L’économie européenne à l’épreuve des crises

Philippe Waechter

Débats & combats

Les pays européens sont sortis de la crise sanitaire dans de bonnes conditions économiques. Le produit intérieur brut (PIB) et l’emploi sont revenus, à la fin de l’année 2021, à leur niveau d’avant crise, et même au-delà pour l’emploi salarié en France. Cela est remarquable au regard de l’ampleur du choc subi. En France, le recul de l’activité constaté en 2020 est le plus important depuis cent cinquante ans, à l’exception des périodes de guerre. Cela n’a pas empêché un rebond de grande ampleur l’année suivante, bien au-delà de ce qui pouvait être attendu. 
La politique économique a été au cœur de cette résilience. Les gouvernements ont tous mutualisé le choc dans le temps pour que l’ajustement associé ne pèse pas sur les épaules des salariés, des consommateurs et des entrepreneurs. Cette dynamique a peut-être encore mieux fonctionné qu’il n’y paraît. Si l’on prend le cas de la France, qui n’est pas isolée, on constate le paradoxe suivant sur le marché du travail : à la fin 2021, l’emploi y progresse plus vite que le PIB. Beaucoup plus de travailleurs pour produire à peine davantage, voilà qui suggère une perte de productivité pour les entreprises françaises. Pourtant, au même moment, le nombre d’emplois à pourvoir augmente très vivement ! Les chefs d’entreprise ont embauché comme jamais en 2021, mais ils en veulent encore davantage. Comme si la productivité constatée dans les entreprises se révélait supérieure à celle mesurée à l’échelle macroéconomique. 
Un tel phénomène pourrait refléter l’impact tant attendu et enfin constaté des innovations qui se multiplient depuis une trentaine d’années. Jusqu’à présent, l’effet de ces innovations n’était pas perceptible dans les chiffres de productivité (production par emploi par exemple). On peut ajouter, pour l’économie française, un nombre très important de créations d’entreprises en 2021, notamment de start-up, pas simplement dans la livraison de repas. Il en découle un bouleversement de la structure de l’économie, cette hausse de la productivité rendant possible une plus grande distribution de revenus. 
En début d’année, les perspectives de croissance étaient robustes. L’acquis de croissance pour 2022, à la fin 2021, était élevé et le chiffre prévu pour l’ensemble de l’année se situait bien au-delà de ceux observés en tendance avant la crise sanitaire. L’inflation est venue perturber ce bel ordonnancement. L’accélération des prix est, depuis le printemps 2021, liée à la reprise de l’expansion, stimulée sans surprise par un fort rattrapage, mais aussi à la politique de relance américaine. L’Helicopter Money distribué par l’administration américaine – d’abord par Donald Trump, puis massivement par Joe Biden – a dopé la demande de biens très au-delà de ce qui résultait du rattrapage. Cette hausse très rapide de la demande s’est heurtée à l’incapacité des entreprises, dont les stocks étaient plutôt réduits, à répondre immédiatement à un tel choc. Cela s’est traduit par des pénuries, des engorgements dans les ports et des tensions sur les prix des matières premières, notamment l’énergie, puis sur les prix industriels et enfin sur les prix à la consommation. Ces évolutions rapides depuis avril 2021 ont incité la Federal Reserve d’abord, puis la Banque Centrale Européenne (BCE) à changer le ton de leur communication pour tendre vers une stratégie plus restrictive afin que l’inflation ne soit pas trop longtemps élevée et ne perturbe pas trop la dynamique de croissance et d’emploi.
L’agression de l’Ukraine par la Russie bouleverse le scénario attendu. Depuis le 24 février, le prix de l’énergie augmente très vivement, celui du baril de pétrole dépassant 130 dollars. Le choc inflationniste sera de grande ampleur. Il aura des conséquences macroéconomiques importantes. D’abord parce que les ménages vont devoir arbitrer dans leur budget, le prix de l’essence augmentant très rapidement. Cette hausse des carburants sera d’autant plus forte que l’euro s’est déprécié face au dollar, devise utilisée pour le règlement des importations d’énergie. Cette nouvelle donne va affecter les ménages dont les revenus sont autour et en dessous du revenu médian, ceux pour lesquels les marges de manœuvre sont réduites et qui n’ont pas eu l’opportunité d’épargner pendant la crise sanitaire. Leur consommation sera pénalisée. 
Cette rupture brutale sur le sol européen est aussi un choc d’incertitude. L’horizon se rétrécit et chacun devient plus attentiste. Un gros achat pour les ménages ou un investissement pour une entreprise peut attendre que l’horizon se dégage. C’est aussi pour cela que l’épargne accumulée pendant la pandémie ne sera pas dépensée.
Cette situation va également engendrer des dysfonctionnements dans les chaînes de production. La hausse du prix des matières premières va créer des discontinuités dans les approvisionnements, accentuant encore les perturbations constatées depuis le printemps 2021, même si ce phénomène sera un peu atténué par une demande moins forte. Les entreprises sont peut-être déjà plus hésitantes car on constate, depuis la fin du mois de février, une baisse rapide du prix du carbone. Les entreprises ne se lancent plus dans des projets de production aussi importants que ceux qui étaient prévus il y a encore quelques semaines. La hausse rapide et durable du prix des matières premières va se traduire, pour la zone Euro, par un prélèvement plus important. Certes, les pays européens disposent d’une épargne abondante mais cela modifiera leur équilibre financier au plus mauvais moment.
Le risque est d’avoir un net ralentissement de la croissance en zone Euro alors que l’inflation accélère vivement. La BCE se trouve prise à contre-pied. Elle envisageait en début d’année un durcissement de sa stratégie monétaire. Elle est désormais face à une hausse brutale des prix des matières premières sur lesquels elle n’a aucune prise. Sa tâche est complexe car en durcissant le ton, elle renforcerait la perception négative de l’environnement économique. Cependant, elle limiterait le risque d’indexation des salaires qui viserait à limiter les pertes de pouvoir d’achat. Une indexation trop importante n’est pas souhaitée par la banque centrale car elle engendrerait de la persistance dans l’inflation, ce que ne souhaite pas l’autorité de Francfort surtout lorsque l’inflation est déjà à 5,8 % en février 2022. La politique budgétaire doit continuer d’avoir un rôle majeur pour soutenir la demande, mais la politique monétaire devra à terme devenir plus restrictive pour éviter la fuite devant la monnaie. L’exercice est plus difficile que lors de la pandémie.
Par-delà les aspects dramatiques de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, est-il possible de discerner des raisons d’espérer ? On peut d’abord noter que cette guerre a été pour l’Europe l’occasion de se penser ensemble, de façon plus radicale encore que lors de la négociation sur le Brexit. Cela se traduit par des changements majeurs, notamment en Allemagne, sur le budget militaire, sur sa dépendance énergétique, sur le rôle de l’Union européenne dans sa propre dynamique et sur son futur. C’est aussi l’Union européenne qui s’autorise à vendre des armes à un pays en conflit. Dans un monde qui se polarise, l’Europe a davantage besoin d’autonomie. La crise en Ukraine a été un choc brutal et un rappel à l’ordre. 
Le deuxième point est la nécessité de trouver une plus grande sécurité pour nos approvisionnements énergétique, industriel et alimentaire. C’est un défi majeur pour notre économie européenne dans ce monde plus complexe et moins coopératif. Le troisième point est que la complémentarité des innovations n’a pas disparu, il s’agit là d’une source de renouveau de l’économie européenne. Le dernier point est celui de la crise énergétique. Elle doit nous obliger à hâter la transition énergétique et à faire les investissements nécessaires, dans le nucléaire notamment, pour réduire la situation de dépendance. L’objectif de la neutralité carbone en 2050 est toujours d’actualité, le conflit en Ukraine va accélérer cette transition. 

