbonne Université, attaché au Centre d'histoire du XIXe siècle. Ses recherches portent sur les ordres religieux et militaires, notamment sur l’ordre du Temple et ses résurgences apparues aux XVIIIe et XIXe siècles.
Le 2 avril 1974, l’histoire se répète. Georges Pompidou meurt. Pour la deuxième fois en moins de cinq ans, Alain Poher est appelé à incarner la continuité des institutions républicaines. Ces cinquante-cinq jours passés à l’Élysée seront, pour celui qui fut aussi président du Parlement européen de 1966 à 1969, l’occasion de lancer le programme Airbus et de promulguer la loi de ratification de la Convention européenne des droits de l'homme, un acte attendu depuis vingt-quatre ans. 

Alain Poher ne se présente pas aux élections de 1974, laissant Valéry Giscard d’Estaing descendre dans l’arène face à François Mitterrand. Et les présidents de la République de se succéder, sous le regard de celui qui conservera les rênes du Sénat jusqu’en 1992, après avoir exercé huit mandats consécutifs. ...

Décidé, martial, accueillant, engagé, strict, détendu, mystérieux ou bienveillant… Immortalisés en couleur, ils posent devant une vénérable bibliothèque, dans un salon d’apparat ou en plein air. Avec ou sans drapeau, tricolore ou européen. Depuis janvier 1959, leurs portraits s’affichent sur les murs de nos mairies et autres bâtiments officiels. En soixante-trois ans, huit présidents se sont succédé à la tête de la Ve République ; huit à être passés, depuis 1965, sous les fourches caudines du scrutin uninominal majoritaire à deux tours, ce rendez-vous incontournable de notre calendrier politique : Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. À l’inverse de ceux de leurs prédécesseurs de la IVe République – Vincent Auriol et René Coty –, les noms de ces huit-là sont certainement plus ancrés dans les mémoires. Et puis, au-delà des mentions dans les manuels d’histoire ou de la tendance qu’ont certains à s’en revendiquer sans cesse, la République, reconnaissante, prendra soin de perpétuer leur mémoire en baptisant de leur patronyme bibliothèques, aéroports ou musées. Mais l’histoire et la Constitution réservent parfois quelques surprises. En l’occurrence, un neuvième homme qui, au milieu des présidents « homologués » que nous venons de croiser, occupa lui aussi les plus hautes fonctions.  Lorsqu’il prend la tête du Sénat à la fin des années 1960, le centriste Alain Poher est loin d’imaginer qu’il devra bientôt s’asseoir dans le fauteuil présidentiel. Né en 1909, cet ingénieur de formation, devenu haut-fonctionnaire, combat durant la campagne de France de mai-juin 1940, où il…

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