TPMP, droite en direct - Pierre Sérisier

TPMP, droite en direct

Pierre Sérisier

Depuis la crise des gilets jaunes, Touche pas à mon poste ! a changé de statut. L’émission « d’infotainment » occupe une place que les acteurs politiques ne peuvent plus ignorer. À quelques encablures de l’élection présidentielle, TPMP est devenue ce que son animateur et producteur Cyril Hanouna souhaitait : un point de passage obligé pour ceux qui entendent toucher un électorat qu’ils peinent à atteindre d’ordinaire.

À la faveur de la contestation visant Emmanuel Macron à l’automne 2018 et au printemps 2019, Hanouna a offert une audience à des personnes dont la parole était souvent ignorée ou inaudible. Cette audience, selon une étude de l’Ifop réalisée pour Le Point en mai 2021, regroupe en majorité des jeunes, des personnes peu diplômées, des inactifs et des femmes au foyer. Sur le plan politique, ce public (environ 1,5 million de téléspectateurs chaque soir) réunit 33 % des électeurs de Marine Le Pen de 2017, 32 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, mais 25 % de ceux de Benoît Hamon ou 18 % de ceux de François Fillon. Comme l’avouait la ministre Marlène Schiappa en 2019, si un candidat a un message à faire passer, il est préférable de mettre Cyril Hanouna dans la boucle. Cette réévaluation de son statut constitue une reconnaissance officielle de l’animateur, indispensable à la grille des programmes de C8.

« Lorsque Marlène Schiappa dit qu’elle verrait bien Cyril Hanouna animer le débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle, elle lui apporte une légitimité fondamentale, alors qu’il y a quelques années, c’était l’animateur clown avec les nouilles dans le slip », rappelle Claire Sécail, chargée de recherche au CNRS participant à une étude collective sur la campagne électorale 2022. Depuis trois ans, les ministres viennent régulièrement sur le plateau de TPMP, ayant vaincu les appréhensions qu’ils pouvaient nourrir face à un rendez-vous plus dédié à la farce qu’à l’échange d’arguments. « Il y a un clientélisme gouvernemental, poursuit Claire Sécail. Cela revient à : je te donne la légitimité et la respectabilité que tu souhaites en venant dans tes émissions et tu me donnes de l’espace médiatique pour diffuser des messages à des publics auxquels j’ai du mal à parler habituellement. »

Cette bienveillance envers l’exécutif actuel se double d’un autre tropisme qui, lui, contribue au glissement du débat vers les thématiques d’extrême droite et en particulier la candidature du polémiste Éric Zemmour. Depuis son départ de CNews, l’ancien journaliste a trouvé une nouvelle tribune au sein de la galaxie Bolloré via Touche pas à mon poste ! et d’autres émissions de Cyril Hanouna comme Face à Baba et Balance ton poste. « Hanouna est un producteur soucieux de la réussite de ses émissions. Il reconnaît d’ailleurs avoir une application capable de suivre les audiences minute par minute, précise Claire Sécail. Or, il est clair que Zemmour fait vendre. Sur les mesures quantitatives que nous avons faites entre septembre et décembre, la thématique Zemmour a toujours été accompagnée par des pics d’audience. Il y a donc une conjonction d’intérêts entre un animateur, soucieux des audiences, et un patron de chaîne décidé à promouvoir un candidat. »

En moyenne, sur les quatre derniers mois de 2021, les sujets politiques traités dans la dernière partie de l’émission, à partir de 20h45, ont représenté 17 % du temps de parole avec des pointes à plus de 30 %. « C’est une proportion importante. L’émission a décidé de se politiser avant la présidentielle », explique l’universitaire. Si elle revendique l’ambition de parler de tous les sujets sans exception, on constate dans les faits que TPMP se montre sélective dans les questions abordées, une sélectivité justifiée par l’ambition « d’informer autrement ».

