France des coins tranquilles : St-Remy-de-Provence
France des coins tranquilles : St-Remy-de-Provence

Le double visage de Saint-Rémy

Paul Taylor

la france des coins tranquilles
Cité très courtisée par les Parisiens et les stars nationales, Saint-Rémy-de-Provence voit débarquer chaque été de nombreux visiteurs, provoquant le désarroi – ou la colère – des locaux. Mais entre les courses de taureaux et les multiples festivals culturels, la ville regorge d’idées pour que chacun puisse s’y retrouver.

Coin tranquille, Saint-Rémy-de-Provence ? Pas exactement, en tout cas pas toute l’année. Naguère bourg agricole, la perle des Alpilles accueille bon an, mal an, des dizaines de milliers de touristes et quelques milliers de résidents secondaires, principalement pendant les mois de juillet et août. L’arrivée du TGV à Avignon en 2001 – mettant la Provence à moins de trois heures de Paris – a accéléré une « gentrification » déjà largement en cours. L’exode urbain provoqué par la pandémie a rajouté une couche de télé-travailleurs profitant de la proximité ferroviaire.

La petite ville où Van Gogh a peint des chefs-d'œuvre comme La Nuit étoilée et où Charles Gounod a composé son opéra Mireille sur un poème du barde provençal Mistral, n’est plus un joyau caché. Elle était déjà une colonie de retraite pour centurions méritants du temps des empereurs romains. Les ruines de la ville gallo-romaine de Glanum en témoignent avec un mausolée aux guerriers tombés et un arc de triomphe bien conservés à un kilomètre du centre actuel. 

Nombre de people, comme feu Pierre Bergé, la princesse Caroline de Monaco, l’acteur Omar Sy ou plus récemment le PDG de Renault, Jean-Dominique Senard, ont posé leurs valises ici. On croise Amanda Lear ou Laure Adler au marché du mercredi. Et pourtant, beaucoup de trésors méconnus se cachent encore dans cette cité bénie des dieux du soleil, de la vigne, de l’olivier et de la pinède. Musiciens et comédiens vedettes viennent enregistrer, répéter ou simplement se ressourcer à La Fabrique, résidence d’artistes aux studios high-tech dans une bastide entourée de verdure à l’abri des regards indiscrets.

Le goût des élites fortunées pour Saint-Rémy, et le choix revendiqué du développement touristique, imposent un risque permanent de schizophrénie économique et sociologique avec les autochtones, symbolisé par la juxtaposition du supermarché Aldi et du magasin Alpilles-Bio dans la zone d’activité en bordure de la ville. 

La population permanente (9 180 en 2020) s’effrite alors que le nombre d’estivants – hors période Covid – ne cesse de croître. L’Office du tourisme reçoit 80 000 personnes par an. Le Parc naturel régional des Alpilles, qui entoure Saint-Rémy, accueille 600 000 visiteurs par an pour au moins une nuitée. La commune compte 19 hôtels, trois résidences touristiques, quatre campings et une cinquantaine de restaurants.

Beaucoup de maisons sont transformées en appartements Airbnb, au grand dam du maire qui regrette que la municipalité manque d’un outil juridique de contrôle.

Tandis que les locations saisonnières explosent et que les mas avec piscine se louent jusqu’à 10 000 euros la semaine en été, la ville souffre d’une pénurie de logements abordables, notamment pour les jeunes Saint-Rémois actifs et les travailleurs saisonniers. La conjugaison des oppositions et la lourdeur des procédures ralentissent toute construction sociale. Beaucoup de maisons de village sont transformées en appartements Airbnb, au grand dam du maire, Hervé Chérubini, qui regrette que la municipalité manque d’un outil juridique de contrôle. Cinq fois reconduit depuis un quart de siècle, l’édile ex-socialiste maintient tant bien que mal un équilibre fragile entre la jet-set internationale ou hexagonale et les Saint-Rémois de souche. « Le but c’est de faire en sorte qu’il y ait le moins de tensions possible, explique-t-il. C’est ça, le challenge. C’est de faire cohabiter les gens qui vont à l’opéra et les gens qui jouent aux boules. Tout ça doit vivre ensemble à Saint-Rémy, et le rôle de la collectivité est de faire en sorte que tout s’articule de la manière la plus apaisée possible. »

