Cuisine et truculence : petite histoire de la gastronomie

Jean-Vincent Bacquart

Débats & combats

Un des adages les plus raisonnables de la gastronomie c’est qu’il n’y a pas de cuisine sans vin ; que sont des huîtres sans Chablis, une truite sans Moselle ? » écrivait Paul Morand. Après la période sacrificielle du Dry january, un défi annuel importé du monde anglo-saxon pour la plus grande joie du corps médical et le malheur des viticulteurs, la question de la nourriture et de la gastronomie est à nouveau présente dans notre société. Dans les ouvrages pourvoyeurs d’étoiles, dans nos discussions de table, dans les programmes radiophoniques ou les émissions de téléréalité, elle est mise à toutes les sauces et s’invite même dans un débat public, où n’importe quel propos alimentaire est dorénavant susceptible de dégénérer en polémique épicée.
Mais qu’est-ce que la gastronomie ? Une science ? Pas forcément, car il ne s’agit pas uniquement de techniques culinaires. Plutôt un concept, dont les frontières varient selon les époques et les sociétés. Dans l’ouvrage Festin en paroles (1979), le philosophe et académicien Jean-François Revel en donne certainement la définition la plus accessible : « La cuisine est un perfectionnement de l’alimentation ; la gastronomie est un perfectionnement de la cuisine elle-même. » Du producteur au consommateur, la gastronomie intègre les notions de sélection, de transformation, d’association et de présentation des denrées. Au-delà, dans une approche épicurienne chère aux gastronomes, la nourriture aurait le pouvoir quasi-magique de rendre heureux celui qui la prépare, celui qui la consomme, celui qui en parle. Pour y parvenir, l’alchimiste-cuisinier, œuvrant derrière ses fourneaux, devrait déployer des trésors de patience afin de donner aux meilleurs produits un destin gustatif des plus brillants.

La gastronomie dépasse le simple rapport de l’homme à la nourriture ;
elle pose également une véritable réflexion anthropologique, philosophique
et politique.

Issu du grec gaster (estomac) et nomia (loi), le terme « gastronomie » va longtemps rester caché derrière l’idée vague de « bonne chère », avant d’être dévoilé par le littérateur français Joseph de Berchoux. En 1801, sa Gastronomie, ou l’homme des champs à table le propulse au rang de « poète de la fourchette ». Emporté par son sujet, Berchoux avoue : « Je vais dans mon ardeur poétique et divine, mettre au rang des beaux-arts celui de la cuisine. » Après cette première initiative, il faut attendre 1825 et Jean-Anthelme Brillat-Savarin pour que la gastronomie dispose de son traité : Physiologie du goût, ou méditations de gastronomie transcendante. Au-delà des brillants aphorismes qu’il contient, des recettes, des chansons, des réflexions badines ou sérieuses, Brillat-Savarin y expose que la gastronomie est « la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l’homme, en tant qu’il se nourrit. Son but est de veiller à la conservation des hommes au moyen de la meilleure nourriture possible ». Cette œuvre permet enfin de comprendre que la gastronomie dépasse le simple rapport de l’homme à la nourriture ; elle pose également une véritable réflexion anthropologique, philosophique et politique.
Loin de se limiter au monde de la cuisine, la gastronomie et les truculents mangeurs s’imposent rapidement comme sujet de littérature. D’Émile Zola à Gustave Flaubert, d’Honoré de Balzac à Guy de Maupassant, de Théophile Gautier à Alphonse Daudet, les grandes plumes du XIXe siècle peuplent leurs romans de joyeux banquets, de restaurants bourdonnants, de commerces de bouche affriolants, de marchés et de halles débordant de victuailles. Parmi eux, Alexandre Dumas consacre même les dernières années de son existence à la rédaction d’un Grand dictionnaire de cuisine (1873).
Historien, éditeur,Jean-Vincent Bacquart
est doctorant à Sorbonne Université, attaché au Centre d'histoire du XIXe siècle. Ses recherches portent sur les ordres religieux et militaires, notamment sur l’ordre du Temple et ses résurgences apparues aux XVIIIe et XIXe siècles.
Si le siècle suivant connaîtra également ses chantres de la gastronomie, comme Colette ou François Mauriac, aucun ne pourra rivaliser avec Maurice Edmond Sailland. Plus connu sous le nom de Curnonsky, ce romancier est élu en 1927 « prince des Gastronomes » par une assemblée de cuisiniers, de restaurateurs et de critiques culinaires. Mais la passion de la bonne chère peut être néfaste, et Curnonsky de devenir si corpulent qu’il éprouvera bientôt d’énormes difficultés à se mouvoir sans l’aide de ses commensaux. Il est communément admis que les Français ont un attachement particulier à leur cuisine. D’ailleurs, depuis 2010, les spécificités de la gastronomie hexagonale sont inscrites par l’UNESCO au titre du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, sous le qualificatif « repas gastronomique des Français ». Pourtant, la gastronomie est plurielle. Synonyme, depuis des siècles, de convivialité et de sociabilité, elle appartient en réalité à la sphère culturelle de toutes les sociétés humaines.

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Débats & combats Un des adages les plus raisonnables de la gastronomie c’est qu’il n’y a pas de cuisine sans vin ; que sont des huîtres sans Chablis, une truite sans Moselle ? » écrivait Paul Morand. Après la période sacrificielle du Dry january, un défi annuel importé du monde anglo-saxon pour la plus grande joie du corps médical et le malheur des viticulteurs, la question de la nourriture et de la gastronomie est à nouveau présente dans notre société. Dans les ouvrages pourvoyeurs d’étoiles, dans nos discussions de table, dans les programmes radiophoniques ou les émissions de téléréalité, elle est mise à toutes les sauces et s’invite même dans un débat public, où n’importe quel propos alimentaire est dorénavant susceptible de dégénérer en polémique épicée. Mais qu’est-ce que la gastronomie ? Une science ? Pas forcément, car il ne s’agit pas uniquement de techniques culinaires. Plutôt un concept, dont les frontières varient selon les époques et les sociétés. Dans l’ouvrage Festin en paroles (1979), le philosophe et académicien Jean-François Revel en donne certainement la définition la plus accessible : « La cuisine est un perfectionnement de l’alimentation ; la gastronomie est un perfectionnement de la cuisine elle-même. » Du producteur au consommateur, la gastronomie intègre les notions de sélection, de transformation, d’association et de présentation des denrées. Au-delà, dans une approche épicurienne chère aux gastronomes, la nourriture aurait le pouvoir quasi-magique de rendre heureux celui qui la prépare, celui qui la consomme, celui qui en parle. Pour y parvenir, l’alchimiste-cuisinier, œuvrant derrière ses fourneaux, devrait déployer des trésors…

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