Notre-Dame ©Laura Ancona

Notre Star de Paris

Pascale Desclos

Notre-Dame, du moyen-âge à la renaissance
Trois ans après l’incendie qui a ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris en avril 2019, Jean-Jacques Annaud sort au cinéma un film d’action qui nous replonge au cœur des flammes et de l’émotion. Un éclairage à chaud sur notre nouveau rapport au passé.

Le soir du 15 avril 2019, sur la place Saint-Michel à Paris, une foule se presse, étrangement silencieuse, presque solennelle. Alors que la nuit tombe, quelques voix s’élèvent pour chanter « Je vous salue Marie ». Malgré l’air enfumé et les tentatives de dispersion des forces de l’ordre, toutes et tous sont accourus pour voir, de leurs yeux, ce qui semblait proprement inimaginable : Notre-Dame de Paris brûle. « Il y a tellement de gens qui sont morts pour construire cette cathédrale », se désole une dame, peinant à retenir ses larmes. Devant les écrans, on suit aussi avec attention la progression des flammes. On se prévient, en famille, entre amis, les larmes aux yeux, la gorge nouée, incapables de s’arracher au spectacle de la flèche consumée qui s’effondre, diffusée en boucle sur les téléviseurs et les réseaux sociaux. Du monde entier, les messages de soutien affluent comme aux heures des grandes catastrophes, alors même qu’on ne déplore aucune victime.

Déjà, la bande annonce diffusée sur les réseaux sociaux ravive nos mémoires et nous promet le grand frisson.

Une émotion passagère, bien vite balayée par les controverses sur la sécurité, les décisions présidentielles, les projets de reconstruction. Trois ans ou presque après le drame, les faits sont pourtant là : aux derniers comptages, la collecte de fonds pour la cathédrale Notre-Dame a atteint 842,8 millions d’euros, émanant de donateurs de plus de deux-cents pays, mais aussi de mécènes comme les familles Arnault, Bettencourt-Meyers, Pinault, les entreprises Total, Axa, De Rothschild SA, Decaux ou encore la Fondation Michelin. « Et l’élan de générosité pour financer les travaux de restauration ne tarit pas », assure le Général Louis Georgelin, missionné par le président Macron pour piloter la restauration de Notre-Dame de Paris. Oublié le « geste architectural contemporain » envisagé un temps pour reconstruire la cathédrale. Il n’y aura ni flèche en verre, ni jardin ou terrasse panoramique sur le toit de Notre-Dame, la cathédrale sera restaurée à l’identique, au plus près possible de son état avant l’incendie du 15 avril 2019. La phase de sécurisation du bâtiment achevée, les travaux ont d’ailleurs démarré cet hiver, avec pour objectif de rendre la cathédrale au culte et à la visite en 2024. Mille chênes soigneusement sélectionnés ont déjà été récoltés et sciés pour reconstruire la flèche, la charpente, le transept, les travées…

En attendant l’achèvement des travaux, qui s’annoncent titanesques, pas de répit pour les âmes sensibles, the show must go on. Car le drame de Notre-Dame s’est révélé une puissante source d’inspiration pour les médias, tous genres confondus. Alors que le réalisateur Jean-Jacques Annaud (La Guerre du Feu, Le Nom de la Rose, L’Ours, Sept ans au Tibet, Or noir…) s’apprête à sortir le  long-métrage Notre-Dame brûle, annoncé au cinéma le 16 mars, Netflix, le géant du streaming, a démarré en juillet 2021 le tournage de Notre-Dame, la part du feu, une mini-série documentaire française en six épisodes de soixante minutes créée par Hervé Hadmar (Romance, Les Témoins). Deux œuvres qui, chacune à leur manière, veulent raconter le combat des quatre-cents soldats du feu qui ont lutté contre l’incendie, dans une chaleur suffocante et parfois au péril de leur vie, à l’intérieur de la cathédrale. Plus étonnant : Ubisoft, le studio français de développement de jeux vidéo, prépare actuellement en partenariat avec les films Pathé un escape game en réalité virtuelle autour de l’incendie de Notre-Dame : l’idée sera de parcourir la cathédrale à la recherche de reliques, tout en combattant le feu qui se propage.