Cela passe notamment par le respect scrupuleux des traditions locales comme la feria du week-end du 15 août avec ses lâchers de taureaux autour du centre-ville, ses jeux taurins dans les arènes, son aïoli populaire et sa Carreto Ramado. Cette procession multiséculaire, à l’origine religieuse, fait trois fois le tour du « cours » ceinturant la vieille ville, emmenée par des chevaux de trait parés, suivis d’habitants en costumes traditionnels, de jeunes fouetteurs et d’une charrette décorée de feuillages et de fruits et légumes de saison, célébrant la bonne récolte. 

La feria n’est pas le seul moment de l’année ou les taureaux ont priorité sur les humains. La fête votive de Saint-Rémy met la ville en goguette pendant une semaine fin septembre avec les « tau » en vedettes. Le prédécesseur d’Hervé Chérubini a écopé d’une condamnation pour négligence ayant entraîné la mort d’un flâneur néerlandais renversé par un taureau lors d’une de ces fêtes populaires en 1994. Les élus ont tiré deux leçons de cette mésaventure : « Touche pas à mon taureau » et « Touche pas à mon touriste ». 

Depuis lors, barrières métalliques, pancartes multilingues et annonces sonores se sont multipliées pour prévenir et cantonner les badauds. Les « tau », eux, courent toujours. « C’est totalement ancré dans le vécu des Saint-Rémois et ça, il ne faut pas y toucher », confirme le maire. Il minimise l’aspect « guerre froide » de la cohabitation de deux mondes dans sa commune, et raconte volontiers des anecdotes attestant d’une collaboration possible entre les deux camps. Lorsque le Festival de Glanum, organisé depuis 2015 par l’association Musicades des Alpilles, avait besoin de gros bras pour monter trois-cents sièges pour les concerts classiques dans les ruines romaines, le club de rugby de Saint-Rémy s’est porté volontaire. En guise de remerciements, les joueurs ont reçu des places pour l’opéra sous les étoiles. 

Mieux, le festival a organisé une soirée gratuite pour les Saint-Rémois. « On a vu énormément de personnes qu’on n’aurait jamais vues à ce genre de spectacle », assure le maire. Il fait remarquer que l’événement qui attire le plus de touristes est la Fête de la Transhumance, pittoresque défilé le lundi de la Pentecôte, où les bergers des alentours et leurs troupeaux font trois fois le tour du « cours » au son du fifre et du tambour avant de monter en pâture dans les Alpes pendant les mois d’été. Autrefois, ils partaient à pied. Aujourd’hui, ils transhument en camion.

Pourtant la méfiance à l’égard des « estrangers » et surtout des « Parisiengs » est tenace. Une voisine de la rue Nostradamus rend ces derniers responsables de l’arrivée du Covid à Saint-Rémy. « Ils sont arrivés la nuit, raconte-t-elle dans un récit qui rappelle les rumeurs autour de la Grande Peste du Moyen-Âge. Ils ont infecté le boucher d’Intermarché. »

La transhumance touristique, elle, reste principalement dans les sentiers battus, utilement fléchés dans les guides pour décourager toute initiative individuelle intempestive. Les Carrières de Lumières aux Baux-de-Provence, la commune voisine, reçoivent quelque 800 000 visiteurs par an qui s’émerveillent devant des images d’œuvres d’art projetées sur les parois d’une ancienne carrière de pierres calcaires où il fait frais toute l’année. 

