L’autre guerre de Crimée

Jean-Vincent Bacquart

Débats & combats

En 1853, une coalition internationale combattait déjà les Russes pour le contrôle de la Crimée. Explications.
En ces temps de troubles internationaux où chaque parole compte, n’a-t-on pas entendu, au détour d’un soi-disant exposé géostratégique, que jamais la Russie n’avait perdu une guerre ? Et d’appeler à témoigner les grognards de Napoléon, sabrés par les Cosaques en 1812, ou, plus proches de nous, les envahisseurs nazis aplatis par le rouleau compresseur floqué de l’étoile rouge…Passé les émotions et les passions, la raison révèle toutefois que lyrisme et science historique ne font décidément pas bon ménage. Car des guerres et des batailles, la Russie en a gagné, certes. Mais la Russie en a aussi perdu. Parmi ces épisodes, la guerre de Crimée de 1853-1856 résonne tout particulièrement en ces jours tristes. Parce qu’elle opposa une coalition « internationale » à l’empire des Tsars, alors engagé dans une dynamique expansionniste. Mais également parce que la Russie déclencha les hostilités sous prétexte de défendre des minorités en territoire étranger…
En ce milieu du XIXe siècle, l’Empire ottoman n’est que le pâle reflet de ce qu’il était deux cents ans auparavant. Miné par la corruption, instable politiquement, plusieurs fois défait militairement, il subit un nouvel assaut le 5 mai 1853 : le Tsar Nicolas Ier exige de pouvoir intervenir dans tout l’Empire pour protéger les populations chrétiennes orthodoxes à chaque fois qu’elles seront menacées.
C’en est trop pour Constantinople, qui bénéficie du soutien diplomatique de Londres et de Paris, particulièrement inquiètes des ambitions russes. La guerre est déclarée le 4 octobre 1853, après l’invasion des provinces roumaines, alors sous contrôle ottoman. Seules face aux centaines de milliers de soldats du Tsar, les troupes ottomanes subissent des défaites sur terre comme sur mer. Pour renverser la situation, la France de Napoléon III et la Grande-Bretagne n’ont d’autre choix que de rejoindre le conflit en mars 1854. Depuis Gallipoli, le corps expéditionnaire franco-anglais, bien équipé et entraîné, repousse bientôt les Russes vers le nord, débloquant Varna et Silistra.

Des guerres et des batailles, la Russie en a gagné, certes. Mais la Russie en a aussi perdu.

Décidés à affaiblir durablement la Russie, les Alliés déclenchent de nombreuses opérations navales et décident de porter leur effort sur Sébastopol, base de la flotte russe de la mer Noire. Soixante mille soldats, pour trois quarts français, débarquent à Eupatoria à la mi-septembre 1854. Les Russes sont pris de court. Le 20, les Zouaves français contribuent à la victoire de l’Alma, qui ouvre la route de Sébastopol. Par deux fois, à Balaklava (25 octobre) et à Inkerman (5 novembre), les troupes russes vont tenter de desserrer l’étau. En vain. 
Depuis leur camp retranché, Français et Britanniques entament le siège de Sébastopol, alors que l’hiver fige les positions et affaiblit les organismes. En mars 1855, la mort de Nicolas Ier laisse espérer la fin des hostilités. Las, son successeur Alexandre II ne peut accepter de perdre la face. Renforcés par les troupes sardes, les Alliés progressent inexorablement. Le 8 septembre 1855, le général Mac-Mahon lance l’assaut sur la fortification de Malakoff, pivot de la défense de Sébastopol. Bientôt, le drapeau tricolore flotte sur la position, poussant les Russes à évacuer la ville quelques jours plus tard. Alors que l’euphorie gagne les capitales occidentales, où l’on considère la guerre comme gagnée, le Tsar s’entête encore quelques mois, pour finir par accepter la paix, en signant le traité de Paris du 30 mars 1856. Le conflit a coûté la vie à deux cent quarante mille hommes. 

Historien, éditeur,
Jean-Vincent Bacquart
est doctorant à Sorbonne Université, attaché au Centre d'histoire du XIXe siècle. Ses recherches portent sur les ordres religieux et militaires, notamment sur l’ordre du Temple et ses résurgences apparues aux XVIIIe et XIXe siècles.
Amplement couverte par la presse, témoin d’une augmentation de la puissance de feu, de l’emploi de technologies nouvelles comme le télégraphe, d’une amélioration de la prise en charge médicale des blessés, la guerre de Crimée a eu des conséquences à l’échelle de l’Europe entière. Avec cette victoire, l’empereur Napoléon III balaya le souvenir de l’humiliation subit par son oncle en 1815 ; la France entendait dorénavant jouer un rôle majeur dans les affaires européennes. Alors que les désordres géostratégiques, nés du conflit, préparaient la voie aux unités allemande et italienne, la Russie, de son côté, perdait une partie de son influence sur l’Europe orientale. L’Empire ottoman, enfin, s’ouvrait progressivement à la modernité, suite aux contacts avec ses alliés occidentaux. 

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Débats & combats En 1853, une coalition internationale combattait déjà les Russes pour le contrôle de la Crimée. Explications. En ces temps de troubles internationaux où chaque parole compte, n’a-t-on pas entendu, au détour d’un soi-disant exposé géostratégique, que jamais la Russie n’avait perdu une guerre ? Et d’appeler à témoigner les grognards de Napoléon, sabrés par les Cosaques en 1812, ou, plus proches de nous, les envahisseurs nazis aplatis par le rouleau compresseur floqué de l’étoile rouge…Passé les émotions et les passions, la raison révèle toutefois que lyrisme et science historique ne font décidément pas bon ménage. Car des guerres et des batailles, la Russie en a gagné, certes. Mais la Russie en a aussi perdu. Parmi ces épisodes, la guerre de Crimée de 1853-1856 résonne tout particulièrement en ces jours tristes. Parce qu’elle opposa une coalition « internationale » à l’empire des Tsars, alors engagé dans une dynamique expansionniste. Mais également parce que la Russie déclencha les hostilités sous prétexte de défendre des minorités en territoire étranger… En ce milieu du XIXe siècle, l’Empire ottoman n’est que le pâle reflet de ce qu’il était deux cents ans auparavant. Miné par la corruption, instable politiquement, plusieurs fois défait militairement, il subit un nouvel assaut le 5 mai 1853 : le Tsar Nicolas Ier exige de pouvoir intervenir dans tout l’Empire pour protéger les populations chrétiennes orthodoxes à chaque fois qu’elles seront menacées. C’en est trop pour Constantinople, qui bénéficie du soutien diplomatique de Londres et de Paris, particulièrement inquiètes des ambitions russes. La guerre est déclarée…

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