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Débats & combats Les pays européens sont sortis de la crise sanitaire dans de bonnes conditions économiques. Le produit intérieur brut (PIB) et l’emploi sont revenus, à la fin de l’année 2021, à leur niveau d’avant crise, et même au-delà pour l’emploi salarié en France. Cela est remarquable au regard de l’ampleur du choc subi. En France, le recul de l’activité constaté en 2020 est le plus important depuis cent cinquante ans, à l’exception des périodes de guerre. Cela n’a pas empêché un rebond de grande ampleur l’année suivante, bien au-delà de ce qui pouvait être attendu.  La politique économique a été au cœur de cette résilience. Les gouvernements ont tous mutualisé le choc dans le temps pour que l’ajustement associé ne pèse pas sur les épaules des salariés, des consommateurs et des entrepreneurs. Cette dynamique a peut-être encore mieux fonctionné qu’il n’y paraît. Si l’on prend le cas de la France, qui n’est pas isolée, on constate le paradoxe suivant sur le marché du travail : à la fin 2021, l’emploi y progresse plus vite que le PIB. Beaucoup plus de travailleurs pour produire à peine davantage, voilà qui suggère une perte de productivité pour les entreprises françaises. Pourtant, au même moment, le nombre d’emplois à pourvoir augmente très vivement ! Les chefs d’entreprise ont embauché comme jamais en 2021, mais ils en veulent encore davantage. Comme si la productivité constatée dans les entreprises se révélait supérieure à celle mesurée à l’échelle macroéconomique.  Un tel phénomène pourrait refléter l’impact tant attendu…

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