Pendant ce temps, on peut se promener en toute tranquillité sur les sentiers qui longent le Canal des Alpines, ouvrage du XIXe siècle qui irrigue champs et vergers autour de Saint-Rémy, sans craindre d’être importuné par la foule. La beauté naturelle attire moins que la réalité virtuelle.

Le Cimetière des Juifs, aujourd’hui désacralisé, mais remontant au moins au XIVe siècle, témoigne de la longévité d’une communauté qui habitait un petit quartier derrière l’église du village sous la protection des papes d’Avignon jusqu’à l’expulsion des Juifs de Provence sur ordre du roi Louis XII en 1500. Ouvert au public pendant les Journées du Patrimoine (la clef peut être retirée à la mairie), le champ mortuaire conserve une soixantaine de tombes, dont certaines de la famille Milhaud, parents du compositeur Darius Milhaud, né à Marseille et qui a vécu à Aix-en-Provence.

À côté du cimetière juif se trouve un monument rare dédié aux 250 réfugiés politiques espagnols qui ont participé à des travaux d’utilité publique à Saint-Rémy en 1940-42, ainsi qu’aux quelque 10 000 volontaires français qui ont combattu dans les brigades internationales aux côtés de la République d’Espagne lors de la Guerre civile. Dans le centre historique, à côté de boutiques vendant du tissu provençal, des robes d’été ou des tableaux au mètre carré, fabriqués en Chine ou en Roumanie, des joyaux inattendus – cachés en pleine rue – récompensent l’explorateur avisé. La souffleuse de verre Mélanie Cornu fabrique vases et perles de verre originaux et élégants dans un atelier discret. La galerie Heimat, installée à côté de la pompe à essence du « cours » par l’Allemande Alexandra Chiari, expose des œuvres d’art contemporain de qualité. L’affluence n’amène pas que du toc.

Mi-septembre, le festival de jazz – mini-Marciac confidentiel aux prix démocratiques – réunit Saint-Rémois et bobos pour un ultime bœuf de l’été, attirant des pointures comme Ron Carter, le légendaire bassiste de Miles Davis, et le meilleur du jazz français. Puis la tranquillité revient.

Ironie du sort, le meilleur vin du vignoble du Mas de la Dame, propriété de descendants des dynasties politiques Missoffe et Poniatowski, s’appelle Le Coin Caché. Rideau. ...

la france des coins tranquilles Cité très courtisée par les Parisiens et les stars nationales, Saint-Rémy-de-Provence voit débarquer chaque été de nombreux visiteurs, provoquant le désarroi – ou la colère – des locaux. Mais entre les courses de taureaux et les multiples festivals culturels, la ville regorge d’idées pour que chacun puisse s’y retrouver. Coin tranquille, Saint-Rémy-de-Provence ? Pas exactement, en tout cas pas toute l’année. Naguère bourg agricole, la perle des Alpilles accueille bon an, mal an, des dizaines de milliers de touristes et quelques milliers de résidents secondaires, principalement pendant les mois de juillet et août. L’arrivée du TGV à Avignon en 2001 – mettant la Provence à moins de trois heures de Paris – a accéléré une « gentrification » déjà largement en cours. L’exode urbain provoqué par la pandémie a rajouté une couche de télé-travailleurs profitant de la proximité ferroviaire. La petite ville où Van Gogh a peint des chefs-d'œuvre comme La Nuit étoilée et où Charles Gounod a composé son opéra Mireille sur un poème du barde provençal Mistral, n’est plus un joyau caché. Elle était déjà une colonie de retraite pour centurions méritants du temps des empereurs romains. Les ruines de la ville gallo-romaine de Glanum en témoignent avec un mausolée aux guerriers tombés et un arc de triomphe bien conservés à un kilomètre du centre actuel.  Nombre de people, comme feu Pierre Bergé, la princesse Caroline de Monaco, l’acteur Omar Sy ou plus récemment le PDG de Renault, Jean-Dominique Senard, ont posé leurs valises ici.…

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