Pape Diouf et Sylvère-Henry Cissé à Dakar
Pape Diouf et Sylvère-Henry Cissé à Dakar

Secret de Pape

Sylvère-Henry Cissé

Voilà deux ans qu’il nous a quittés, le 31 mars 2020, emporté par la Covid. Pape Diouf, le « Grand », comme je le surnommais affectueusement reste une énigme. Une personnalité charismatique qui était souvent là où ne l’attendait pas, comme au printemps 2019.

Nous étions une bande d’amis à refaire le monde sur la terrasse du Terrou-Bi, l’hôtel où nous aimions nous retrouver lors de nos stops à Dakar. Face à la mer, avec la vue sur les îles de la Madeleine, comme dans un bon vieux film d’Yves Robert ou de Claude Sautet, nous devisions avec une pensée émue pour nos amis disparus. Très souvent, surgissant de nulle part, Tunde débarquait au milieu de nos conversations. Le fameux clubber dakarois avait pour habitude de faire la tournée des terrasses et des bars avant de s’enfoncer dans les chaudes nuits du quartier des Almadies. Il adorait montrer à la cantonade sa proximité avec Pape. Tout de noir vêtu, avec un déploiement impressionnant de bagues en fer blanc aux doigts et de colliers tintinnabulant autour du cou, moulinant ses bras dans les airs pour rejouer des vieilles histoires, Tunde ponctuait chacune de ses saillies plus ou moins drôles du geste démonstratif de l’éclair, la fameuse célébration d’Usain Bolt, et d’un « Présidentttttt » très sonore. C’est ainsi que l’homme de la nuit signifiait sa dévotion à Pape, qu’il regardait, comme tous les Sénégalais, comme une sorte de demi-dieu.

Pape n’avait aucune envie de reprendre une direction opérationnelle dans un club. Sa vie de « sage » du football, d’émérite conférencier, lui convenait.

Il y avait de l’amitié, des sourires et surtout des rires à chacune de nos retrouvailles avec les amis et Pape. Pendant que Tunde amusait la galerie, Pape se pencha vers moi. Avec la voix grave et profonde qu’on lui connaissait, il me glissa à l’oreille, comme si de rien n’était : « McCourt m’a appelé. » Depuis son départ de l’OM en 2009, des rumeurs couraient régulièrement sur le retour de Pape à la tête d’un club. Mais cette annonce avait une saveur particulière. J’imaginais déjà avec gourmandise la fumée blanche sortir des bandeaux des chaines d’infos : Pape de retour à l’OM. Cinquième à l’issue de la saison 2018-2019 de Ligue 1, privé de Coupe d’Europe, le club phocéen n’était que l’ombre de lui-même et devait réagir pour espérer retrouver son lustre d’antan. Un de ses enfants, son fils prodigue, pouvait enfin le lui rendre et l’extraire de ses défaillances chroniques. Franck McCourt, le milliardaire américain propriétaire du club, avait donc contacté l’un de ses anciens présidents les plus emblématiques.

– C’est super, tu…, lâchai-je très enthousiaste.

Il me coupa et trancha aussitôt :

– De toutes les façons, il ne se passera rien.

Pape aperçut le désarroi dans mon regard. Lui qui se montrait toujours d’un sérieux à tout épreuve sourit, amusé par son effet.

– Mais pourquoi, Pape ? lui demandai-je, décontenancé.

– Écoute, j’ai posé trois conditions et je ne pense pas qu’il soit prêt à les accepter.

Il les égrena lentement, avec une certaine délectation

– Premièrement, que mon salaire soit aligné sur le joueur le mieux payé du club. Deux, que McCourt éponge la dette du club pour recruter. Trois, d’avoir une très, très, très grosse enveloppe qui me permette d’être compétitif avec les plus grands clubs d’Europe.

Il esquissa ce rictus angélique qui gonflait ses joues à la manière d’un trompettiste et élargissait sa moustache fournie. Je sondai son regard plein de malice et compris en réalité que Pape n’avait aucune envie de reprendre une direction opérationnelle dans un club. Sa vie de « sage » du football, d’émérite conférencier, souvent consulté comme expert à la télévision et à la radio, lui convenait. Il était souvent approché et sondé pour reprendre en main une équipe. Mais à chaque fois, il ne laissait que peu d’espoir à ses interlocuteurs.

Je savais qu’il ne servait à rien d’insister ou de demander des explications. Chez Pape, les réactions épidermiques étaient rares, c’était un homme très réfléchi, qui évitait d’être guidé par ses émotions. Comme très souvent, avec peu de mots et un art consommé de la synthèse, il résuma la situation d’une phrase :

– L’OM n’a pas besoin d’un homme providentiel, mais de retrouver une âme.

Il me fixa avec son sourire si doux, comme si tout était dit, avant de reprendre nos conversations sur le monde, sur Baltasar Gracián, qui nous inspirait grandement et sur la vie. Pape Diouf, première victime officielle de la Covid au Sénégal, est parti le 31 mars 2020. Si vos pas vous guident vers Dakar, visitez sa dernière demeure et rendez lui hommage au cimetière musulman de Yoff. Sa tombe est à son image : solide, en granit, sobre et élégante, sans ornement.



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