Bande déchaînée

Nicolas Roux

THÉÂTRE

Pour leur première sur scène, Nicolas et Bruno ont réussi la plus difficile des épreuves : une adaptation. C’est souvent une fausse bonne idée de se dire que l’on va prendre un concept qui a marché sous une forme et le transposer dans une autre. Parce que personne n’en a besoin. Parce que les codes ne sont pas les mêmes. Parce que si l’œuvre en question est passée au stade « culte » , ça devient compliqué d’y toucher. Et puis surtout, parce que certaines sont inadaptables. Elles semblent trop complètes, trop abouties, trop folles, bref, trop personnelles pour que quelqu’un d’autre s’en empare. C’est le cas de Zaïzaïzaïzai (recomptez dans votre tête, sur l’air de Joe Dassin, vous verrez que le compte de zaï est bon), une bande dessinée loufoque de Fabcaro sortie en 2015 dans laquelle le héros devient l’ennemi public numéro 1 après avoir oublié sa carte de fidélité au supermarché. Et pourtant… Comme Alain Chabat avait réussi son Asterix : Mission Cléopâtre, Nicolas et Bruno ont accompli leur mission Fabcaro. Cette adaptation est à la fois parfaitement fidèle à l’esprit de la BD, et pourtant assez inventive pour y apporter quelque chose en plus.
Nicolas et Bruno, qu’il faudrait accorder au singulier, tant, malgré les deux prénoms, l’un est indissociable de l’autre et inversement, se sont fait connaître il y a quelques années avec les « Messages à caractère informatif ». Un détournement de films d’entreprise des années 1970, 1980, scénarisés et doublés par leur soin, diffusé sur Canal+ à une époque où la chaîne n’avait pas encore perdu son esprit. Puis ils ont enchaîné avec un film, La personne aux deux personnes, avec Alain Chabat, Daniel Auteuil et une chanson qui, quinze ans plus tard, sonne encore comme une évidence : Flou de toi. L’histoire de la cohabitation d’un chanteur has been et d’un employé moyen d’une entreprise un peu triste dans le corps de ce dernier.
Un univers très proche de celui de Fabcaro. « Quand on a découvert Zaïzaïzaïzaï, quelques mois après tout le monde parce qu’au moment du succès on était enfermé dans un travail d’écriture, on s’est dit que Fabcaro était notre cousin. Il y avait des blagues dans la BD qui étaient dans le scénario qu’on venait d’écrire. Et de toute évidence, il n’avait pas pu nous les piquer puisqu’il ne savait pas qu’on les avait écrites. » Alors le duo a décidé de rencontrer l’auteur-dessinateur. Ils ont voulu acheter les droits pour le cinéma, mais sont arrivés trop tard. Ils ont parlé à Fabcaro du scénario sur lequel ils travaillaient – une idée de location de personne – quand celui-ci leur a dit qu’il avait écrit un roman, Figurec, qui traitait précisément de ce sujet. Cette fois, ils ont acheté les droits. Puis ils se sont demandé ce qu’il pourrait faire de Zaïzaïzaïzaï et ont eu l’idée de cette lecture vivante… Sans savoir à quoi elle ressemblerait.
Le résultat : un bordel organisé au millimètre. Une dinguerie d’une précision d’horloger suisse. Le tout avec des projections immenses pour mettre en valeur la qualité des dessins de Fabcaro et un musicien qui signe la BO depuis la scène. Et parfois même, si vous avez de la chance, une fin de soirée qui se transforme en karaoké géant. L’absurde a besoin d’un cadre pour s’exprimer, de limites pour le plaisir de les repousser. C’est exactement ce qui se passe sur scène et on entend alors derrière les rires francs ou surpris, les situations qui dérapent, les « fais pas le con, lâche ce poireau », et les roulades arrière des forces de l’ordre, toute la puissance d’un texte qui nous dit que le plus absurde entre cette histoire et le monde dans lequel on accepte de vivre, n’est pas forcément celui qu’on croit.

Zaïzaïzaïzaï, de Fabcaro dans une mise en scène de Nicolas et Bruno. À la Comédie de Paris, 48, rue Fontaine, Paris IXe.



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