Restitution des œuvres d'art africain ©Chiara Dattola
Restitution des œuvres d'art africain ©Chiara Dattola

BAS LES MASQUES

Laurent Védrine

Il milite pour la restitution des œuvres d’art
Emblématique des rapports entre l’Europe et ses anciennes colonies, la question de la restitution mobilise les militants et interpelle les politiques. Menée par un leader charismatique, Mwazulu Diyabanza, la bataille de la communication est engagée.
C’est une vidéo militante qui a été regardée plus de quarante-cinq mille fois. Ce 30 juillet 2020, l’activiste congolais Mwazulu Diyabanza est en direct sur Internet. Cadrage fébrile, ambiance de guérilla feutrée : la tension monte dans la pièce aux éclairages cliniques, que l’on identifie rapidement comme une salle d’un musée ethnologique. L’homme est filmé par trois acolytes qui l’encouragent à agir. Chef de ce petit commando, Diyabanza s’est spécialement sapé. Béret noir, ample tunique noire brodée sous le col, pantalon en coton blanc, long collier et bracelet de perles ivoire : il a les atours et l’élégance d’un dignitaire. Une sobriété hiératique qui se mêle, par sa stature puissante et ses gestes tactiques, à une teinte presque martiale. Il y a d’ailleurs, en cet instant, quelque chose qui évoque le combat. 
Mwazulu Diyabanza est le « porte--parole international de l’organisation panafricaine Unité-Dignité-Courage », un mouvement afro-diasporique apparu en 2015 qui mobilise essentiellement en France, en Belgique et dans leurs anciennes colonies. Ce groupuscule, l’UDC, n’a ni siège ni adhérents identifiables. Il semble avant tout servir la figure de son leader charismatique, qui se définit comme « un syndicaliste et révolutionnaire, engagé dans la cause de la liberté du peuple noir et de la libération de sa mère-patrie l’Afrique ». Natif du Zaïre en 1978, vivant désormais entre la France et le Togo, Diyabanza a dénoncé tour à tour le franc CFA, les dictateurs tropicaux et leurs biens mal acquis, les bases militaires françaises, les politiques migratoires. Thèmes « classiques » qu’il a revivifiés au gré de l’actualité, y accolant une dimension presque disruptive. Ainsi, à coups de manifestations, happenings, harangues, pétitions, dénonciations, postures victimaires et vidéos innombrables, l’agit-prop de Mwazulu Diyabanza jongle aisément entre les artifices, les maux et les modes de la société du spectacle. Et donc aussi avec les nouveaux enjeux décoloniaux du monde artistique et culturel. 
Dans la salle du musée, Mwazulu rôde, maraude, vérifie la présence de ses followers en ligne tout en jetant des regards de stratège dans un espace de quelques mètres carrés, dans lequel on découvre deux bas-reliefs en granit représentant une pharaonne égyptienne et le célèbre dieu Horus. Et là, telle une panthère, le militant congolais s’approche subrepticement d’un des trésors venus du Nil, promettant aux internautes tenus en haleine de « le ramener à la maison ». Il s’en saisit, doucement. Sonde la fermeté du socle. Tire, légèrement. L’objet cille, l’audience frémit. L’Égypte antique, voilà donc la cible. Mais alors, serions-nous au Louvre ? Au British Museum ? Au MET de New York ? Que nenni : nous sommes tout bonnement à Marseille, dans le quartier du Panier. Au Musée d’Arts Africains, Océaniens et Amérindiens (MAAOA), institution municipale qui rassemble une des plus importantes collections d’objets d’art extra-européens de France. Masques, statues, objets rituels, sarcophages, armes, outils, tenues traditionnelles, trophées, babioles et autres outils folkloriques collectés par les ethnologues d’autrefois. Des pièces venues de tous les recoins de notre ancien empire colonial, voire de l’autre bout du monde. De quoi faire tourner la tête à n’importe quel militant de la restitution. « Le point de départ de ses gestes, c’est de contester le cadre légal et la propriété des œuvres, puisque cette classification a été produite à l’origine par la violence impériale », observe la curatrice Lotte Arndt, chercheuse à la Technische Universität de Berlin : « Sa stratégie est donc assez remarquable, au sens où elle pointe ces lieux d’art comme des lieux de pouvoir symboliques » abonde-t-elle, avant de préciser qu’il « refuse de se laisser mettre à l’endroit où l’histoire a réparti et figé les rôles de chacun ». 

