À travers l’univers

William Emmanuel

C’est une histoire que les scientifiques se racontent avec amusement. Un jour, Albert Einstein présente au Pape sa théorie de la relativité générale. Le souverain pontife est très attentif. À la fin de l’exposé, il s’adresse au physicien : « Nous sommes d’accord : après le Big Bang, c’est pour vous. Avant, c’est pour nous. » Est-elle vraie ou inventée ? Peu importe. L’anecdote résume la difficulté de la recherche de nos origines. Dès qu’il a levé les yeux, l’être humain n’a pu qu’être émerveillé ou effrayé par le spectacle des étoiles. Il a cherché à comprendre. Les questions sont multiples. Retenons les deux principales : d’où venons-nous et pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Quand il a commencé à vivre en communauté, l’être humain, Néandertal avant Sapiens – qui se caractérise par sa capacité à élaborer des histoires – a essayé de mettre en forme un récit pour tenter d’expliquer comment tout cela a pu arriver. Les peintures rupestres, dont certaines, découvertes en Espagne, remontent à plus de 65 000 ans, en témoignent. Ces scènes ordinaires, réalisées avec les rares pigments disponibles alors, ont une dimension symbolique évidente. Nous savons désormais, avec une exceptionnelle précision, comment l’univers s’est développé et comment la vie est apparue. Mais nous ne savons toujours pas pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. En d’autres termes, pourquoi la vie ? D’où le succès extraordinaire des mythologies. Toutes les philosophies et toutes les religions s’intéressent à la question des origines. Le Livre de la Genèse, fondateur pour le judaïsme et le christianisme, débute ainsi : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre… La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux… » Suivent plusieurs épisodes jusqu’à la « création » de l’homme et de la femme. « Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et tout leur déploiement », y lit-on.

Presque toutes les mythologies et religions évoquent un chaos, un espace immense et ténébreux, d’où sont apparues les étoiles formant notre galaxie.

Longtemps, l’Homme a cru qu’il était au centre de tout et que la Terre était au centre de l’univers. Dès l’Antiquité grecque, Aristote (384-322 avant Jésus-Christ) démontre que la Terre est sphérique mais il décrète qu’elle est immobile et que les autres astres, y compris le soleil, tourne autour d’elle dans un mouvement circulaire uniforme. En outre, il fait une distinction entre le monde terrestre imparfait et le monde céleste parfait et éternel. De quoi ouvrir des discussions philosophiques et métaphysiques sans fin durant des siècles, sauf dans l’Église, qui s’en tient à une lecture littérale de la Bible et envoie au bûcher ceux qui osent remettre en cause les dogmes.

Comme le rappelle le physicien italien Guido Tonelli, chercheur invité au Centre européen pour la recherche nucléaire (CERN), basé en Suisse, et l’un des protagonistes de la découverte du boson de Higgs, la vision géocentrique s’effondre au XVIIe siècle, après les travaux de nombreux savants, Copernic, Kepler et, surtout Galilée, dont les découvertes ébranlent les certitudes et croyances les plus ancrées. Même si certains refusent de l’admettre, les observations permettent de comprendre que les planètes tournent sur elles-mêmes et autour d’un astre plus important. Dans notre galaxie, c’est le soleil qui est au centre de tout, pas la Terre. 

« C’est un terrible choc culturel, philosophique et religieux. À partir de ce moment, le monde ne sera plus jamais le même. » Pourtant, juge Guido Tonelli, dans Genèse, le grand récit de l’Univers (Dunod), si l’on prend un peu de recul, ces deux systèmes (géocentrique et héliocentrique) qui semblent irréconciliables au point d’avoir fait couler le sang en leur nom ont, en réalité, une structure très similaire. Tous deux décrivent un univers immuable, stationnaire, une machine parfaite qui garantit une rotation harmonieuse et pérenne. Cette perfection apparente a fait dire à Voltaire : « Je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger. » 

