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LE MOT DE L’ÉDITEUR #5

William Emmanuel

Au cours des six dernières années, la France a vécu sous le régime de l’état d’urgence durant quatre ans. Entre novembre 2015 et novembre 2017, il s’agissait de lutter contre le terrorisme. Depuis mars 2020, l’objectif est de lutter contre la pandémie de Covid-19 qui n’en finit pas. La sécurité des citoyens – face à la menace terroriste puis face à la menace sanitaire – a été mise en avant pour justifier un régime d’exception qui tend à devenir la norme. Quelles que soient les raisons invoquées par les gouvernants, cette situation ne peut qu’interroger notre rapport à la liberté et à la sécurité dans un État démocratique fonctionnant selon des règles de droit.

Il faut éviter les postures politiques ou idéologiques pour réfléchir à ce que cela implique. « Que reste-t-il de la légitimité de l’État si chaque crise met à la fois en évidence son incapacité à y faire face dans un cadre normal et son impuissance à anticiper sa survenance ? » s’interrogeait Bruno Lasserre, alors président du Conseil d’État, lors d’une conférence le 14 octobre 2020. Jean-Marie Burguburu, président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, se montrait plus tranchant quelques jours plus tard en déclarant dans Le Monde (24/10/2020) : « En temps de paix, la République n’a jamais connu une telle restriction des libertés. »

C’est un mouvement général dans les États démocratiques depuis le début de la pandémie. Face aux prédictions apocalyptiques des nombreux experts sanitaires envahissant les médias, les dirigeants politiques ont décidé de restreindre ce qui faisait la force des démocraties face aux régimes autoritaires ou dictatoriaux : la liberté, celle de se déplacer, celle de se réunir et celle de manifester. Ajoutons que la liberté d’opinion a subi des dégâts importants non pas parce qu’elle a été limitée, mais parce que les différentes parties ont cédé à la surenchère qu’amplifient les réseaux sociaux et ont radicalisé leurs positions au point de ne plus pouvoir débattre sereinement.

Le danger – que représente le terrorisme ou un virus – est une contrainte qui limite notre liberté. Dans les sociétés occidentales, nous recherchons la sécurité face à tous les risques, en particulier la mort. Qui doit nous apporter cette sécurité : le pouvoir politique ? Les citoyens ne doivent-ils pas rechercher par eux-mêmes les moyens d’assurer la sécurité de la collectivité plutôt que de tout attendre d’un exécutif qui, quel que soit son attachement à la démocratie, cherchera toujours à limiter les libertés au nom d’une plus grande efficacité de l’action publique ? 

Or, comme le soulignait John Locke (1632-1704), « s’il faut un État assurant la sécurité afin de pouvoir jouir de ses libertés, l’homme dispose de droits naturels inaliénables et possède un droit à la rébellion contre le pouvoir politique au cas où l’État trahirait sa mission et tenterait de priver l’homme de ses droits naturels ». Un point sur lequel insistait la grande juriste Mireille Delmas-Marty, qui vient de nous quitter : « Il faut rappeler que le risque zéro n’existe pas et que se lancer dans une surenchère répressive repose sur un pari perdu d’avance. Quelle que soit la rigueur du contrôle social, il y aura toujours un accident, un attentat, un virus, qui échappera à la prévention, car on ne peut se protéger de tous les maux » (Regards, 15/09/2021).

Les dirigeants politiques reconnaissent qu’après deux ans de pandémie, une grande fatigue gagne nos démocraties. Il est donc temps d’ouvrir le débat sur les exigences irréfragables d’une réelle démocratie, notamment l’absolue nécessité de respecter les droits humains.



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