À l’heure d’écrire ces mots, le montage de Notre-Dame brûle n’est pas tout à fait achevé, la promotion du film n’a pas démarré et le black-out règne encore. Mais déjà, la bande annonce diffusée sur les réseaux sociaux ravive nos mémoires et nous promet le grand frisson. Sur un fond musical épique, les images cut défilent en 58 secondes : vue aérienne de Notre-Dame intacte sur la Seine paisible / Touristes sur le parvis de la cathédrale un jour d’été / Flèche de la cathédrale en cours de restauration, dans une gangue d’échafaudages / Gros plan sur la statue de la Vierge Notre-Dame du Pilier, l’incarnation de la cathédrale / Travelling dans la charpente en chêne, avant sa destruction/ Image floutée du coupable présumé de l’incendie / Un coffret électrique resté sous tension après le départ des ouvriers du chantier...

« Côtoyer de près les pompiers qui ont vécu l’incendie de Notre-Dame et rendre hommage à leur courage, c’était bouleversant. »

Alors que la cathédrale se transforme en brasier, la voix grave du comédien Jean-Paul Bordes (Les Promesses, Illusions perdues...) rappelle le code d’honneur de la BSPP, la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris : « Tu m’appelles, j’accours. Mais assure-toi de m’avoir alerté par les voies les plus rapides et les plus sûres. Les minutes d’attente te paraîtront longues, mais dans ta détresse, pardonne mon apparente lenteur. » « Le soir même de l’incendie, j’ai senti les extraordinaires mérites cinématographiques de cette interminable nuit, expliquait le réalisateur Jean-Jacques Annaud à l’AFP durant le tournage. Au-delà du désastre et du chagrin, il y avait l’émotion et le spectacle du feu. C’est un personnage, le feu. Alors j’ai voulu montrer ce que personne n’a encore vu : le drame vu de l’intérieur. Les difficultés pour accéder à la cathédrale, aux coursives, l’étroitesse des passages et le sang-froid remarquable des pompiers… Je n’aurais jamais osé faire ces rebondissements dramatiques si ce n’était pas verrouillé sur la vérité. » Pour respecter le déroulé précis des événements, Jean-Jacques Annaud a commencé par écouter les témoignages de tous les pompiers ayant vécu la catastrophe. Il a également longuement échangé avec Philippe Villeneuve, l’architecte en chef des monuments historiques en charge de la restauration de Notre-Dame, mais aussi les membres du clergé, les politiques.

Produit par le co-président de Pathé, Jérôme Seydoux, pour un budget de trente millions d’euros, Notre-Dame brûle représentait évidemment un véritable défi technique, puisqu’il était impossible de filmer dans la cathédrale détruite. Quelques séquences ont été tournées sur le parvis, en tournant le dos au chantier, beaucoup d’autres dans les cathédrales de Sens, Amiens et Bourges, ainsi qu’à la basilique de Saint-Denis, autant de monuments historiques difficiles à investir, car sous haute protection ; les scènes d’incendie, elles, ont été recréées dans les studios de la Cité du cinéma à Saint-Denis.

