L’inquiétant pari du véhicule électrique

Philippe Doucet

La fée électricité, chérie par les autorités, est pourtant loin de ne posséder que des atouts dans son jeu.
N’en déplaise aux inconditionnels du moteur à combustion (qualifié aussi de « thermique »), conduire un véhicule électrique, un VE, n’a rien d’une punition. Bien au contraire. Certes, il faudra se passer des « vocalises » émises par les belles mécaniques, si appréciées des amateurs, pour lesquels il n’y a pas de plus nobles mélodies. Car une voiture électrique se déplace dans un silence presque total et sans aucune vibration. Son absence de boîte de vitesses et sa cavalerie immédiatement disponible en font un engin véloce dès le démarrage, malgré un poids élevé dû à l’emport de lourdes batteries. Sur un véhicule puissant (Audi, Mercedes, Porsche, Tesla…), une main invisible vous plaque sur votre siège dès que l’on écrase l’accélérateur. Impressionnant ! Au chapitre des avantages, s’ajoute un coût d’entretien plus faible que pour un véhicule classique. Pas de vidanges d’huile à intervalles réguliers, économies sur le budget freins (sur un VE, on utilise énormément le « frein-moteur »), moins de réglages et moins de risques de pannes en raison d’un nombre de composants moins élevé.
Depuis le conflit en Ukraine, la voiture électrique bénéficie d’un singulier coup de projecteur au regard de la hausse violente du prix des carburants. Sera-t-il le nouveau Graal pour l’automobiliste ? C’est ce qu’estime la Commission européenne dans son nouveau Paquet Climat « Fit for 55 », dont l’objectif est d’atteindre moins 55 % d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 ; les ventes de voitures animées par un moteur thermique devant prendre fin en 2035. Tout le monde n’est pas d’accord. « Le monde est fou. Le fait que les autorités nous ordonnent d’aller dans une direction technologique, celle du véhicule électrique, est un gros tournant », s’inquiète Carlos Tavares, le patron du groupe Stellantis, qui se prépare à investir 30 milliards d’euros dans un programme d’électrification.
Le véhicule 100 % électrique ne connaît pour l’instant qu’un modeste succès (162 000 exemplaires vendus en 2021, moins de 10 % des ventes). Il est pourtant gavé de subventions à l’achat (bonus de 6 000 euros) et bénéficie de divers avantages, comme le stationnement gratuit, et depuis peu, de crédits à taux plus faibles pour son acquisition. En parallèle, le véhicule thermique est pris dans un étau de taxes diverses (malus écologique vite important, taxe sur sa masse à partir de 1,8 tonne…) et de restrictions de circulation consécutives à l’instauration des Zones à faibles émissions (ZFE), obligatoires, en principe, dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants avant le 31 décembre 2024. La voiture électrique reste malgré tout plus chère qu’un véhicule traditionnel, surtout pour les bourses les plus modestes. En milieu rural, où la dispersion de l’habitat est forte, un vieux diesel de 300 000 kilomètres a encore une valeur marchande.
Le véhicule électrique est un écosystème pouvant se comparer à une pyramide dont il serait au sommet. À la base, déterminantes, les infrastructures de recharge, indispensables à sa diffusion. Elles sont encore insuffisantes, à l’exception notable de celles de Tesla qui possède quelques années d’avance en la matière. Leur valeur est pour le moment, au sens littéral du terme, inestimable. Ce qui n’a pas échappé aux marchés financiers : en 2020, le titre du constructeur californien s’est apprécié dix fois ! Afin de combler le retard, un consortium de constructeurs (Audi, BMW, Hyundai, Mercedes-Benz, Ford et Porsche) a lancé en 2018 Ionity, un projet d’infrastructures alternatives à celles de Tesla. Pour le reste, il faut compter sur des points de recharge gérés par des organismes publics et une multitude d’opérateurs. Un peu plus de 50 000 points de recharge sont disséminés sur le territoire français (sur un objectif prévu de 100 000 début 2022). Le meilleur y côtoie souvent, hélas, le pire : bornes indisponibles, dégradées, ou ne délivrant pas la puissance annoncée. L’interopérabilité entre opérateurs n’est guère satisfaisante, et payer par une simple carte bancaire, comme dans n’importe quel magasin, est impossible. Les journalistes spécialisés s’en font cruellement l’écho sur YouTube. Plus ennuyeux, seuls environ 10 % de ces bornes proposent un débit suffisant pour recharger sa batterie dans un temps acceptable (moins d’une heure). La ­quasi-totalité de ces installations ne peut donc être aujourd’hui utilisée que pour un « biberonnage », c’est-à-dire une recharge complémentaire. Partir en vacances au bout du pays devient alors une épreuve face à laquelle il faudra s’armer de patience. Le véhicule électrique, imaginé par des urbains, se satisfait des petits trajets quotidiens, mais déteste l’inconnu. Quant à la recharge à domicile, il faut distinguer les automobilistes qui vivent en maison particulière, et qui n’auront aucun problème pour recharger leur véhicule, et les autres, pour lesquels ce sera beaucoup plus compliqué. Un « droit à la prise » existe depuis quelques années pour les immeubles collectifs, mais il est très difficile à exercer, surtout dans les grandes copropriétés.