Devant les tribunaux qui l’accuseront de vol, l’activiste et ses complices seront condamnés à des peines de principe et de faibles amendes. Pas de quoi l’arrêter. 

Dans le musée, l’activiste insiste, mais le bas-relief du dieu Horus est trop bien accroché. Pas de bol, début de gêne. Cependant, l’alarme n’a pas retenti. Répit. Dans une harangue aux accents graves, Mwazulu s’adresse aux internautes : c’est avec les pillages de Napoléon sur les bords du Nil que débute l’humiliation de l’Afrique spoliée, affirme-t-il, pédagogue. « L’Égypte négro-africaine fut humiliée ! Et avec elle, c’est le génie des peuples noirs qui a été pris pour cible ! » Doté d’une incroyable faconde, le rhéteur conteste le titre de propriété de l’objet archéologique qui serait détenu par « des gouvernements voleurs, receleurs, prévaricateurs ». Prônant « la diplomatie active », il dit s’inspirer de figures tiers-mondistes telles que Mohandas Gandhi ou Patrice Lumumba. Pragmatisme et non-violence. Mais pour qui connaît l’histoire des luttes révolutionnaires en Afrique et dans l’univers afro-américain, l’énergie déployée à dessein par Mwazulu Diyabanza convoque surtout les figures bien plus fougueuses du roi Béhanzin, de Malcom X et de Thomas Sankara, l’ancien président du Burkina Faso. 
À Marseille, le personnel du MAAOA n’a pas réagi. L’escadron militant se ressoude donc rapidement autour de son chef, qui lance un nouvel assaut pour libérer la divinité. Mais l’œuvre refuse mordicus de se décrocher. Horus, social-traître ? La bande renonce, change ses plans et s’éloigne à grands pas pour trouver « une autre œuvre qui pourrait être libérée, délivrée » dans le musée. Travelling à travers des couloirs blancs et des salles ethnographiques. Tout va très vite. Les voici enfin devant une série d’armes et de masques. Pendant que le meneur décroche méticuleusement une des pièces, ses compagnons de lutte chauffent l’audience, rappelant que tout cela appartenait aux ancêtres des Africains. Ils vont tout ramener à la maison. Ils vont réveiller les esprits. Et voilà que Mwazulu Diyabanza brandit une sorte de grand bâton sculpté. Un trophée. L’équipe pousse un cri victorieux. Alors là, forcément, la sécurité est prévenue. Ils foncent vers la sortie. Coursives, escaliers, dégringolade vers le Vieux-Port. On se croirait presque dans un film de braqueurs. Ou dans une épopée. Le libérateur scande sa geste spectaculaire à grandes enjambées, s’affirmant le digne descendant « de tous les peuples africains, océaniens et australiens ». Habile précaution de langage, improvisée dans le cœur de l’action, qui vient corriger une apparente incongruité : l’objet emporté dans la précipitation est en réalité un sabre originaire de Papouasie-Nouvelle-Guinée...
On arrive dans la cour du musée. Les grilles sont fermées. C’est l’esclandre. Mwazulu, tel un prêcheur évangéliste, interpelle les touristes interloqués. Extraordinaire scène, où, tel un lion en cage, le militant congolais fait les cent pas en enserrant le sabre papou, entouré de ses trois complices panafricains. Hors-champ, deux flics marseillais sont arrivés : T-shirt et maillot de foot, jogging, casquette et lunettes de soleil. Ils font face au fort en gueule qu’ils prennent d’abord pour un forcené. L’injonction d’un policier claque : « Monsieur, posez votre arme ! » À laquelle Mwazulu répond du tac au tac : « Ah mais non, ce n’est pas une arme, c’est une œuvre, c’est notre patrimoine ! » L’imbroglio est total. Fin de la vidéo. 
En France, certains de ses détracteurs l’accuseront ensuite de ne rien connaître à « l’art tribal ». De s’être ridiculisé en choisissant un objet océanien. D’être donc un amateur, un agitateur, un histrion de pacotille. Mais le communicant Mwazulu Diyabanza est plus agile qu’un félin, plus marlou qu’un attaché de presse : rebondissant sur le couac marseillais, il inventera vite le Front Multiculturel Anti-Spoliation (FMAS), autre avatar légitimant son combat confraternel « au nom de tous les peuples opprimés et déshérités de leurs patrimoines ». Papous, Bantous, Zoulous, Kanaks, même combat. 

