Chaud devant

Gwenaelle Avice-Huet

La transition énergétique à l’heure des choix
Réduire notre consommation d’énergie et diversifier les moyens de sa production en privilégiant le renouvelable est un objectif consensuel. Comment l’atteindre et à quel prix ?
Que ce soit en Asie, en Amérique ou en Europe, la lutte contre le changement climatique fait désormais partie du langage des politiques comme des plans d’investissement des grands groupes industriels. Bien sûr, d’une région, d’un secteur ou d’une entreprise à l’autre, la mise en œuvre de cette transition s’effectue sur des modes et des tempos très divers. Au-delà de ces différences, l’essentiel est sans doute que chacun ait pris conscience de l’importance du sujet et commence à poser des jalons. L’objectif, fixé en 2015 par les accords de Paris à l’issue de la COP 21, n’est autre que la limitation de la hausse des températures, à 2 degrés, voire 1,5, par rapport à l’ère pré-industrielle. Pour éviter de laisser à nos enfants un monde aux ressources naturelles épuisées, à la biodiversité drastiquement réduite et où les catastrophes naturelles se succèdent sous l’effet de phénomènes climatiques de moins en moins prédictibles. Il s’agit d’un véritable enjeu de civilisation. Que faire ? En théorie, la recette est assez simple. Elle se fonde sur deux principes triviaux : réduire notre consommation (apprendre à moins gaspiller) et « verdir » la quantité d’énergie correspondant à nos besoins incompressibles. 

©Maguelone
Sur le premier point, chacun peut agir en limitant sa consommation d’énergie, aujourd’hui principale responsable des émissions de CO2. Avec 60 % de l’énergie produite perdue ou gaspillée, la marge de manœuvre est considérable. Le bâtiment offre un bon exemple de secteur d’intervention, avec un florilège de solutions à la portée de tous : multiples techniques d’isolation, gestes citoyens simples (comme baisser légèrement son thermostat l’hiver), déploiement d’outils digitaux pour piloter la consommation d’énergie en temps réel… Les nouveaux bâtiments, construits avec les derniers outils digitaux, des batteries et des matériaux d’isolation robustes, permettent de gagner jusqu’à 90 % en efficacité. Ils peuvent même présenter un bilan énergétique positif lorsqu’on y intègre des moyens de production locale (solaire, géothermie, etc.). Quant aux constructions existantes, le déploiement du digital permet de réduire de 30 % leur consommation d’énergie. La bonne nouvelle est que toutes ces technologies sont aujourd’hui disponibles, et qu’elles sont d’ores et déjà économiquement rentables. Les utiliser ne tient qu’à notre volonté. 
Pour atteindre le second objectif, nous pouvons faire appel aux énergies renouvelables : hydraulique, solaire, éolienne – en mer et à terre – ou l’hydrogène vert. Elles sont de plus en plus décentralisées, efficaces et performantes. Elles peuvent se substituer ou compléter progressivement nos « bouquets énergétiques ». Bien sûr, les coûts et l’efficacité des alternatives disponibles sont différents et il appartient à chaque pays de composer son mix en puisant dans cet arsenal pour équilibrer son approvisionnement. Est-ce le cas ? 

Consommer mieux, c’est déjà un premier pas ; consommer moins sera probablement, pour les Américains plus que pour tout autre peuple, le grand enjeu des prochaines décennies.

Si l’on observe la situation aux États-Unis, la première impression est mauvaise : depuis 1990, les émissions de gaz à effet de serre y ont augmenté de 5 %. Qu’attendent-ils pour agir, pourrait-on s’indigner. À tort, puisque, même si les décisions n’ont été prises que très récemment, les Américains ont déjà commencé à agir. Sans même parler des initiatives de certains États comme la Californie, il est à noter que le gouvernement fédéral vient de voter, il y a quelques mois à peine, une enveloppe d’environ 1 000 milliards de dollars pour verdir les investissements et créer des emplois nouveaux. Parmi les nombreuses mesures figurent le financement d’un réseau électrique plus résilient face aux événements climatiques extrêmes, des incitations à développer l’éolien, le solaire et les projets sur l’hydrogène, à installer 250 000 chargeurs de véhicules électriques sur des « alternative fuel corridors », etc. Un effort d’autant plus remarquable que, pour les États-Unis, l’urgence peut paraître moindre. Car, contrairement à la majorité des pays européens, les USA disposent de gigantesques ressources de gaz naturel, ce qui leur permet de produire une électricité moins carbonée : passer du charbon au gaz permet de réduire d’environ deux tiers les émissions de gaz à effet de serre. Alors oui, les Américains ont bel et bien décidé d’y aller. Toutefois, si on regarde la moitié vide du verre, on pourrait questionner l’efficacité de ce programme global. Et noter, par exemple, que la dotation de 3,5 milliards sur cinq ans est trop faible pour conduire un vrai programme de rénovation des passoires thermiques à l’échelle d’un pays où les variations de température sont très fortes et où le coût et la rapidité de la construction priment toute autre considération. Consommer mieux, c’est déjà un premier pas ; consommer moins sera probablement, pour les Américains plus que pour tout autre peuple, le grand défi des prochaines décennies.
L’Europe, elle, a unanimement décidé de diminuer sa consommation d’énergie pour atteindre l’objectif du plan « Fit for 55 » qui prévoit de réduire de 55 % les émissions de CO2 d’ici à 2030. En France, le bâtiment représente environ 30 % des émissions nationales de gaz à effet de serre. D’où l’attention particulière apportée à ce secteur, pour les entreprises comme chez les particuliers. L’équipement en panneaux solaires des toitures et des bâtiments commerciaux ou industriels, voire des maisons individuelles, est en cours mais doit se poursuivre à un rythme accru. Parallèlement, les véhicules électriques se multiplient mais, pour accompagner et accentuer cette conversion, il est indispensable de développer le réseau des points de charge pour les batteries, dans les garages et les parkings d’immeubles notamment. Le numérique au service de la domotique, qui gère l’électricité produite sur place et régule de façon intelligente la consommation pour chasser le gaspillage, fera également partie de la réponse, régulièrement évaluée lors d’audits énergétiques. Avec ce plan « Fit for 55 », l’Europe montre la voie d’un monde plus économe en énergie, sans sacrifier – ou le moins possible – la production et le confort.
Ces engagements européens et américains sont de bon augure. Reste désormais à être au rendez-vous de la mise en œuvre effective de la décarbonation des économies. Autant l’efficacité énergétique est une composante indiscutable de la transition énergétique, autant le verdissement de la consommation peut susciter doutes et interrogations. Ainsi, la décision de l’Allemagne de fermer ses installations nucléaires et de mettre fin à tout programme dans ce domaine a concrètement abouti à relancer la production d’électricité produite à partir de charbon et de gaz naturel. Le maintien en activité des centrales à charbon est catastrophique et sape les efforts de réduction des émissions de carbone. Passer du charbon au gaz permet de réduire d’environ deux tiers les émissions et serait donc à encourager. Sauf que… les événements récents ont mis en lumière des problématiques nouvelles. 