Le moteur à explosion n’a peut-être pas dit son dernier mot. Porsche, en toute discrétion, a mis au point un carburant de synthèse à partir d’hydrogène et de CO2...

Deuxième étage de la pyramide, les accumulateurs. Ils sont pour le moment en majorité d’origine chinoise. Certes, l’Europe compte sur un « Airbus des batteries », mais il a encore du mal à atterrir. Seul Tesla, une fois encore, a pris le problème à bras-le-corps en édifiant des « gigafactories » de part et d’autre de ­l’Atlantique pour fabriquer ses propres accumulateurs. Sur le plan de l’environnement, le lithium contenu dans ceux-ci nécessite de forts volumes d’énergie et d’eau pour sa production, ce qui cause de graves dommages autour des sites d’extraction. Le cobalt, autre métal rare, est lui produit dans des conditions indignes en Afrique. Le nickel, élément également indispensable à la fabrication d’un accumulateur, constitue, par sa relative rareté, un possible goulet d’étranglement pour la voiture électrique.
Enfin, sur le pic de la pyramide, trône le véhicule électrique lui-même. Il est loin d’être aussi écologique que vanté. En cause, tout d’abord, l’interrogation lancinante qui subsiste sur la nature de la production de l’électricité, instaurant un distinguo entre les pays « propres », comme la France avec son énergie d’origine nucléaire, et « sales », comme l’Allemagne, qui dépend du charbon et du gaz, gros émetteurs de CO2. Et que coûtera un « plein d’électricité » quand le parc automobile sera totalement électrifié ? Personne ne le sait. Le VE en fin de vie exige également des filières spécifiques dédiées à son retraitement, faute de quoi il risque de pourrir dans les villages de pays pauvres, comme de vulgaires carcasses d’ordinateurs.
Les alternatives à la voiture électrique existent pourtant. Oubliez le véhicule hybride, partiellement électrifié, dont les jours semblent compter. Pour l’instant, l’Europe le tolère, estimant qu’il représente une sensibilisation au 100 % électrique. Elle va même, pour rallier à sa cause les indécis, jusqu’à valider des chiffres de consommation fantaisistes annoncés par leurs constructeurs qui sont autorisés à magnifier la part de l’électrique dans la combinaison des énergies. Ainsi, certaines voitures hybrides défient les lois de la physique en affichant, par exemple, moins de 3 litres d’essence aux 100 kilomètres pour une puissance de 400 chevaux ! L’hydrogène ? Il reste très difficile à mettre en œuvre. Les installations sont très coûteuses, tout comme les véhicules eux-mêmes (« fuel cell »). Et l’hydrogène, pour être écologiquement intéressant, doit être produit à partir d’une électricité « verte », et non comme aujourd’hui par vaporeformage de combustibles fossiles, méthode très émettrice de CO2. L’hydrogène constitue bel et bien un autre pari. Mais le moteur à explosion n’a peut-être pas dit son dernier mot. Porsche, en toute discrétion, a mis au point un carburant de synthèse produit à Punta Arenas, au Chili, à partir d’hydrogène et de CO2, qui trouve là une utilité. Selon ce constructeur, ce « eFuel » pourrait abaisser de 90 % les émissions de ce gaz à effet de serre pour ses véhicules. D’autres voies existent, telles celles du superéthanol-E85. Promu par les autorités françaises au début des années 2000, puis tombé en désuétude, il connaît actuellement un regain d’affection, mais demeure handicapé par une offre restreinte, à l’exception de Ford, resté fidèle au E85. TotalEnergies a pour sa part conçu un « eFuel » issu de résidus vinicoles. D’autres voies semblent encore plus prometteuses, tel le biocarburant produit à base de microalgues.