Dans une harangue aux accents graves, Mwazulu s’adresse aux internautes : c’est avec les pillages de Napoléon sur les bords du Nil que débute l’humiliation de l’Afrique spoliée.

Mwazulu Diyabanza n’en était pas à son coup d’essai. Un mois et demi plus tôt, le 12 juin 2020, il avait spectaculairement inauguré sa méthode en décrochant un poteau funéraire tchadien au Musée du quai Branly à Paris. Une « diplomatie directe » particulièrement habile d’un point de vue médiatique, puisque l’objectif du militant n’était évidemment pas le vol de l’objet, mais bien le simulacre de celui-ci en guise d’exutoire. Une action directe, entre performance artistique et happening politique, menée au cœur même d’un musée souvent qualifié de « bunker du passif colonial français ». « Ses gestes sont performatifs au sens où il crée sa propre légitimité, contestant la hiérarchie existante », remarque Lotte Arndt. « En refusant de se soumettre, de se plier à un régime de propriété qu’il considère comme vicié, il crée son propre espace médiatique et politique. Il est étonnant qu’aucune association n’ait eu l’idée de faire la même chose ces quinze dernières années ! » Diyabanza récidivera le 10 septembre 2020 aux Pays-Bas, tentant d’arracher une statuette congolaise exposée au musée de Berg en Dal. Et enfin, point d’orgue de cette série, à nouveau en France, au Musée du Louvre le 22 octobre 2020, où il jettera son dévolu sur une statue indonésienne…

