Lettre à un ex-ami

François Thomazeau

Je t’ai viré. Ça devait finir par arriver. Tu comprends, à force de me faire traiter de nazillon, de collabo, de traître, d’islamo-gauchiste, de mouton, de castor et d’autres noms d’oiseaux tout aussi aériens, j’ai fini par en avoir assez. Oh, tu ne m’as pas insulté personnellement ! Non, tu tires groupé quand tu t’emportes sur Facebook ou Twitter, tu liquides en vrac. Mais tu vois, malheureusement, une fois, deux fois, trois fois, je me suis senti concerné par tes anathèmes collectifs, visé même. Et je t’ai dégagé. Une rupture bien symbolique, certes, mais réelle. Si je t’avais vraiment connu dans la vraie vie, je t’aurais zappé tout pareil. Sauf que dans la vraie vie, tu fais moins le malin.
C’est le drame des réseaux sociaux, surtout pour ceux des générations qui ne sont pas nées avec, qu’on se sent obligé de râler, de dénoncer, d’accuser sans discontinuer et à l’adresse de tout le monde, là où jadis ta femme, tes enfants ou ta famille embarrassée étaient les seuls témoins de tes jérémiades. Les gamins sont plus malins : ils sont sur Instagram, où ils postent des photos d’eux-mêmes en maillot, toujours au soleil, que du bonheur. Pas étonnant qu’ils votent peu…
Je t’ai viré parce que dans la vraie vie, je n’en avais rien à faire de tes opinions politiques. On n’en parlait jamais. On échangeait plutôt sur notre amour du football, de la randonnée, de la gastronomie ou du temps qu’il faisait. Dans cet espace-là, je ne t’entendais pas crier et on s’entendait bien. La politique, on la réservait à l’isoloir et pas au défouloir, au dégueuloir.

La triangulaire est à la politique ce que le triolisme est à l’amour : on est toujours le cocu.

Ce n’est pas très étonnant. On le sentait venir. Dans un monde peuplé d’adulescents bercés par les rengaines consuméristes, élevé au grain d’un individualisme nourri par la satisfaction des désirs immédiats, tout autre que nous, toute autre pensée que la nôtre est insupportable. C’est d’ailleurs pour ça que je t’ai viré. Je ne vaux pas mieux que toi.
Aujourd’hui, nous avons tous le luxe de pouvoir dire : « Aucun candidat ne représente mes idées. » Bien sûr ! Tu es le seul à te supporter, le seul dont tu acceptes les contradictions, les compromissions, les faiblesses, les failles. Chez les autres, et notamment chez les politiques, que tu rêves en saints des temps modernes, terrassant les dragons à mains nues coiffés de l’auréole de la probité, tu ne supportes pas la moindre erreur, la moindre faute. Tu es en quête de pureté.
Alors, pour te satisfaire, pour me satisfaire, pour nous satisfaire, ce n’est pas douze candidats qu’il aurait fallu au premier tour de la présidentielle, mais 45,5 millions. Chacun votant pour lui-même. Plus difficile, dans ces conditions, d’obtenir cinq cents signatures que d’avoir cinq cents amis sur Facebook, dont on connaît à peine la moitié. Mais tu te moques de ces problèmes institutionnels : tu es pour le référendum d’initiative personnelle, où tu serais le seul à pouvoir dire oui ou non. Et même ça, ce ne serait pas simple.
Bref, je t’ai viré parce que la France, disent les observateurs – qui seront contredits aux prochaines élections législatives (rappelle-toi la « vague verte » des municipales !) –, est coupée en trois blocs et que tu appartiens à l’un des deux qui n’est pas le mien. Irréconciliables, nous sommes. Et ingouvernables. Parce qu’un pays coupé en deux, cela faisait encore une majorité absolue sur le papier. Mais en trois, c’est forcément une majorité relative, qui rend illégitime tout élu puisqu’il a forcément plus de détracteurs que de partisans. La triangulaire est à la politique ce que le triolisme est à l’amour : on est toujours le cocu. Je me suis souvent demandé si un pays dont plus de la moitié des habitants exprimeraient des idées qui me sont insupportables serait encore mon pays. Appartenir à une nation, quoi qu’on en dise, c’est adhérer au roman national majoritaire, quel qu’il soit. Or lorsqu’il n’y a plus de roman national majoritaire, reste-t-il une nation ? Ou seulement 60 millions de twittos ? Tu as sans doute la réponse. Ou pas. Je m’en fous. Je t’ai viré....

Je t’ai viré. Ça devait finir par arriver. Tu comprends, à force de me faire traiter de nazillon, de collabo, de traître, d’islamo-gauchiste, de mouton, de castor et d’autres noms d’oiseaux tout aussi aériens, j’ai fini par en avoir assez. Oh, tu ne m’as pas insulté personnellement ! Non, tu tires groupé quand tu t’emportes sur Facebook ou Twitter, tu liquides en vrac. Mais tu vois, malheureusement, une fois, deux fois, trois fois, je me suis senti concerné par tes anathèmes collectifs, visé même. Et je t’ai dégagé. Une rupture bien symbolique, certes, mais réelle. Si je t’avais vraiment connu dans la vraie vie, je t’aurais zappé tout pareil. Sauf que dans la vraie vie, tu fais moins le malin. C’est le drame des réseaux sociaux, surtout pour ceux des générations qui ne sont pas nées avec, qu’on se sent obligé de râler, de dénoncer, d’accuser sans discontinuer et à l’adresse de tout le monde, là où jadis ta femme, tes enfants ou ta famille embarrassée étaient les seuls témoins de tes jérémiades. Les gamins sont plus malins : ils sont sur Instagram, où ils postent des photos d’eux-mêmes en maillot, toujours au soleil, que du bonheur. Pas étonnant qu’ils votent peu… Je t’ai viré parce que dans la vraie vie, je n’en avais rien à faire de tes opinions politiques. On n’en parlait jamais. On échangeait plutôt sur notre amour du football, de la randonnée, de la gastronomie ou du temps qu’il faisait. Dans cet espace-là, je ne t’entendais pas crier…

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