Mes présidentielles

Brigitte Benkemoun

Évidemment, j’ai appris à l’école qu’on ne dit pas LES présidentielles mais LA présidentielle. Évidemment, il n’y en a qu’une, une solennelle, une importante, une exigeante, qui engageait le pays pour sept ans et désormais pour cinq. Mais si aujourd’hui le pluriel me vient comme une évidence, c’est en pensant à toutes celles que j’ai vu défiler. Le très singulier s’impose pour LA première ! En 1981, voter fut une fête. Mon premier meeting portait même le nom de Fête de la Rose. Je m’en souviens, c’était au Parc Chanot, à Marseille. Une foule immense, joyeuse et optimiste, brandissait une rose rouge, le poing levé, exaltée par la force tranquille de cet homme qui nous semblait providentiel. Nous chantions, nous dansions, nous étions certains de pouvoir changer la vie. Jamais je n’ai vu la politique rendre les gens aussi heureux. Et au soir du 10 mai, je me souviens de mon grand-père qui pleurait de joie. Qui pleure encore de joie au soir d’une présidentielle ?
La suivante fut moins joyeuse, plus raisonnable. Sept ans de plus, sept ans de réflexions et de désillusions déjà. Mais, échaudés par les voltigeurs des Pasqua-Pandraud, à tout prendre, nous restions « la Génération Mitterrand ». La victoire elle-même n’eut pas le même goût. Notre sage enthousiasme fut douché dès le premier tour par les 14 % de Jean-Marie Le Pen. Et même 26 %, je m’en souviens encore, dans mon petit bureau de vote de Pont-de-Crau, qui pour une fois avait un temps d’avance sur la France… Dans les jours qui ont suivi, je regardais les gens dans la rue, je me disais qu’un sur quatre avait voté Le Pen... Qui regarde encore les gens dans la rue en pensant « un sur quatre » ?
1995… Presque une élection pour la forme. Journaliste à Europe 1, j’avais suivi le débat cordial entre Chirac et Jospin. Sans surprise, la France voulait virer à droite. Elle s’y engageait sans s’énerver, entre gens de bonne compagnie. Qui peut imaginer encore un débat si cordial ?
2002… L’année de l’impensable. Le Pen, cette fois, accédait au second tour. Je me souviens d’un frisson glacé, ce soir d’avril. Je me revois les deux mains posées devant la bouche, incapable de sortir un mot. Je pensais à mon grand-père qui n’était plus là pour pleurer. Je me souviens qu’on s’engueulait devant la télé, avant de défiler tous ensemble le 1er mai, puis de voter Chirac, comme un seul homme, en espérant sauver la République. Qui défile encore avant d’aller voter ?
Il me semble qu’ensuite tout est allé très vite. Et pas seulement parce que le septennat est devenu quinquennat ou que le temps passe à toute allure quand on vieillit. 2007 Sarkozy, 2012 Hollande, 2017 Macron… Ces présidentielles se suivent et se ressemblent d’une certaine façon. Aux convictions, aux engagements, a succédé la peur de perdre. L’avenir paraît plus inquiétant que radieux. Plus personne ne vous donne l’envie de danser sous la pluie ou de brandir des roses rouges. Désormais les gens votent UTILE pour éviter le PIRE, raisonnablement pour réformer la France, ou décomplexés, en trahissant l’histoire. Qui rêve encore de changer la vie ?
2022 pulvérise encore toute velléité d’enthousiasme. Ils ne sont plus « un sur quatre », mais quasiment « un sur deux » à penser comme le vieux borgne, en suivant sa fille, ou cet autre agité qui la ferait presque passer pour une modérée. Après deux ans de pandémie, nous piétinons allègrement une planète en surchauffe, en préférant parler immigration. La gauche n’est plus qu’une petite armée mexicaine qui se délite, ou se fourvoie. Et soixante-dix-sept ans après la Libération, une guerre en Europe va rendre nos débats plus dérisoires encore. Qui espère encore que ça ira mieux demain ?...

Évidemment, j’ai appris à l’école qu’on ne dit pas LES présidentielles mais LA présidentielle. Évidemment, il n’y en a qu’une, une solennelle, une importante, une exigeante, qui engageait le pays pour sept ans et désormais pour cinq. Mais si aujourd’hui le pluriel me vient comme une évidence, c’est en pensant à toutes celles que j’ai vu défiler. Le très singulier s’impose pour LA première ! En 1981, voter fut une fête. Mon premier meeting portait même le nom de Fête de la Rose. Je m’en souviens, c’était au Parc Chanot, à Marseille. Une foule immense, joyeuse et optimiste, brandissait une rose rouge, le poing levé, exaltée par la force tranquille de cet homme qui nous semblait providentiel. Nous chantions, nous dansions, nous étions certains de pouvoir changer la vie. Jamais je n’ai vu la politique rendre les gens aussi heureux. Et au soir du 10 mai, je me souviens de mon grand-père qui pleurait de joie. Qui pleure encore de joie au soir d’une présidentielle ? La suivante fut moins joyeuse, plus raisonnable. Sept ans de plus, sept ans de réflexions et de désillusions déjà. Mais, échaudés par les voltigeurs des Pasqua-Pandraud, à tout prendre, nous restions « la Génération Mitterrand ». La victoire elle-même n’eut pas le même goût. Notre sage enthousiasme fut douché dès le premier tour par les 14 % de Jean-Marie Le Pen. Et même 26 %, je m’en souviens encore, dans mon petit bureau de vote de Pont-de-Crau, qui pour une fois avait un temps d’avance sur la France… Dans les jours…

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