Rien de surprenant car presque toutes les mythologies et religions évoquent un chaos, un espace immense et ténébreux, d’où sont apparues les étoiles formant notre galaxie. Dans la Genèse biblique, le terme utilisé est tohu-bohu, de l’hébreu tohou-va-vohou, qui évoque un environnement peu hospitalier pour les êtres de la création. Une approche qui justifie l’existence d’un démiurge chargé de mettre de l’ordre dans ce chaos primordial et de faire apparaître un Univers – de unus, un, et vertere, tourner – stable et ordonné, une vision accessible à l’esprit humain. C’est oublier que, en grec ancien, le terme chaos renvoie à la notion de gouffre ou de béance. Pour Guido Tonelli, « le chaos initial, entendu comme le vide, est tout sauf désordre. Il n’existe pas de système plus rigidement ordonné, régulé et symétrique que le vide. Tout y est strictement codifié, chaque particule matérielle va de pair avec son antiparticule, chaque fluctuation observe avec discipline les contraintes du principe d’indétermination, tout bouge selon un rythme cadencé et bien tempéré, une chorégraphie parfaite, sans improvisation, ni virtuosité ». En clair, l’ordre est dans le chaos.

Ce qui nous plonge tout de même dans un abîme de perplexité : comment cet univers infini a-t-il pu naître du vide ? On a tous le souvenir de nos cours sur le Big Bang, qui aurait eu lieu il y a 13,8 milliards d’années. Cela suggère une autre question : comment une énergie aussi considérable a-t-elle pu se concentrer en un point précis pour donner naissance à l’univers ? Quand on commence à s’interroger sur l’origine du monde, on saute d’une question à une autre sans toujours comprendre. Dans un souci de vulgarisation, et aussi pour insister sur la nécessité pour l’Homme de s’approprier son récit des origines, Guido Tonelli choisit de séquencer son ouvrage comme l’Ancien Testament. Du premier jour au septième jour, il nous conte le souffle initial, le boson, les « immortels », la lumière, la première étoile, l’ordonnancement du chaos et le foisonnement des formes complexes. C’est à la fin de ce septième jour, où nous nous trouvons encore, qu’un de nos ancêtres raconte une histoire.

Le grand mérite de Guido Tonelli est de nous guider dans son voyage spatio-temporel en compagnie des grands chercheurs qui ont permis des avancées majeures au cours des siècles. Il rappelle que jusqu’aux années 1920, la plupart des scientifiques pensaient que l’univers se limitait à la Voie lactée et qu’Albert Einstein lui-même avait introduit dans son équation sur la relativité générale un terme positif pour compenser la tendance à la contraction du système. Une façon de conjurer le sort funeste qui attend notre univers ? Dès 1927, Georges Lemaître, astronome belge et prêtre catholique, s’appuie sur les calculs du célèbre savant pour décrire un univers en expansion, avec de nombreuses galaxies comptant des milliards d’étoiles. Jusqu’où cela ira-t-il ? L’univers va-t-il s’effondrer, dans quelques milliards d’années, pour donner naissance à un nouvel univers ?

Guido Tonelli nous fait entrer dans les arcanes du CERN et déploie d’importants efforts de pédagogie pour décrire le fonctionnement d’un accélérateur de particules. Il nous rend accessibles les théories de Peter Higgs, un des découvreurs du boson BEH, qui a contribué, dans les années 1960, à expliquer pourquoi certaines particules élémentaires avaient une masse et d’autres pas. Ce qui lui a valu le prix Nobel de physique, avec François Englert, en 2013. Grâce à ce boson, surnommé « la particule de Dieu », les astrophysiciens ont pu établir le déroulement précis de la formation de l’univers à partir d’un centième de milliardième de seconde après le Big Bang, il y a donc 13,8 milliards d’années.

Si, à l’échelle de l’histoire de l’univers, l’Homme arrive tout récemment, il a, grâce à ses capacités cognitives et intellectuelles, réalisé un travail absolument remarquable pour expliquer le « comment » de la vie. Quant au « pourquoi », libre à chacun de faire appel à son imagination. Comme l’écrit l’auteur, « c’est pourquoi l’art, la science et la philosophie sont encore aujourd’hui des disciplines fondamentales, celles qui donnent corps à notre humanité. Cette vision unifiée du monde, née dans notre passé le plus lointain, reste l’outil le plus adapté pour affronter les défis de l’avenir. » 

Genèse, le grand récit des origines, de Guido Tonelli (Dunod), 256 pages, 19,90 €.



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