Pour ce faire, il a d’abord fallu retrouver les plans de Notre Dame, « un véritable film dans le film », raconte le chef décorateur Jean Rabasse, qui avoue avoir participé ici au tournage le plus technique de sa vie. « Après une véritable enquête policière, on a fini par mettre la main sur les dessins du XIXe siècle de l’architecte Viollet-le-Duc à la médiathèque de l’architecture et du patrimoine de Charenton-le-Pont, dans le Val-de-Marne. On les a recoupés avec l’énorme base de données 3D que les experts du CNRS étaient en train d’établir dans la cathédrale détruite, explique-t-il. Notre reconstitution de Notre-Dame, bien qu’elle reste le plus fidèle possible à la réalité, est une synthèse, une interprétation de tout cela. D’abord parce qu’on a beau la digitaliser, la cathédrale est un organisme vivant, une sculpture réalisée au fil du temps par des artisans aux méthodes ancestrales, et non par des bureaux d’études contemporains. Mais aussi parce que le cinéma a ses propres exigences. À la différence des architectes, nous avons le souci du rendu de l’image, du détail, des patines. Notre but était aussi de mettre le feu à notre cathédrale virtuelle, d’y filmer des acteurs en action et de faire résister nos décors à quatre jours de tournage ! »

Plusieurs parties du bâtiment ont été reproduites sur différents plateaux, notamment le beffroi de la tour Nord, d’une hauteur de treize mètres, rebâti à l’échelle 1/1 avec ses coursives et ses escaliers. Après avoir testé différents matériaux, comme le béton et la résine, l’équipe a opté pour le plâtre et le bois, seuls capables de résister à des températures de 1 200° C pendant des jours. Les cinq cloches de Notre-Dame ont elles aussi été remoulées en plâtre, peint et patiné pour ressembler à du métal vieux de huit siècles. Pour recréer les flammes de l’incendie, des rampes à gaz pilotées par ordinateur ont été incrustées dans chaque poutre du décor. « Chaque centimètre carré était contrôlé, on pouvait allumer et éteindre le feu en deux secondes, poursuit Jean Rabasse. Bien sûr, le traitement numérique de l’image vient prolonger l’effet rendu par les flammes, mais cette manière de procéder ajoute à la véracité de l’action, donne aux comédiens, filmés au plus près des flammes, la sensation du danger. »

Durant le tournage du film, un adjudant des pompiers de Paris, nommé conseiller technique, s’est assuré que tout ce qui était montré à l’écran était crédible. Les acteurs se sont aussi immergés dans la caserne de Port-Royal, sur la rive gauche de Paris, pour se former aux gestes du métier. Tous en ont retiré une expérience à part, où l’émotion est palpable. « Côtoyer de près les pompiers qui ont vécu l’incendie de Notre-Dame et rendre hommage à leur courage, c’était bouleversant, témoigne le comédien Jean-Paul Bordes, qui endosse dans le film le rôle du général Gallet, commandant la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris en binôme avec le général Gonthier en 2019. Le film met en lumière des anecdotes ignorées du grand public. On y apprend par exemple que quand l’incendie s’est déclaré, le général Gallet, qui n’était pas d’astreinte ce jour-là, a laissé son homologue le général Gonthier aux commandes des opérations pendant qu’il créait lui-même sur le parvis de Notre-Dame un faux PC, une sorte de leurre pour canaliser les politiques. Une manière d’éviter de rejouer la bousculade qui avait gêné l’intervention des soldats du feu après l’explosion de gaz rue de Trévise, dans le IXe arrondissement de Paris, en janvier 2019.

Le souvenir le plus fort que l’acteur garde du film ? Une scène tirée du 19 avril 2019, tournée en deux parties, d’abord sur le parvis de Notre-Dame (la cathédrale en chantier étant hors perspective) puis à la cathédrale de Sens. Il faut imaginer le parvis alors transformé en fourmilière géante, grouillant de camions rouges, de lumières bleues, traversé par les tuyaux mouillés, ondulants comme des serpents. Les lances à incendie que déploient les pompiers semblent dérisoires par rapport à la taille des flammes qui s’échappent de la toiture, à plus de vingt mètres de haut. Soudain, un bruit énorme retentit. La flèche vient de se briser, coupée net en deux. Son sommet valdingue sur le côté, tandis que sa base s’affaisse sur elle-même, arrachant la toiture, emportant la voûte de pierre et dégringolant en dessous, vers la nef, sur l’autel. « La chute de la flèche a provoqué un énorme appel d’air. À ce moment précis, le général Gallet réalise que tout peut s’effondrer, que ses hommes risquent de rester piégés à l’intérieur, reprend Jean-Paul Bordes.  Il s’élance en courant vers la porte Nord et parvient à la rouvrir en force, avec l’aide de plusieurs hommes. Découvrant l’étendue des dégâts, il hurle : “Je ne veux plus personne à l’intérieur !” » Dès lors, les interventions des pompiers vont se concentrer sur l’extérieur du bâtiment…