Journaliste à Politique Internationale après avoir travaillé au Figaro,
Philippe Doucet,
spécialiste d’histoire contemporaine, a enseigné à l’université de Panthéon Assas Paris 2 et à l’École supérieure de guerre.
La diffusion du véhicule électrique, par ses zones d’ombre et ses incertitudes, reste un défi. Sa promotion masque d’autres questions sur lesquelles il est pourtant légitime de s’interroger. Tout d’abord, l’Europe déroule avec lui un véritable tapis rouge aux industriels chinois, qui maîtrisent l’ensemble de sa chaîne de fabrication. Ce qui pourrait signifier des destructions massives d’emplois dans la filière automobile européenne avec l’arrivée sur le Vieux Continent de VE chinois de qualité et bon marché. La pollution automobile, bien réelle, ne doit pas non plus occulter celle émise par d’autres secteurs autrement contributeurs à l’émission de gaz à effet de serre : industrie, agriculture, sans parler du chauffage et des transports maritimes. On semble moins se soucier également des méthodes de captation ou de confinement du CO2, et de la déforestation qui nous prive d’une aide supplémentaire dans la lutte contre ce gaz. Enfin, s’il est louable de s’inquiéter de la limitation des rejets de gaz polluants, pourquoi l’Europe fait figure de cavalier seul dans ce domaine ? Les États-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie et une partie de l’Asie se préoccupent avec beaucoup moins d’ardeur de « verdir » leur mobilité individuelle. L’idée d’une autorité de régulation mondiale agissant de manière globale sur la réduction des gaz polluants ne semble pas à l’ordre du jour. Le véhicule électrique est in fine porteur d’une idéologie de décroissance qui devrait ravir les émules de Pierre Rabhi. Par ses limitations (coût et autonomie, en particulier), il entraînera fatalement une diminution de la facilité d’aller et venir à notre guise apportée par l’automobile depuis plus d’un siècle. Sommes-nous prêts à l’accepter ?
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La fée électricité, chérie par les autorités, est pourtant loin de ne posséder que des atouts dans son jeu. N’en déplaise aux inconditionnels du moteur à combustion (qualifié aussi de « thermique »), conduire un véhicule électrique, un VE, n’a rien d’une punition. Bien au contraire. Certes, il faudra se passer des « vocalises » émises par les belles mécaniques, si appréciées des amateurs, pour lesquels il n’y a pas de plus nobles mélodies. Car une voiture électrique se déplace dans un silence presque total et sans aucune vibration. Son absence de boîte de vitesses et sa cavalerie immédiatement disponible en font un engin véloce dès le démarrage, malgré un poids élevé dû à l’emport de lourdes batteries. Sur un véhicule puissant (Audi, Mercedes, Porsche, Tesla…), une main invisible vous plaque sur votre siège dès que l’on écrase l’accélérateur. Impressionnant ! Au chapitre des avantages, s’ajoute un coût d’entretien plus faible que pour un véhicule classique. Pas de vidanges d’huile à intervalles réguliers, économies sur le budget freins (sur un VE, on utilise énormément le « frein-moteur »), moins de réglages et moins de risques de pannes en raison d’un nombre de composants moins élevé. Depuis le conflit en Ukraine, la voiture électrique bénéficie d’un singulier coup de projecteur au regard de la hausse violente du prix des carburants. Sera-t-il le nouveau Graal pour l’automobiliste ? C’est ce qu’estime la Commission européenne dans son nouveau Paquet Climat « Fit for 55 », dont l’objectif est d’atteindre moins 55 % d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 ; les ventes de…

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