Cinema : Licorice Pizza

Le temps retrouvé

Michel Palmieri

Avec Licorice Pizza, Paul Thomas Anderson (PTA) ajoute un neuvième tome à son œuvre proustienne, poursuivant sa quête de madeleines en revisitant ses souvenirs d’enfance et ses obsessions américaines. Ici encore, PTA voyage dans le temps, revenant pour la troisième fois (après Boogie Nights et Inherent Vice) à ces seventies qui le virent naître, mais reste immobile dans l’espace : comme dans la plupart de ses autres films, l’action se déroule en Californie, autour de Studio City, un quartier de Los Angeles où est né le réalisateur et dont la population se divise en deux catégories : ceux qui travaillent dans le show-business et ceux qui rêvent d’y entrer.

Si le film appartient à un genre nouveau pour lui, le Teen Movie, avec sa flambée d’hormones, sa gaîté communicative et son rythme entraînant, il n’en ressasse pas moins les thématiques présentes dans les précédents longs métrages de PTA : la réussite professionnelle (les héros sont toujours des entrepreneurs), le pétrole (There Will Be Blood, son chef-d’œuvre) ou le porno naissant (Boogie Nights, son tout premier). Le jeune Gary, interprété par Cooper Hoffman, est un enfant acteur de quinze ans, prompt à saisir toute opportunité pour lancer sa start-up : on le voit plonger sur le commerce des waterbeds, une tocade hippie bien réelle à cette époque, ou dans l’exploitation de flippers, les jeux vidéo d’avant la vidéo. L’autre protagoniste, Alana (Alana Haïm), de dix ans son aînée, forme avec lui un couple bancal, agité de passions confuses où se mêlent désir juvénile, sentiment amoureux et ambition sociale. 

De l’aveu même du réalisateur, la jeunesse des personnages centraux a été essentielle à l’aboutissement du projet, un temps menacé par la sortie du dernier film de son ami Quentin Tarantino, Once Upon a Time… in Hollywood, qui évoque la même période et traverse des lieux identiques, mais vus par des quadragénaires en fin de parcours. Reste que les similitudes sont grandes, tant que le cinéaste avoue avoir un temps songé à renoncer à Licorice Pizza. Dans ces mises en scène du Hollywood des seventies, on croise de vrais acteurs connus qui interprètent des célébrités de fiction (ici Sean Penn et Bradley Cooper notamment, chez Tarantino Al Pacino ou Dakota Fanning) et des foules bariolées, portant bandanas et pantalons pattes d’éph, qui s’agitent langoureusement au rythme d’une bande originale époustouflante. 

Mais dans cette même ambiance foutraque, les motivations qui entraînent les protagonistes et les liens qui les unissent diffèrent. Rocambolesques et réjouissantes, les aventures de Gary et Alana sont filmées avec tendresse et délectation par un réalisateur qui connaît bien, et depuis longtemps, les acteurs qui les interprètent : Cooper Hoffman (Gary) est le fils de Philip Seymour Hoffman, ami et comédien fétiche de PTA, présent dans cinq de ses cinq films. Quant à Alana Haïm (Alana), elle a formé, avec ses deux sœurs aînées, un ensemble musical, HAIM, pour lequel PTA a tourné plusieurs clips. Une proximité affirmée par la présence au générique de la famille Haïm au grand complet, réunie dans une joyeuse scène de repas traditionnel du vendredi soir. Un lien nécessaire pour un réalisateur qui dit ne pas diriger ses acteurs, mais simplement écrire pour eux.

À cinquante ans, Paul Thomas Anderson semble avoir pris quelque distance avec la cruauté et la douleur qui traversaient nombre de ses réalisations passées, There Will Be Blood, bien sûr, mais aussi Magnolia et jusqu’à Phantom Thread, son dernier opus avant Licorice Pizza. Une sérénité contagieuse qui laisse le spectateur dans un état de douce sidération, longtemps après que l’écran s’est éteint.  

Licorice Pizza, de Paul Thomas Anderson.
Avec Cooper Hoffman et Alana Haïm. En salle.



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