Le comédien Maximilien Seweryn joue pour sa part le rôle du sergent-chef Reynald, envoyé sur le lieu du sinistre durant les dernières heures de l’incendie. Un homme qui connaît dans ses moindres recoins la cathédrale Notre-Dame, pour s’y être souvent entraîné. « Avant le tournage, j’ai subi une formation intensive de plusieurs jours avec les pompiers de Paris. Il fallait apprendre à communiquer et se déplacer vite, se familiariser avec l’équipement, les tuyaux extrêmement lourds qu’il faut raccorder par des sortes de multiprises aux camions citernes, les cordes, les haches et ce qu’on appelle le halligan tool, un outil qui sert à défoncer les portes et casser les vitres. » Dans une de ses scènes-phares, il est envoyé en mission dans la tour Sud de la cathédrale, menacée à son tour par les flammes poussées par les vents. En grimpant les trois-cent-soixante-dix marches, il remarque des brèches dans la colonne sèche qui empêchent la montée de l’eau censée alimenter les lances à incendie de ses camarades, à l’étage. Redescendu au PC, il propose à ses supérieurs un dispositif bis permettant d’éteindre le brasier de la tour Sud depuis la tour Nord, avec des lances à incendie glissées par la passerelle les reliant. Et il se porte volontaire pour participer au « commando-suicide » de quinze hommes qui finira par venir à bout de l’incendie, sans déplorer de victime, heureusement.

« Le tournage dans les studios de la Cité du Cinéma était incroyablement physique. On avançait dans le noir, dans la fumée, dans la chaleur, sous les chutes de pierres, mouillés jusqu’aux os. L’occasion de comprendre pourquoi les pompiers, aussi dingue que cela puisse paraître, considèrent l’eau comme un danger mortel : dans un brasier, un homme mouillé cuit littéralement à la vapeur. Et franchement, pris par l’action, par le timing à respecter pour allumer les tonnes de kérosène du décor, on oubliait qu’on tournait dans un faux beffroi ! » L’ambiance du tournage de nuit sur le parvis de Notre Dame, les énormes caméras, montées sur des bras télescopiques, avec lesquelles il faut danser, le ballet des camions de pompiers ont aussi marqué l’acteur de 32 ans : « À ce moment-là, on était tous en connexion avec Notre-Dame, ce qu’elle représente. On ressentait la gravité du moment aussi intensément que lors de la nuit du 15 avril 2019. » Ce soir-là, Maximilien Seweryn répétait avec son groupe de rock Buffalo Clash quand il a appris la nouvelle de l’incendie. En rentrant dans son quartier de Montmartre, il est monté au Sacré-Cœur et c’est de là qu’il a vu la flèche de Notre-Dame s’écrouler. Frayeur et désolation.

Au-delà de la passion suscitée par le film au format hollywoodien de Jean-Jacques Annaud, l’incendie de Notre-Dame, on l’a dit, a provoqué un élan général d’émotion, traduit par la sidération, l’affluence des dons, les vifs débats autour de la reconstruction. Autant de manifestations humaines sur lesquelles se penchent aujourd’hui les chercheurs pour comprendre notre relation au patrimoine, notre rapport au temps passé et aux vieilles pierres. Après le bilan des pertes, le chantier scientifique coordonné par le CNRS et le ministère de la Culture qui s’est ouvert à Notre-Dame a mis en œuvre plus de vingt-cinq laboratoires scientifiques et une centaine d’experts chargés de fouiller l’histoire de l’édifice et d’évaluer les possibilités de réemploi des matériaux. Les uns se sont concentrés sur le bois, les autres sur la pierre, les armatures métalliques, l’acoustique ou les vitraux qui avaient survécu à l’incendie car ils étaient protégés par une ancienne et épaisse couche de suie. Le LAHIC, le Laboratoire d’anthropologie et d’histoire de la culture à Paris, s’est intéressé pour sa part à la dynamique sociale autour de la cathédrale mutilée. Une quinzaine de spécialistes ont ainsi analysé le rôle des journalistes, récolté des tweets et des posts Facebook, étudié le rôle du discours et des images dans l’orchestration des émotions…

