Qui se souvient du vainqueur de la Coupe de France de football en 1965 et 1971 ? Pour la plupart des passionnés, c’est au mieux un vague souvenir de boomer. Pour les supporters du Stade Rennais, ces victoires de l’équipe locale dans l’une des épreuves les plus convoitées appartiennent à l’Histoire, au même titre que la bataille Marignan ou la prise de la Bastille.
Plus d’un demi-siècle après ces années triomphales, les figures de la magnifique épopée se font rares mais restent bien vivantes auprès d’un peuple d’irréductibles Bretons. Antoine Biard est l’un d’eux, amoureux au-delà de la raison du Stade Rennais F.C. Directeur de la communication du club, il a réalisé un documentaire de 80 minutes qui regarde et écoute ceux qui se sont donnés corps et âme à ce club tout au long de ces cinquante dernières années : Au Fer Rouge est un hommage vibrant aux acteurs, mais aussi aux spectateurs, de ces années glorieuses. Le point de vue d’Antoine Biard s’y exprime à travers les témoignages de passionnés marqués au fer rouge par le club breton. De François-Henri Pinault, propriétaire du Stade Rennais aujourd’hui, à Raymond Kéruzoré, la légende du club, en passant par des journalistes locaux, dirigeants et joueurs présents ou passés, ce long-métrage donne la parole à ceux qui ont contribué à en faire une équipe singulière dans le football français, voire une figure d’exception en Europe.
Le Stade Rennais ne donnera pas dans le bling-bling. À l’image de son public ouvrier et agricole, l’équipe restera modeste dans ses moyens.
Au Stade Rennais, aucun joueur n’émarge à plus de 200 000 euros mensuels. Une rareté dans un grand club de football européen où les salaires à six ou sept chiffres n’ont plus rien d’exceptionnel. Cette modération est d’autant plus étrange que le Stade Rennais est la propriété d’une des plus grosses fortunes françaises. Lorsque, vers la fin des années 1990, le milliardaire français François Pinault met la main sur le club breton, c’est la révolution sur les bords de la Vilaine. Le patron d’une multinationale du luxe (Kering) se lancera-t-il à chéquier ouvert dans une quête effrénée des meilleurs joueurs du monde ? Il le peut. Le voudra-t-il ? Non. Au risque de décevoir des tifosis locaux qui s’étaient pris à rêver de stars planétaires enfilant le maillot rouge et noir (immuable emblème du club) l’homme d’affaires et son fils restent prudents et adoptent une politique à contre-courant de celle pratiquée par la quasi-totalité des richissimes propriétaires de clubs : alors que la dizaine de millions est devenue le mètre étalon en matière de transferts de joueurs, les Pinault père et fils vont miser sur le développement du centre de formation et gérer le Stade Rennais en bons pères de famille. Indifférents aux critiques de nombreux commentateurs qui dénoncent ce manque d’investissements et s’inquiètent de ses conséquences sur la compétitivité du football français, François et son fils s’attachent aux valeurs qui constituent l’ADN du club depuis sa création.
Le Stade Rennais ne donnera donc pas dans le bling-bling. À l’image de son public ouvrier et agricole, l’équipe restera modeste dans ses moyens et ambitieuse dans ses objectifs. À quelques heures de chaque rencontre, les allées autour du Roazhon Park se remplissent peu à peu. La cohabitation de supporters principalement issus des classes populaires s’organise toujours autour de la saucisse-galette et de la pinte. Des rituels rassurant pour les fans bretons, qui, écharpes carmin autour du cou, redoutent l’épidémie de gentrification des enceintes sportives qui sévit dans le championnat de Ligue 1.
Niché entre un fleuve, la Vilaine, la fameuse route de Lorient, et deux énormes parkings, le stade se dresse dans le paysage local, fier et immuable comme un menhir. C’est ce refuge de passionnés, acharnés à tenir leur club loin du Monopoly qui agite le football professionnel, qui constitue le lieu central du documentaire Au Fer Rouge. Évitant le piège de l’hagiographie, le réalisateur n’élude pas les épisodes qui ont ébranlé le Stade Rennais. Comme la descente en deuxième division et les tensions qu’elle a engendrées, si fortes qu’elles ont bien failli entraîner la disparition du club dans les abîmes des divisions régionales. Racontées par ceux qui les ont vécues, les grandes heures du Stade Rennais ne sont bien sûr pas oubliées. Comme cette exceptionnelle année 2019 avec son parcours renversant en Europa League et, en point d’orgue, la victoire en finale de la Coupe de France face aux stars du PSG. Alors que, cette année, le club surprend les commentateurs par la qualité du football proposé et que les résultats lui permettent de disputer la tête du classement, le club pourrait bien ajouter un nouveau chapitre à sa légende. L’occasion peut-être pour Antoine Biard de réaliser une suite à son documentaire…
Au Fer Rouge, documentaire d’Antoine Biard.