Président, un boulot de chien

Clarisse Gorokhoff

Même si on me filait un palais aux salons dorés, un cuisinier étoilé, plusieurs jets privés, un scooter rutilant, de richissimes alliés et des ennemis surpuissants, je dirais NAN. J’veux pas être présidente. Même si on m’accordait le pouvoir exécutif, celui de dissoudre l’Assemblée sur un coup de tête, la possibilité de lancer un référendum à tout moment, l’immunité suprême, je dirais NAN. J’ai dit naaaan. Nan c’est nan. C’est pas une vie, président de la République… C’est un boulot de chien.

Parfois, c’est vrai, on a des petites montées d’adrénaline

On fait croire à des millions de personnes que c’est nous qui décidons de tout, alors qu’on ne choisit plus rien de sa propre vie, pas même le plat du jour, la déco du salon, le motif de ses chaussettes – à peine ses amants. On doit se rendre ici ou là, toujours tiré à quatre épingles, tenter de se dédoubler en souriant. On est bringuebalé par des mastodontes à lunettes noires pas toujours nets, qui compromettent notre mandat. On doit se forcer à sourire, se forcer à écouter, se forcer à aimer ce qu’on fait, à aimer son pays : la saucisse de Morteau, la présentatrice météo, la pétanque, les retraités… On doit tapoter des crânes d’enfant et des culs de vache, hocher la tête comme un automate, et puis on passe sa vie à s’asseoir autour d’une grande table ronde, pour parler de choses qui seront obsolètes dans l’heure qui suit, entouré de « conseillers » qui savent, au mieux, suggérer une bonne série sur Netflix. C’est pas une vie, c’est une (mauvaise) blague.
Parfois, c’est vrai, on a des petites montées d’adrénaline, des pics de sérotonine. On invite une superstar à venir danser dans son jardin, on articule des mots graves devant tous les Français, qui nous donnent l’impression d’infléchir le cours de l’Histoire (« nous sommes en guerre »). Et puis ce qui est vraiment sensas’, c’est quand on parle avec Vladimir au téléphone. Mieux, quand on déjeune avec lui de l’autre côté de sa très grande table. Là, c’est franchement fun. On sent comme des papillons dans le ventre, mais des papillons en acier – des lépidoptères exterminateurs. Et on se dit, en se remémorant notre maître d’école (qui est justement allongé à côté de nous), que quand même, dans le fond, on a un destin hors du commun. Puis on retrouve la saucisse de Strasbourg, Monique et ses points-retraite, le PMU de Saint-Étienne, les jérémiades, les gilets jaunes, les idées noires, les railleries des journalistes qu’on déteste encore plus que les « Français normaux », et on se demande si ce n’est pas le bon moment pour balancer un truc un peu crade, un peu torve, un peu rude, comme « les sans-dents », pour parler d’eux, les pauvres, ou bien carrément de leur sucrer un peu de leurs allocations (ils ont qu’à traverser la rue après tout !), ou bien pour filer chez son amant trans’ en cachette sur un scooter, ou encore partir en vacances dans un endroit de rêve avec son meilleur ami mafieux... Juste pour que les gens nous détestent. Non pas qu’ils nous aimaient, mais pour qu’ils nous détestent un peu plus, et que toute cette farce prenne fin, et pouvoir ainsi retrouver sa petite liberté d’être humain médiocre et impuissant, qui n’y peut rien à tous vos déboires de ploucs, mais qui a envie de profiter de sa vie ! Oui, un bon scandale serait l’idéal. Être entarté, vilipendé, hashtagué, traîné dans la boue, lapidé sur la place publique… Ce n’est certes pas très agréable, et même très douloureux, mais ça mettrait un terme à ce cauchemar.
Et puis… non, quelque chose nous rattrape. On va finalement rester là encore un peu. Pour voir... On sait qu’on ne sert à rien, que toute cette chienlit quotidienne n’est même pas le sacrifice nécessaire au service d’une cause plus grande que soi. On sait que ce qu’on fait n’améliore la qualité de vie de personne – pas plus celle des autres que la nôtre – et que ça a même tendance à la dégrader. On est parfaitement conscient du degré d’absurdité de tout ce cirque, mais quelque chose de mystérieux, comme une force cosmique qui viendrait des caniveaux de l’Univers, nous pousse à rester, à nous représenter. Et quelque chose d’encore plus mystérieux, et même d’insidieux, pousse tous ceux qui nous détestent à voter pour nous et à nous faire demeurer quelques années supplémentaires dans cette niche dorée, dans ce cauchemar de jets privés et de mensonges aseptisés. Vive la République, vive la France ! Ouaf-ouaf !...

Même si on me filait un palais aux salons dorés, un cuisinier étoilé, plusieurs jets privés, un scooter rutilant, de richissimes alliés et des ennemis surpuissants, je dirais NAN. J’veux pas être présidente. Même si on m’accordait le pouvoir exécutif, celui de dissoudre l’Assemblée sur un coup de tête, la possibilité de lancer un référendum à tout moment, l’immunité suprême, je dirais NAN. J’ai dit naaaan. Nan c’est nan. C’est pas une vie, président de la République… C’est un boulot de chien. Parfois, c’est vrai, on a des petites montées d’adrénaline On fait croire à des millions de personnes que c’est nous qui décidons de tout, alors qu’on ne choisit plus rien de sa propre vie, pas même le plat du jour, la déco du salon, le motif de ses chaussettes – à peine ses amants. On doit se rendre ici ou là, toujours tiré à quatre épingles, tenter de se dédoubler en souriant. On est bringuebalé par des mastodontes à lunettes noires pas toujours nets, qui compromettent notre mandat. On doit se forcer à sourire, se forcer à écouter, se forcer à aimer ce qu’on fait, à aimer son pays : la saucisse de Morteau, la présentatrice météo, la pétanque, les retraités… On doit tapoter des crânes d’enfant et des culs de vache, hocher la tête comme un automate, et puis on passe sa vie à s’asseoir autour d’une grande table ronde, pour parler de choses qui seront obsolètes dans l’heure qui suit, entouré de « conseillers » qui savent, au mieux, suggérer…

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