« Notre-Dame est un objet anthropologique complexe, à la fois symbole national et international, lieu touristique et lieu de foi, explique l’anthropologue Cyril Inard, qui a codirigé le groupe de travail au sein du chantier CNRS.  Édifié à la gloire du catholicisme, et encore vénéré comme tel par les fidèles, ce bâtiment s’est vu peu à peu investi par des visiteurs détachés de tout sentiment religieux. Logiquement, la perte d’influence du christianisme aurait dû entraîner la désaffection de l’édifice. Mais non, bien au contraire, il continue de fasciner les foules, parce que la sacralité qui lui était initialement attachée s’est déplacée vers la dimension patrimoniale, avec ses valeurs d’universalité et de pérennité. C’est ainsi qu’une cathédrale est devenue un symbole non d’une religion, mais d’une nation et, qui plus est, d’une république laïque. La particularité du drame survenu à Notre-Dame a été de mettre en action, dans un temps très court et avec une intensité remarquable, un registre très large d’émotions. » À commencer par celui de l’attachement ordinaire. Notre-Dame, visitée en voyage de noces, où l’on a été ordonné, que l’on voit de sa fenêtre… fait tout simplement partie de la vie des gens. C’est bien ce qui a été mis en œuvre immédiatement dans l’affiche pour appeler aux dons : « Parce que c’est Notre-Dame », référence à la phrase de Montaigne : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »

C’est ainsi qu’une cathédrale est devenue un symbole non d’une religion mais d’une nation, et, qui plus est, d’une république laïque.

« Mais il n’y a jamais consensus autour d'un objet patrimonial, poursuit Cyril Isnart. Il se définit aussi par les polémiques et les antagonismes. » Si la déploration de la perte a d’abord été unanime, des voix discordantes se sont effectivement vite fait entendre. Notre-Dame est même devenue un emblème de la sédition lorsque des gilets jaunes ont brandi des pancartes « Notre-Dame, c’est pas nous », ou pointé l'indécence des dons. De fait, ces dons et ces mobilisations ont répondu à des motivations variées, parfois teintées d'idéologie, et la volonté citoyenne de participer à l'élan national n'était pas toujours exempte d’un désir de  visibilité dans l’espace public. De même, les débats sur la restauration de Notre-Dame, la question de savoir s’il fallait la rebâtir à l’identique ou la transformer en disent long sur les enjeux politiques. « Instituer le patrimoine, c'est instituer le récit de la Nation », explique l'anthropologue. C’est d’ailleurs la voix de la majorité qui l’a finalement emporté.

« Notre-Dame est un objet anthropologique complexe, à la fois symbole national et international, lieu touristique et lieu de foi. »