Restitution des œuvres d'art africain ©Chiara Dattola
Devant les tribunaux qui l’accuseront ensuite de vol, l’activiste et ses complices seront condamnés à des peines de principe, assorties de sursis et de faibles amendes. Pas de quoi l’arrêter. « On ne demande pas à un voleur de nous octroyer ce qui nous appartient ! Ces juges sont illégitimes. Ils sont aux ordres du système. Il faut tout rendre et fermer ces horribles musées coloniaux », dira-t-il à l’issue d’une des audiences, aussi à l’aise face aux médias que dans le prétoire. Sa volubilité, sa force vitale et son aplomb séduisent : les télévisions et la presse du monde entier identifient rapidement une figure contestataire, clivante et courageuse. Conforté, il obtiendra ainsi ce qu’il cherchait à tout prix : d’une part, une tribune internationale pour réclamer un retour massif du patrimoine africain. D’autre part, un renouveau de notoriété au sein des diasporas, au service d’une ambition grandissante. 
La relative mansuétude des magistrats et le traitement favorable des médias, dans cette affaire, en disent long sur l’évolution de l’opinion européenne. Selon certains spécialistes, la question des restitutions ne serait plus qu’une question de temps, d’ajustements juridiques et techniques. Le principe serait acquis, les grands musées européens sentant le vent tourner et s’empressant de faire bonne figure. Dans ce climat favorable, la radicalité de Mwazulu Diyabanza résonne et dérange. Conscient de l’opportunité historique, l’agitateur maximaliste ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. 
Novembre 2021. Rendez-vous est pris dès potron-minet au snack de la gare RER de Pantin, ancienne banlieue rouge. Le ciel est gris et bas. Le militant, lui, arrive tout de noir vêtu, droit dans ses boots en cuir. Sur sa tunique, deux écussons d’épaule brodés de rouge, de jaune et de noir. Ça fait un peu scout, un peu rasta, et quand même un peu guérillero. Électron libre dans un milieu panafricain qui se cherche des nouveaux héros au XXIe siècle, le leader de l’UDC revient d’une tournée de promotion à Kinshasa et à Ouagadougou, où il a notoirement semé le trouble avec ses discours révolutionnaires. Mais Mwazulu n’est pas qu’un agent provocateur. C’est aussi un initié qui se dit habité par un syncrétisme spirituel africain : « Je fréquente sans distinction les mânes des ancêtres, les divinités des cultes vaudous et candomblés, les devins, les anges et les sirènes, les énergies de la nature. Ils me guident dans mes rêves et lorsque je passe à l’action », confie-t-il en joignant symboliquement ses deux grandes mains pleines de bagues. Et puisqu’il se revendique aussi descendant d’une lignée de notables de l’ancien royaume Kongo, l’ésotérisme et l’histoire de son peuple trouvent directement un écho politique qui vient combler, qui sait, un manque de légitimité en Europe. Un souvenir fondateur le marque : le récit fait par sa mère du vol d’une canne royale et d’une toge sacrée en peau de léopard par des colons belges. « Ces objets étaient des attributs de pouvoir. Ils furent délibérément pillés pour nous désarmer, pour nous humilier. Mais le traumatisme est resté dans nos mémoires. Voilà pourquoi je fus imprégné de tout ça depuis l’enfance, voilà pourquoi je me suis promis de participer à la récupération de tous nos chefs-d’œuvre », assure-t-il avec aplomb, certain de son destin de rédempteur. 
Interrogé sur l’opportunisme qui consiste à se saisir d’un débat « à la mode », dans lequel il a surgi sur le tard, l’activiste des restitutions réplique en convoquant à nouveau l’histoire africaine : « En faisant de la diplomatie directe, je m’inscris dans les pas de mes illustres prédécesseurs. Voyez Ambroise Boimbo, le nationaliste congolais qui a saisi l’épée du roi des Belges en 1960, le jour de l’indépendance ! Voyez Lumumba, qui a pris la parole devant les colons alors que le protocole officiel l’interdisait ! Voyez tous ceux qui ont agi de par le monde, en dépit des lois. L’histoire nous donne toujours raison. Nous sommes donc en train d’inverser un rapport de force historique et nous remporterons ce combat, qui est global ! » s’emporte-t-il, soudainement galvanisé. 
Quand on dispose d’un tel bagout, autant creuser le filon. L’Unesco n’a-t-elle pas mis en place depuis longtemps des comités ad hoc ? Et que penser des restitutions vers l’Afrique désormais engagées par la France, la Belgique, l’Allemagne ? L’homme se redresse et prépare une autre salve de mots. Tout en lui fait penser à un pasteur prédicateur, tant il submerge l’auditoire : « L’Unesco est caduque. C’est de la diplomatie dormante, inefficace, inapplicable. Macron et consorts, leurs cadeaux ne sont que des lots de consolation. Ils noient le poisson. Ces musées et leurs lois patrimoniales sont des insultes à nos peuples. Oui, prenez conscience : ces lieux sont en réalité des maisons de crime et de recel ! L’impunité historique sera dénoncée. Et puis il y a autre chose : il y a des millions en jeu. Cette manne financière qu’est l’art africain reviendra bientôt à l’Afrique ! »

« Ces musées et leurs lois patrimoniales sont des insultes à nos peuples. Oui, prenez conscience : ces lieux sont en réalité des maisons de crime et de recel ! »

