Débats & combats
Face à un monde trop complexe, les citoyens doivent admettre leurs limites et s’en remettre à la science.
La pandémie de Covid-19 est un extraordinaire exemple d’une situation dans laquelle nous allons, collectivement, nous retrouver de plus en plus fréquemment : devoir prendre des décisions, agir, alors que nous sommes face à un phénomène qui nous concerne profondément mais que nous ne pouvons pas comprendre. Je ne parle pas d’un phénomène que nous ne comprenons pas mais d’un phénomène dont la complexité est telle que nous ne pouvons intrinsèquement pas le comprendre. Le Santa Fe Institute, Mecque de la recherche sur les systèmes complexes, s’est fait l’écho des travaux les plus en pointe sur ce concept aux conséquences innombrables. Les systèmes complexes, tels qu’étudiés par la science, se distinguent par le fait qu’ils sont formés de sous-systèmes hétérogènes évoluant à des échelles temporelles et spatiales différentes et s’influençant mutuellement. Ils sont caractérisés par l’apparition de comportements impossibles à expliquer si l’on se contente de regarder une partie du système car ils émergent du comportement du système dans son ensemble.
La pandémie, dont les impacts au niveau social, économique, psychologique, financier, etc., peuvent, par effet de rétroaction, accélérer ou freiner le développement, est clairement un système complexe. En lui-même, le phénomène de pandémie n’est déjà pas simple, avec la transmission par contact, l’impact des voyages, les variants, l’effet des vaccins, les limites du système de santé, etc. Cette complexité est augmentée par les interactions avec le système économique et social, l’acceptabilité des décisions par la population et les conséquences que cela peut avoir sur l’épidémie elle-même. Enfin, l’interaction entre les individus, via les réseaux sociaux, qui peuvent s’influencer mutuellement très rapidement, augmente encore cette complexité.
Une autre caractéristique des systèmes complexes est qu’il n’y a qu’une manière de s’y prendre pour pouvoir anticiper leur évolution ou l’impact d’une action : les simuler informatiquement. Cela signifie en particulier que, sans simulation, il est impossible, aussi brillant et intelligent soit-on, de les comprendre. Les simuler n’est pas toujours facile et il est très important de pouvoir prendre en compte l’ensemble des sous-systèmes et paramètres impactés par et/ou impactant le système. Cela nécessite des moyens inaccessibles aux citoyens : seuls un État ou un ensemble d’États peuvent en disposer.
Nous serons de plus en plus souvent confrontés à des situations qu’il ne sera possible qu’à très peu de personnes d’apprécier correctement.
Durant les deux dernières années, de nombreuses personnes de bonne foi, parfois compétentes dans leur domaine (médecins, représentants d’un secteur économique, psychologues, etc.), ont donné leur avis sur ce qu’il fallait « évidemment » faire ou ne pas faire, et nous avons d’ailleurs tous le nôtre (« pourquoi interdire les plages alors que le métro est bondé ? »). Tous regardaient le système « pandémie » depuis leur point de vue, limité, ignorant qu’ils ne pouvaient pas saisir l’intégralité de la situation. Leur compréhension locale ne leur permettait pas d’avoir un avis éclairé sur le phénomène global. Face à un tel système, il faut accepter de reconnaître que nous sommes tous stupides.
Michel Morvan
a été professeur à l’ENS de Lyon et au Santa Fe Institute (USA) puis directeur d’études à l’EHESS. Également Eisenhower Fellow, il est président et cofondateur de la start-up Cosmo Tech. Il préside l’Institut de recherche technologique SystemX et est membre du groupe d’experts de l’OCDE sur l’intelligence artificielle.
Notre monde s’est considérablement complexifié ces dernières décennies, sous l’effet de l’augmentation massive des interconnexions entre les personnes, les objets et entre les personnes et les objets. Nous serons de plus en plus souvent confrontés à des situations qu’il ne sera possible qu’à très peu de personnes d’apprécier correctement afin de prendre des décisions pertinentes. Celles-ci s’appuieront sur des données en temps réel nourrissant les outils de simulation les plus puissants. Par nature, ces décisions resteront incompréhensibles à la population, aussi éduquée et intelligente soit-elle. Cette réalité sera plus facile à gérer dans les pays totalitaires. Mais pour les sociétés démocratiques, dont le principe exige que le peuple puisse comprendre les différents choix possibles et se forger un avis sur leur bien-fondé, il s’agit là d’un défi majeur.
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Débats & combats Face à un monde trop complexe, les citoyens doivent admettre leurs limites et s’en remettre à la science. La pandémie de Covid-19 est un extraordinaire exemple d’une situation dans laquelle nous allons, collectivement, nous retrouver de plus en plus fréquemment : devoir prendre des décisions, agir, alors que nous sommes face à un phénomène qui nous concerne profondément mais que nous ne pouvons pas comprendre. Je ne parle pas d’un phénomène que nous ne comprenons pas mais d’un phénomène dont la complexité est telle que nous ne pouvons intrinsèquement pas le comprendre. Le Santa Fe Institute, Mecque de la recherche sur les systèmes complexes, s’est fait l’écho des travaux les plus en pointe sur ce concept aux conséquences innombrables. Les systèmes complexes, tels qu’étudiés par la science, se distinguent par le fait qu’ils sont formés de sous-systèmes hétérogènes évoluant à des échelles temporelles et spatiales différentes et s’influençant mutuellement. Ils sont caractérisés par l’apparition de comportements impossibles à expliquer si l’on se contente de regarder une partie du système car ils émergent du comportement du système dans son ensemble. La pandémie, dont les impacts au niveau social, économique, psychologique, financier, etc., peuvent, par effet de rétroaction, accélérer ou freiner le développement, est clairement un système complexe. En lui-même, le phénomène de pandémie n’est déjà pas simple, avec la transmission par contact, l’impact des voyages, les variants, l’effet des vaccins, les limites du système de santé, etc. Cette complexité est augmentée par les interactions avec le système économique et…
