Vortex : dans le cerveau de Gaspar Noé

Sophie Rosemont

En janvier 2021, je me trouvais à Buenos Aires. Au vu du contexte sanitaire, mes producteurs m’ont appelé pour me proposer de tourner un film en appartement avec peu de personnages. L’histoire de Vortex, celle d’un vieux couple dont l’un devient sénile, et de leur fils, je l’avais en tête depuis longtemps. Nous avons tourné de mars à mi-avril 2021. Le Festival de Cannes ayant été décalé de mai à juillet, j’ai monté très vite afin de le montrer juste à temps.

Au début de Vortex, on voit Françoise Hardy chanter “Mon amie la rose”. C’est une idée que j’ai eue au montage car on cherchait une musique pour accompagner la scène d’ouverture, qui se déroule sur un balcon. On est tombé sur ce vidéo clip, fait en plan séquence par la télé suisse. Françoise Hardy est si belle, c’est encore plus touchant quand on la voit chanter. Ce passage permet de créer une ellipse plus visible, car on passe d’une scène avec une seule caméra, qui filme un couple uni qui perçoit la même réalité, au split-screen où ce n’est plus guère le cas. “Mon amie la rose” est là pour une raison thématique, mais aussi parce qu’Hardy fait partie de la même génération que Dario Argento et Françoise Lebrun… Ce sont les deux premiers visages qui me sont venus. Françoise est inoubliable dans La Maman et la Putain, de Jean Eustache. Bien qu’il n’ait jamais joué, Dario est un comédien né. J’avais déjà croisé Alex Lutz et je trouvais qu’il pouvait être le résultat du visage long de Dario et le celui plus rond de Françoise… Tous les trois étaient ravis de partir sur un synopsis de dix pages et non sur un scénario dialogué, et ils ont improvisé.

Il y a quelques années, j’avais fait un court métrage en split-screen et je m’étais habitué à ce jeu de langage. Pour Vortex, ça prenait tout son sens. J’ai très vite réalisé qu’il fallait deux images sur deux écrans, que c’était plus fort qu’avec une seule caméra. Le split-screen permet de fragmenter toutes les séquences intimes sur deux espaces contigus et fusionnés à la fois. Ces doubles plans fixes se trouvaient déjà dans mes premiers films, Carne et Seul contre tous. Car à chaque sujet son découpage : la danse et l’euphorie règnent dans Climax, il était donc normal que la caméra bouge. Vortex est un huis clos, les acteurs sont peu mobiles… d’où les plans fixes. Dans cet appartement, on se croirait à l’intérieur d’un intestin, presque les backrooms d’Irréversible ! C’est mon tournage le plus claustrophobe. Tout le monde avait le masque, sauf les acteurs pendant les prises. Le plafond était très bas ; avec ces deux caméras, plus les perchmen, on avait l’impression d’être dans un sous-marin. Il y avait si peu d’espace qu’on marchait en file indienne. Mais le résultat nous a tous rendus très heureux.

« J’ai très vite réalisé qu’il fallait deux images sur deux écrans, que c’était plus fort qu’avec une seule caméra. »

Ici, Dario ne voulait pas être un homme totalement esclave de sa femme, l’idée de la double vie vient de lui. C’était plus dur pour Françoise, qui joue très bien la peur face à la maladie, dans les rares moments de lucidité. Son cerveau marche à merveille – sa mère a 100 ans et n’a aucun problème cognitif ! Elle avait l’impression d’incarner quelqu’un de beaucoup plus âgé qu’elle. Vortex montre les effets secondaires de la sénilité ou de la démence, qui rend l’entourage fou. On dit souvent que ce ne sont pas les malades qui doivent voir un psy, mais le conjoint et les enfants !

Le premier film que j’ai vu sur la vieillesse et qui m’a bouleversé étant enfant, c’est La Ballade de Narayama (1958) de Keisuke Kinoshita. Plus tard, Truly Madly Deeply d’Anthony Minghella, sorti en 1990. Qu’est-ce que j’ai pleuré devant ce film ! Tout comme devant Amour, de Michael Haneke, ou The Father de Florian Zeller. Il y a aussi Julie Christie dans Loin d’elle de Sarah Polley (2007), découvert alors que ma mère venait de perdre la tête. Ça m’avait secoué. Mon père m’a dit que c’était mon film le plus violent à ce jour, bien qu’il ne comporte aucune séquence de violence ou de sexe explicite. Car il traite de la déchéance humaine. Au même titre que Love, il ressemble à la vie telle que je l’ai connue. »

Vortex, de Gaspar Noé, en salle le 13 avril. Avec Dario Argento, Françoise Hardy, Alex Lutz…



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