Tous ces ingrédients réunis font de l’incendie de la cathédrale un cas hors norme de ce que les chercheurs appellent une « émotion patrimoniale », révélatrice d’un nouveau rapport au passé dans nos sociétés européennes qui, en un demi-siècle, ont glissé du « temps du monument » au « temps du patrimoine ». Le LAHIC avait déjà auparavant étudié d’autres cas de mobilisations populaires en faveur d’un patrimoine considéré comme menacé, soit par des projets de modernisation des abords, comme l'église Saint-André de Carcassonne, soit par des destructions accidentelles, comme le Parlement de Bretagne en 1994, le château de Lunéville en Lorraine en 2003 ou les arbres du parc de Versailles après la tempête de 1999. On pense aussi forcément aux Twin Towers de New York, aux bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan ou, plus récemment, aux vestiges de Palmyre en Syrie, autant de lieux où la douleur de la perte s’est doublée de la colère face au caractère criminel des attentats contre des lieux considérés comme intouchables et inappropriables. Rien de tel dans le drame de la cathédrale parisienne, où l’indignation ne peut viser que l’insuffisance des mesures de sécurité et des moyens affectés à la préservation des monuments historiques. Mais Notre-Dame a un statut hors norme. Irremplaçable, porteuse de valeurs hautement prisées, elle nous relie à la fois, dans l’espace, à une communauté élargie à l’échelle planétaire et, dans le temps, à nos ancêtres comme à nos descendants.

Finalement, nous disent les chercheurs, ce qu’on a pleuré le soir de l’incendie n’est pas tant une charpente du XIIIe siècle dont la plupart des Français ignoraient d’ailleurs l’existence, une flèche du XIXe siècle érigée par un architecte aux restaurations longtemps controversées, un symbole de la grandeur nationale ou un monument du culte catholique, que le sentiment de la fragilité de notre inscription collective dans l’Histoire. « C’est le sentiment de l’impermanence des choses, cette conscience de la relativité des œuvres humaines, plus aigüe que jamais dans nos sociétés modernes en perte de repères, et dont le patrimoine est devenu le remède, brandi comme une sorte d’antidépresseur ou l’antidote à l’arasement de la diversité des cultures du monde par la globalisation. » Oui, les vieilles pierres nous rassurent. Et tous les non-catholiques qui ont donné de l’argent pour la restauration de Notre-Dame ou qui iront voir le film Notre-Dame brûle font, qu’ils le veuillent ou non, un acte politique. Un acte qui dit leur appartenance à la Nation que symbolise ce chef-d’œuvre en péril et à la civilisation qui en a permis la création et – tant bien que mal – la -préservation....

Notre-Dame, du moyen-âge à la renaissance Trois ans après l’incendie qui a ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris en avril 2019, Jean-Jacques Annaud sort au cinéma un film d’action qui nous replonge au cœur des flammes et de l’émotion. Un éclairage à chaud sur notre nouveau rapport au passé. Le soir du 15 avril 2019, sur la place Saint-Michel à Paris, une foule se presse, étrangement silencieuse, presque solennelle. Alors que la nuit tombe, quelques voix s’élèvent pour chanter « Je vous salue Marie ». Malgré l’air enfumé et les tentatives de dispersion des forces de l’ordre, toutes et tous sont accourus pour voir, de leurs yeux, ce qui semblait proprement inimaginable : Notre-Dame de Paris brûle. « Il y a tellement de gens qui sont morts pour construire cette cathédrale », se désole une dame, peinant à retenir ses larmes. Devant les écrans, on suit aussi avec attention la progression des flammes. On se prévient, en famille, entre amis, les larmes aux yeux, la gorge nouée, incapables de s’arracher au spectacle de la flèche consumée qui s’effondre, diffusée en boucle sur les téléviseurs et les réseaux sociaux. Du monde entier, les messages de soutien affluent comme aux heures des grandes catastrophes, alors même qu’on ne déplore aucune victime. Déjà, la bande annonce diffusée sur les réseaux sociaux ravive nos mémoires et nous promet le grand frisson. Une émotion passagère, bien vite balayée par les controverses sur la sécurité, les décisions présidentielles, les projets de reconstruction. Trois ans ou presque après le drame, les faits…

Pas encore abonné(e) ?

Voir nos offres

La suite est reservée aux abonné(e)s


Déjà abonné(e) ? connectez-vous !



Zeen is a next generation WordPress theme. It’s powerful, beautifully designed and comes with everything you need to engage your visitors and increase conversions.

Top Reviews