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Jean-Vincent Bacquart
Retour sur un instant décisif de l’histoire française... 1789, l’année où le peuple a pris le pouvoir.
Clin d’œil involontaire à l’histoire de notre pays, le second tour des élections législatives a été fixé la veille d’un anniversaire hautement symbolique. En ce soir du 19 juin 2022, les 577 députés nouvellement désignés par le suffrage des citoyens auront-ils une pensée pour leurs prédécesseurs de 1789 ? Ces hommes qui, le 20 juin, prêtèrent un serment d’union devenu l’un des temps forts de notre démocratie naissante. En effet, quelques semaines avant la chute de la Bastille, cet événement marqua le début d’un processus : le transfert de la souveraineté du roi à la représentation nationale. D’ailleurs, la salle du Jeu de Paume de Versailles, où s’est déroulé ce premier acte des événements de l’été 1789, a récemment été restaurée, en partie grâce à la générosité des députés sortants…
Fin du XVIIIe siècle, la France traverse une crise financière sans précédent : l’inflation galope, les dépenses publiques augmentent sans être couvertes par les rentrées fiscales. Il faut dire que le soutien militaire apporté aux Insurgents américains contre l’Angleterre a profondément grevé le budget du royaume. La banqueroute est proche. En août 1788, Louis XVI rappelle Jacques Necker au ministère des Finances pour engager les réformes nécessaires. Sur ses conseils, le souverain se résout à réactiver une ancienne tradition, en sommeil depuis 1614 : la convocation des états généraux. Composée de représentants des trois ordres – tiers état, c’est-à-dire le peuple, clergé et noblesse –, cette assemblée se réunira au printemps 1789. Elle seule pourra entériner l’instauration de nouveaux impôts.
Depuis mars 1789, les députés recueillent les doléances de la population dans les bailliages et sénéchaussées du royaume. Le 5 mai, à l’ouverture des états généraux, ils sont plus d’un millier à prendre place dans l’hôtel des Menus-Plaisirs, à quelques centaines de mètres du château de Versailles. Au-delà des questions financières, un bras de fer s’instaure rapidement entre les représentants du tiers état et ceux des deux autres ordres. En effet, des délibérations séparées sont prévues au sein des trois groupes, qui, au moment des votes, ne disposent que d’une voix chacun. Bien que numériquement inférieurs, les deux ordres privilégiés peuvent donc théoriquement s’opposer aux réformes souhaitées par le tiers. Ce dernier, conscient de son importance, engage alors un rapport de force, exigeant que le vote se fasse par tête et non plus par ordre. Les négociations sont dans l’impasse. Le 17 juin, entraînés par Sièyes, auteur d’une brochure intitulée Qu’est-ce que le tiers état ?, les députés du tiers et quelques membres du clergé se déclarent prêts à former une assemblée nationale ! Cette déclaration serment est un coup de tonnerre : des représentants de la société souhaitent s’approprier le pouvoir législatif, entérinant de fait l’idée de souveraineté nationale.
La réaction royale est confuse. Louis XVI fait fermer les portes des Menus-Plaisir. Il programme une nouvelle session de l’assemblée, tous corps confondus, pour le 22 juin. Qu’à cela ne tienne, le 20 au matin, les députés du tiers sont devant l’hôtel, alors protégé par un détachement militaire. On s’apostrophe, on s’invective, on s’inquiète. La rumeur court : le roi voudrait dissoudre les états généraux… Un député de Paris, Guillotin, propose alors de se réunir dans un autre lieu de Versailles, suffisamment vaste pour accueillir tous les députés, cette salle où l’on pratique le jeu de paume, ancêtre du tennis.
La séance extraordinaire y est ouverte en milieu de matinée. Ces hommes qui ont déjà tant fait pour que s’instaure un régime plus juste craignent une réaction violente. C’est dans ce climat particulier que Bevière prend la plume. Il faut un serment d’union pour affermir les volontés ! Debout sur une table, l’astronome Bailly, futur maire de Paris, expose le contenu du texte. Bientôt, 630 signatures de députés du tiers et de quelques membres du clergé ornent cet insigne document, témoin de l’esprit démocratique qui souffle sur la France de 1789. Le 22 suivant, le manuscrit franchit les portes de l’église Saint-Louis de Versailles ; de nombreux prêtres y ajoutent leurs paraphes.
Historien, éditeur,
Jean-Vincent Bacquart est doctorant à Sorbonne Université, attaché au Centre d'histoire du XIXe siècle. Ses recherches portent sur les ordres religieux et militaires, notamment sur l’ordre du Temple et ses résurgences apparues aux XVIIIe et XIXe siècles.
Dans une tentative désespérée, Louis XVI réunit à nouveau les députés aux Menus-Plaisirs. Nous sommes le 23 juin ; le roi prétend casser toutes les décisions du tiers. Alors qu’on tente d’évacuer la salle, Mirabeau crie que les représentants ne sortiront que par la force des baïonnettes ! Le processus démocratique s’emballe, rien ne va l’arrêter. Des membres de l’aristocratie rejoignent le mouvement. Avec ou sans l’accord du pouvoir, les députés incarnent dorénavant le royaume. Le souverain finit par céder et accepte que tous les députés siègent ensemble. Le 9 juillet, ils se proclament assemblée constituante. Bientôt, ils voteront l’abolition des privilèges et, le 26 août, rédigeront la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen.
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