LA COURTINE, L’ÉCOLE DE LA VIE
Alix Vermande
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Alix Vermande
la france des coins tranquilles
Jadis grouillant de jeunes conscrits, au temps béni du service militaire, le petit bourg de La Courtine, au cœur du Limousin, se bat pour défendre son école. Une lutte pour la vie dans ce village trop calme, perdu sur le plateau de Millevaches.
« C’est bon, on peut dire qu’on a gagné ! » Derrière le petit bureau en bois, Jean-Marc Michelon clame victoire. Il n’y aura pas de nouvelle fermeture de classe sur sa commune. Mais pas de quoi fanfaronner. Ce serait mal connaître le maire de La Courtine, pragmatique et franc du collier. « On a trouvé un compromis, on verra bien combien de temps ça va tenir… Moi, en tout cas, je suis épuisé de devoir me battre pour ça. » La bataille, il la mène avec l’écharpe tricolore depuis plus de vingt ans. Soixante même avec la casquette de citoyen né dans ce village creusois. Un mec du coin. De ce coin tranquille et perdu du Limousin. Ce petit bourg de moins de huit cents âmes n’a pas toujours connu ce silence pesant pour certains, reposant pour d’autres. Un silence rompu par le va-et-vient quotidien de la centaine de poids-lourds empruntant la départementale qui traverse la commune. Des vitrines de commerces abandonnés. Une gare désaffectée. Un collège déserté. Cette vie qui s’en est allée. Oubliée ? Non. Du moins, pas encore. L’école est sauvée.
La Courtine ©Alix Vermande
L’œil est nostalgique, la gorge un peu nouée sur un passé regretté. Jean-Marc Michelon se souvient. Il les voit encore ces dix mille bonhommes arpentant les rues de La Courtine. Il l’entend toujours le brouhaha de ces cent vingt-huit bars abreuvant des gosiers juvéniles. Il en parle encore de ces maisons closes, pas toujours officielles, destinées au repos des guerriers. Depuis sa création, à l’aube du XXe siècle, le camp de La Courtine a accueilli bon nombre de jeunes majeurs. Ils étaient, pour la plupart, originaires du Sud-Ouest de l’Hexagone. De Bordeaux, de Limoges, de bien plus près… « Moi aussi je l’ai fait ici, mon service, rappelle l’actuel maire, avec une fierté à peine dissimulée. Comment ça s’appelle déjà ? Être pistonné ? Mais pas par un ministre ou par machin. J’avais envie de rester dans le coin. Mais j’en ai pas fait moins, ni plus, que si j’avais été ailleurs. »
D’autres Courtinois ont eu la chance de faire le service « à la maison ». C’était dans les années 1970 pour Jean-François. La grande époque pour celui qui a ensuite fourni le camp sous la casquette de marchand de vins et limonadier. Comme si, finalement, il n’avait jamais pris la quille. Un temps révolu depuis 1999, la faute à la décision d’un homme parfois surnommé « Le Corrézien » et bien loin d’imaginer les conséquences pour cette bourgade voisine de… la Corrèze. « Eh oui, tout s’est arrêté le jour où Chirac a supprimé le service militaire. Ça a été le jour et la nuit, une catastrophe pour le “pays”. » La Courtine serait donc morte au tournant du XXIe siècle ? Presque, à en croire l’ancien conscrit. « On va dire qu’aujourd’hui, La Courtine vivote. » Constat un brin sévère, pour Sandrine. Débarquée au début des années 1990, elle tient désormais le tabac-presse au bord de la route. Avec quelques commerces, son établissement constitue ce qui pourrait s’apparenter au bourg du village. Symboliquement en tout cas, tant l’architecture longiligne de la commune, étirée sur trois kilomètres, n’offre aucune perspective de cœur d’activités. De chaque côté de la route, les volets clos aux étages des façades décrépies et les rideaux de fer baissés se succèdent. Le Bazar universel, chasse, pêche, jouets, cadeaux, devait être fermé depuis belle lurette quand le pub voisin a lui aussi mis la clef sous la porte. Et pourtant, ça défile. Ici, un retraité emmitouflé dans un long manteau en quête de son canard du jour. Là, un militaire en treillis venu valider son pari sportif entre deux manœuvres. Un ballet toujours apprécié par la commerçante : « Il fait bon vivre ici ! On est sur une route de passage donc on voit souvent des personnes différentes, mais on a toujours notre clientèle fidèle ! »