Avec le plan « Fit for 55 », l’Europe montre la voie d’un monde plus économe en énergie, sans sacrifier la production et le confort.

Nous l’avons observé d’abord lors de pandémie de Covid-19, qui a mis à mal les chaînes d’approvisionnement planétaires. L’Europe et les pays de l’OCDE ont réalisé brutalement leur dépendance induite par la concentration des ressources et matières premières. Il va falloir y remédier et relancer la production industrielle locale à la lumière du risque de pénurie. Porteuse de croissance et d’emploi en Europe, très positive au plan écologique, cette évolution, pour laquelle les enjeux de compétitivité sont cruciaux, ne peut être qu’encouragée. Alors que la crise sanitaire semblait s’apaiser, le conflit russo-ukrainien a fait resurgir la question de la provenance des énergies fossiles, pétrole et surtout gaz, importées : aujourd’hui, 40 % du gaz consommé en Europe est fourni par la Russie. Est-ce que la crise géopolitique actuelle peut mettre en péril la sécurité d’approvisionnement de l’Europe ? Évidente, la réponse à cette question angoissante montre qu’il devient urgent pour le vieux continent de diversifier ses sources d’approvisionnement en gaz naturel, notamment pour assurer le fonctionnement de son système électrique. 

Gwenaelle Avice-Huet
diplômée de l’École Normale Supérieure de Cachan, agrégée de physique-chimie et titulaire d’un DEA de chimie moléculaire à l’École Polytechnique, est ingénieure du corps des Ponts et Chaussées. Ancienne directrice générale d’Engie Amérique du Nord et responsable des énergies renouvelables, elle est directrice générale « Stratégie et Développement Durable » de Schneider Electric.
Parallèlement, l’accélération de la transition énergétique doit constituer l’axe central des réflexions et des décisions. Essentielles pour garantir notre souveraineté et très vertueuses sur le plan écologique, ces stratégies – relocalisation des industries, diversification des sources d’approvisionnement en énergies et matières premières, réduction globale de la consommation et du gaspillage, intégration progressive du renouvelable dans le mix énergétique – doivent constituer une ardente obligation au niveau politique, industriel, individuel et citoyen. Cette nécessaire ambition nous offre l’opportunité de modifier la géographie de l’industrie mondiale et de rebattre les cartes de l’innovation et de la formation. C’est l’occasion de créer un nouveau tissu industriel dans nos régions et de dessiner un avenir de confiance où l’industrie et les particuliers consommeront rationnellement les ressources de la planète. 
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La transition énergétique à l’heure des choix Réduire notre consommation d’énergie et diversifier les moyens de sa production en privilégiant le renouvelable est un objectif consensuel. Comment l’atteindre et à quel prix ? Que ce soit en Asie, en Amérique ou en Europe, la lutte contre le changement climatique fait désormais partie du langage des politiques comme des plans d’investissement des grands groupes industriels. Bien sûr, d’une région, d’un secteur ou d’une entreprise à l’autre, la mise en œuvre de cette transition s’effectue sur des modes et des tempos très divers. Au-delà de ces différences, l’essentiel est sans doute que chacun ait pris conscience de l’importance du sujet et commence à poser des jalons. L’objectif, fixé en 2015 par les accords de Paris à l’issue de la COP 21, n’est autre que la limitation de la hausse des températures, à 2 degrés, voire 1,5, par rapport à l’ère pré-industrielle. Pour éviter de laisser à nos enfants un monde aux ressources naturelles épuisées, à la biodiversité drastiquement réduite et où les catastrophes naturelles se succèdent sous l’effet de phénomènes climatiques de moins en moins prédictibles. Il s’agit d’un véritable enjeu de civilisation. Que faire ? En théorie, la recette est assez simple. Elle se fonde sur deux principes triviaux : réduire notre consommation (apprendre à moins gaspiller) et « verdir » la quantité d’énergie correspondant à nos besoins incompressibles.  ©Maguelone Sur le premier point, chacun peut agir en limitant sa consommation d’énergie, aujourd’hui principale responsable des émissions de CO2. Avec 60 % de l’énergie produite perdue…

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