Si l’argument de l’argent charme les réseaux militants, la valeur de l’art exotique risque fort de fondre au soleil des tropiques, une fois les œuvres rendues. Par ailleurs, ces revenus miraculeux demeurent, à ce jour, de l’ordre du fantasme : les retours d’œuvres spoliées, annoncés et promis depuis 2017 par la France, n’ont pas du tout eu l’ampleur escomptée. La réticence d’une partie des conservateurs, le juridisme patrimonial et l’énorme chantier qui consiste à trier les objets litigieux au sein des collections publiques ont bien souvent accouché d’une souris au sein d’un maelström. Alors, forcément, l’impatience de certains acteurs militants grandit et le discours se radicalise : « Ils font des commissions pour se donner bonne conscience. On ne leur demande pas de restituer des imbroglios mais de rendre les objets dont l’histoire est connue et documentée. Il y en a des centaines. Et même si on n’a pas toujours de preuve de vol, même s’il n’y a pas toujours eu brutalité, on sait qu’il y a toujours eu ruse, escroquerie, corruption active et passive. Même vos historiens le disent ! » assène Mwazulu Diyabanza, en s’appuyant sur le retentissant rapport Savoy-Sarr commandé par l’Élysée en 2017, dont les recommandations audacieuses ont notoirement fait pschitt. 
« C’est un personnage sulfureux, que je n’apprécie pas beaucoup. Mais il est certain qu’une telle figure devait émerger un jour, en France en particulier », témoigne Nanette Jacomijn Snoep, directrice du musée ethnographique de Cologne. « Il y a une véritable rage, qui explique que ce personnage séduise des gens qui ont été vexés et humiliés. C’est la conséquence de décennies d’ignorance par des institutions hégémoniques et élitistes », ajoute-t-elle, avant de préciser que l’Allemagne entame son aggiornamento, s’apprêtant à restituer la propriété légale de 1 133 objets en bronze à la République du Nigeria. 
Observant le processus décolonial des musées européens, la sociologue Marie Rosenkranz écrivait pourtant en juillet 2021 : « Si la restitution était un genre artistique, ce serait sans aucun doute de la fiction. » Un genre plus fécond qu’on ne pense, puisque de nombreux films ou séries africaines, produits des années 1970 à nos jours, reposent tout ou partie sur le motif d’un héros noir cambrioleur de musée. Un filon narratif récemment exploité par le blockbuster américain Black Panther, sorti en 2018. Dans ce récit afrofuturiste, un prince déchu issu du royaume imaginaire du Wakanda dérobe une puissante arme secrète dans la vitrine d’un musée ethnologique britannique, objet dont la conservatrice ignore l’origine et donc les véritables pouvoirs. Occasion pour le personnage de dénoncer en quelques mots l’ignorance des spécialistes européens et les grossiers pillages coloniaux subis par son peuple. Cette scène fictionnelle, assez jouissive à vrai dire, résonne si fortement avec les simulacres de vol et les harangues perpétrés dans la réalité par Mwazulu Diyabanza qu’on ne peut s’empêcher de la relever a posteriori. 
Le militant congolais niera toute influence hollywoodienne, préférant rappeler que les colonisateurs ont sciemment cherché à castrer le génie des peuples africains : « En retenant nos œuvres et la magie qu’elles contiennent, l’Occident cherche à garder le contrôle. Ils savent que si l’Africain renoue avec ses sciences mystiques, s’il les réinvestit, alors on ne le contrôle plus. Or, il y a une guerre technologique en jeu. Ces œuvres que vous appelez “d’art” contiennent des secrets immenses », dévoile-t-il, laissant entrevoir des connaissances occultes. « Prenez par exemple les tablettes de divination. Je pense à la célèbre tablette du Fa revendiquée par le Bénin. Ces technologies ancestrales contiennent des codes secrets, des concepts et des logiciels de pensée. Nous pourrions concevoir des tablettes tactiles africaines ultramodernes, robustes, puissantes, impossibles à déchiffrer », conclut-il en vérifiant son smartphone chinois. 
En France et en Afrique, le milieu scientifique favorable aux restitutions se défie des méthodes et des raccourcis de Diyabanza. Rien d’étonnant, le débat se déroule selon des codes culturels occidentaux, au sein d’une certaine élite. « Ce sont des extrémistes qui n’ont aucune stratégie, enrage le Béninois Alain Godonou, conservateur en chef du patrimoine. Ils ne profitent pas à la cause. Moi aussi je suis militant, et depuis des décennies ! Or le domaine des biens culturels passe forcément par l’expertise et la formation. On n’est pas moins révolté quand on a de véritables “armes miraculeuses”, et en l’occurrence, aujourd’hui ce sont les outils professionnels, les ressources et les arguments pour négocier. » A contrario, les adeptes de Diyabanza se sentent enfin représentés, comme le souligne l’historien du panafricanisme Amzat Boukari-Yabara  : « Il parle à un public plus prolétaire qui n’a pas accès à la théorie et aux débats, s’inscrivant plutôt dans une démarche civilisationnelle et cosmologique. Activiste au sens brut du terme, il balaie donc les légitimités universitaires et intellectuelles. En passant à l’acte, il incarne quelque chose d’absolument inédit et d’extrêmement efficace. Évidemment, certains craignent que ces coups d’éclat soient contre-productifs. »

