Cinéma permanent Myke Simon
Myke Simon

Cinéma permanent

Michel Palmieri

L’avenir du cinéma, s’il en a un – mais pourquoi en irait-il différemment pour le 7e art que pour les six premiers, tous bien vivants à ce jour – passe-t-il toujours par la salle ? Totalement fermées ou privées des séances du soir (habituellement les plus fréquentées) une large partie de l’année 2020 et plus de la moitié de 2021, les salles de cinéma ont vu leur modèle économique bouleversé et leur chiffre d’affaires s’effondrer : 65 millions d’entrées en 2020 et 96 en 2021, contre 213 millions en 2019 !  Colossale, irrattrapable, cette perte sèche a fragilisé les grands exploitants (Gaumont-Pathé, UGC…) et provoqué la fermeture de nombre de petits, conformément au principe séculaire qui veut que les crises fassent maigrir les gros et mourir les maigres. 

Catastrophiques, ces résultats ne constituent pas pour autant la préoccupation première de la profession. Plus impalpable, moins aisément quantifiable, le risque d’un bouleversement des habitudes de consommation d’images inquiète un secteur confronté à l’irruption des plateformes de vidéos à la demande par abonnement (SVOD), Netflix, Amazon, Disney+… dont le développement agressif a très largement bénéficié de la pandémie et de ses conséquences, confinements et couvre-feux. Un constat que confirment sans ambiguïté les marchés financiers : en deux ans de crise sanitaire, la capitalisation boursière de Netflix a plus que doublé pendant que celle de Gaumont perdait le quart de sa valeur.

Moins cher (le prix du billet de cinéma à Paris avoisine désormais le coût d’un mois d’abonnement à une plateforme), facile d’accès et offrant des conditions de visionnage toujours meilleures grâce à l’amélioration des équipements domestiques, le home-cinéma a bien des atouts pour conserver ses nouveaux adeptes au-delà de la réouverture des salles, même débarrassées des contraintes administratives comme le masque ou le pass vaccinal. D’autant que le nouvel accord sur la chronologie des médias, validé récemment par les professionnels de l’audiovisuel, porte un coup sévère au principal avantage de la salle de cinéma, seul lieu de diffusion des nouveaux films. Elle le restera, mais moins longtemps. La salle bénéficiera de cette exclusivité pendant seulement six mois désormais (huit auparavant) avant que Canal+ puisse les proposer. Pour les abonnés des plateformes de SVOD, le délai d’attente est réduit de moitié, passant de trente-six mois à dix-sept, voire à quinze pour Netflix en échange de son engagement à financer le cinéma français. Les chaînes hertziennes n’ont pas été oubliées, qui verront leur purgatoire réduit de trente à vingt mois. 

Face à cette concurrence agressive, le réseau de salles de cinéma français, l’un des plus denses au monde avec plus de 6 000 écrans, fait de la résistance. Le soutien financier des pouvoirs publics de toute obédience a permis la rénovation et la numérisation de nombre d’exploitations, qui offrent désormais une qualité d’image et de son irréprochable. Le développement des cartes d’abonnement continue d’attirer les plus assidus, sécurisant ainsi un noyau dur de spectateurs. La quantité et la diversité de l’offre, sans cesse renouvelée avec dix à quinze films nouveaux chaque mercredi, sont de nature à séduire un très large public. D’autant que la durée de vie des sorties, de plus en plus brève, crée un sentiment d’urgence : passé les premières semaines, voire la première seulement, il devient toujours plus difficile de trouver une séance, sinon à 16h15, le mardi seulement, et dans un lointain cinéma… Avec l’embouteillage lié à la fermeture des salles durant les confinements, cette tendance s’est accélérée : la nécessaire libération d’écrans pour projeter tous les films retardés pour cause de fermeture a accentué le turn-over, déjà rapide avant la crise sanitaire. D’abord incitative, cette pression peut néanmoins se muer en handicap, tant il devient vite tentant d’attendre la diffusion de l’œuvre convoitée en VOD (quatre mois après la sortie) voire un peu plus tard. 

Souvent menacé, voire condamné, par les arrivées successives de la télévision, de la VHS, du DVD ou des plateformes, le cinéma a toujours résisté. Sans doute parce qu’il reste un lieu de socialisation, l’occasion de premiers rendez-vous, de sorties en famille ou entre amis. Une singularité qui lui a permis de lutter victorieusement contre le « stupide petit écran » que vilipendait Martin Scorsese. Jusqu’à quand ? 



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