Le premier problème concerne la distribution de la parole en fonction des familles politiques. Selon le comptage effectué par Claire Sécail pendant la pré-campagne, les thèmes d’extrême droite (incluant Marine Le Pen, Éric Zemmour, Florian Philippot et  Nicolas Dupont-Aignan) ont représenté près de 53 % du temps de parole avec une prédilection pour Zemmour qui arrive en tête de ce comptage (44,7 %), devant Emmanuel Macron (22,5 %) en deuxième position. La tendance semble se confirmer dans le début de la campagne en janvier, avec toutefois un rééquilibrage au profit de la majorité présidentielle. « Quand TPMP affirme s’intéresser à tous les sujets d’actualité, c’est faux. En septembre, la primaire des Verts a été à peine évoquée et celle de la droite a été examinée sous l’angle de la candidature d’Éric Ciotti, qui apparaissait comme compatible avec Zemmour, rappelle Claire Sécail. Il y a un cadrage très sélectif qui donne une représentation caricaturale de l’éventail politique. Il y a un biais dans la manière dont sont présentés le casting et les enjeux de la présidentielle. Ces enjeux sont réduits à un antagonisme artificiel entre gouvernement et extrêm droite. »

Ce tropisme a pour conséquence une réduction des candidats de droite et surtout de gauche à la portion congrue. Il semble que la réticence de certains politiques, telle la maire Anne Hidalgo, à se rendre sur le plateau de TPMP soit ressentie comme une vexation par Cyril Hanouna, remarque la chercheuse. « Il a été blessé que cette candidate le snobe et cela a alimenté son discours disqualifiant à son égard. Quand il évoque Hidalgo, c’est la plupart du temps pour la faire apparaître sous un jour négatif. Car le côté personnel joue énormément. Il suffit pour s’en rendre compte de lire le livre écrit avec Christophe Barbier, Ce que m’ont dit les Français. » Les critiques de « bien-pensance » et de « mépris de classe » adressées régulièrement à la gauche, épargnent toutefois Jean-Luc Mélenchon, qui fut en 2013 le premier homme politique d’envergure nationale à accepter de venir sur le plateau.

Dans l’émission, tout est envisagé sous le prisme de l’antagonisme. L’émergence d’une position modérée et complexe est incompatible avec le spectacle qui entend être donné.

Dans une émission où l’émotion et le « ressenti » sont les jauges de toute opinion, la figure de la victime est essentielle. « Depuis son éviction de CNews, Zemmour est installé dans le registre de la victimisation sur TPMP. Zemmour est victime du CSA, de la gauche, des journalistes ou de la presse people. Alors même que Zemmour s’est vu offrir une tribune et un accès à de nouveaux espaces médiatiques et donc à des nouveaux publics, en particulier avec la vidéo exclusive diffusée en septembre. »

Cette division du monde entre censeurs prétendus et victimes présumées correspond à la binarisation permanente du débat dans l’émission. Tout est envisagé sous le prisme de l’antagonisme avec des échanges frontaux. L’émergence d’une position modérée et complexe est incompatible avec le spectacle qui entend être donné. Pourtant, et c’est là que le clientélisme renferme un paradoxe, le contradictoire relève le plus souvent du mythe. « Quand Jean-Michel Blanquer ou Éric Ciotti sont invités, le contradictoire assumé par les chroniqueurs est très relâché et Hanouna place le débat sur le terrain de l’affect », observe Claire Sécail. « TPMP est une pierre philosophale des populismes, poursuit la chercheuse. Elle transforme toute question objectivable en question d’opinion. Elle traduit la confusion de notre époque où tout se vaut et tout est relatif. L’idée est de dire que la parole scientifique et les savoirs n’apportent pas une vérité. » Dans cette mise en feuilleton du monde, la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain, l’indignation est à géométrie variable et on n’est peu redevable de ses propos. « Ce relativisme permanent n’est pas le seul fait de TPMP, admet Claire Sécail. La dégradation du débat politique est plus générale et le dévoiement des principes d’information dépasse très largement son émission, comme le prouvent d’autres émissions d’autres chaînes enregistrées par deux journalistes qui se montrent complaisants. » Le CSA a du pain sur la planche…



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