En France et en Afrique, le milieu scientifique favorable aux restitutions se défie des méthodes et des raccourcis de Diyabanza.

Un comble pour Mwazulu l’Afrocentriste sans frontières, qui dénonce justement l’inertie de toutes les parties. L’interview touche à sa fin. Comment Mwazulu Diyabanza se voit-il dans dix ans ? « Oh, j’imagine que j’aurai déjà terminé mon premier mandat de président de la République Démocratique du Congo. Devenu sage, je me concentrerai donc sur la construction d’un grand village panafricain, sur un terrain de 39 hectares. J’y installerai des œuvres récupérées, où elles seront rechargées en vitalité sur la terre des ancêtres. Et les gens viendront s’y ressourcer pour retrouver la paix, dans ce monde tourbillonné et mouvementé. » Agité de rêves prophétiques similaires, le révolutionnaire burkinabé Thomas Sankara avait un jour déclaré : « Je me suis fait une raison. Soit je finirai vieil homme quelque part, soit ce sera une fin violente car nous avons tellement d’ennemis. » Gageons que Mwazulu Diyabanza, dont le combat est notoirement non-violent, saura trouver des ressources pour rester encore longtemps dans l’air du temps. 
...

Il milite pour la restitution des œuvres d’art Emblématique des rapports entre l’Europe et ses anciennes colonies, la question de la restitution mobilise les militants et interpelle les politiques. Menée par un leader charismatique, Mwazulu Diyabanza, la bataille de la communication est engagée. C’est une vidéo militante qui a été regardée plus de quarante-cinq mille fois. Ce 30 juillet 2020, l’activiste congolais Mwazulu Diyabanza est en direct sur Internet. Cadrage fébrile, ambiance de guérilla feutrée : la tension monte dans la pièce aux éclairages cliniques, que l’on identifie rapidement comme une salle d’un musée ethnologique. L’homme est filmé par trois acolytes qui l’encouragent à agir. Chef de ce petit commando, Diyabanza s’est spécialement sapé. Béret noir, ample tunique noire brodée sous le col, pantalon en coton blanc, long collier et bracelet de perles ivoire : il a les atours et l’élégance d’un dignitaire. Une sobriété hiératique qui se mêle, par sa stature puissante et ses gestes tactiques, à une teinte presque martiale. Il y a d’ailleurs, en cet instant, quelque chose qui évoque le combat.  Mwazulu Diyabanza est le « porte--parole international de l’organisation panafricaine Unité-Dignité-Courage », un mouvement afro-diasporique apparu en 2015 qui mobilise essentiellement en France, en Belgique et dans leurs anciennes colonies. Ce groupuscule, l’UDC, n’a ni siège ni adhérents identifiables. Il semble avant tout servir la figure de son leader charismatique, qui se définit comme « un syndicaliste et révolutionnaire, engagé dans la cause de la liberté du peuple noir et de la libération de sa mère-patrie l’Afrique ». Natif du Zaïre en…

Pas encore abonné(e) ?

Voir nos offres

La suite est reservée aux abonné(e)s


Déjà abonné(e) ? connectez-vous !



Zeen is a next generation WordPress theme. It’s powerful, beautifully designed and comes with everything you need to engage your visitors and increase conversions.

Top Reviews