Fidèle, la Creusoise l’est également. Partie faire ses études à Brive, elle a décidé de revenir au pays. « Moi, j’aurais bien aimé qu’elle y reste à Brive, comme ça j’aurais pu y faire un tour. Ça m’aurait fait une sortie ! » lance, non sans humour, la pâtissière du trottoir d’en face. Sa mère. Avec son mari, Isabel a lancé son paradis sucré il y a plus de trente ans. À une vingtaine de mètres de l’entrée du camp militaire. « On s’est rapidement habitués à voir des hommes en uniforme et des Jeep passer devant notre vitrine toute la journée. Oui, on a perdu quelques clients, mais rien de dramatique. En revanche, on a pu préserver cette tranquillité et ce calme. » Un calme récemment rompu par la mobilisation des Courtinois bien décidés à se faire entendre pour éviter la fermeture d’une nouvelle classe. « Ici, on se connaît tous. On a tous manifesté pour l’école et je suis très contente du résultat. Il faut que l’on se serre les coudes. Que tout le monde comprenne que c’est pour le village. » Le cri du cœur s’écrit en lettres rouges sur une bannière disposée à l’entrée de la commune. Difficile de la rater. Elle fait face au grillage et aux barbelés du camp. « Tous concernés, la mort d’une école, c’est la mort d’un village. »
Plus bas, Annie fait un point trafic sur le pas de la porte de son hôtel-restaurant. Entre deux clients, elle apprend la nouvelle diffusée à la vitesse d’une dépêche. « On la garde ? Tant mieux parce que, mine de rien, l’école, ça amène du monde. » Du monde oui, mais pas forcément à son Petit Breuil, l’établissement emblématique du plateau de Millevaches. « Pour attirer des gens à La Courtine, il faut être fort ! On travaille grâce à ce qu’on appelle le tourisme d’affaires, des gens de passage. On fait facilement plus de trente couverts par jour alors que presque personne n’a réservé. » Et ça fait plus de cent ans que ça dure, de génération en génération. « C’est une affaire familiale depuis 1903. Mes parents étaient agriculteurs mais ma mère tenait le café. Et moi je suis née ici, dans cette maison. »
La Courtine ©Alix Vermande
Le mur du camp se dresse devant le restaurant courtinois. Les deux bâtiments ont une histoire intimement liée. « Nos ancêtres ont été expropriés du terrain sur lequel s’est installé le camp. Avec cet argent, ma famille a décidé de construire le restaurant juste en face », raconte Annie. Côté jardin, une baie vitrée offre un paysage bien plus attrayant. Celui de la campagne creusoise, mosaïque de couleurs, changeante au gré des saisons. « Quand il neige, ce qui arrive souvent, je dis aux clients que nous sommes un peu à Courchevel. Même si, sur le plateau, avec nos neuf habitants au kilomètre carré, on est quand même plus proche du désert que de la station de ski branchée. » Désert démographique ? La commune a gagné cent habitants en cinq ans. Désert médical ? Une maison de santé est sortie de terre au bord de l’ancienne voie ferrée. Désert économique ? Le maire se targue de compter plus de quatre cents emplois sur La Courtine, grâce, notamment, à l’usine Alsapan, spécialisée dans la fabrication de meubles. Sans oublier un foyer occupationnel de la fondation… Jacques Chirac. Jean-Pierre Michelon y travaille même à temps partiel, jonglant avec son statut d’élu missionné pour promouvoir son village. « On fait tout pour attirer du monde, avec des initiatives comme la construction de logements à destination de ceux qui refusent de vivre dans des cages à lapins. On fait comme on peut mais on a de moins en moins de moyens. Et, dans une commune rurale, on ne peut pas taxer les gens comme en bord de mer. »
Babette, elle, préfère une vie sans remous. Pas question de partir d’ici. D’ailleurs, l’épicière ne l’a jamais envisagé. « Je suis là depuis toujours, comme presque tous les commerçants qui ont survécu à l’arrêt du service militaire, finalement », soupire la sexagénaire. Et quand vient le sujet épineux du moment, le soupir se mue en larmoiement. « Je suis allée à l’école ici et même jusqu’au brevet. Maintenant, quand j’amène ma petite-fille, je suis triste de savoir qu’elle va bientôt devoir partir et qu’on est obligés de se battre pour qu’elle ait au moins une école. » Militaire ou primaire, l’école est toujours plus ou moins en sursis dans ce petit coin trop tranquille de la Creuse. En sursis pour que la vie n’en fiche pas le camp. ...
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