Hôpital ©Sandrine Martin
Hôpital ©Sandrine Martin

MORTS EN BLOC

Nora Sahara

L’hôpital Henri-Mondor touché au cœur
Comment expliquer le taux anormalement élevé de mortalité du service de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire de l’hôpital Mondor à Créteil ? Bastille Magazine lève le voile sur les dysfonctionnements, les règlements de compte et les atermoiements politiques alors que le parquet vient d’ouvrir une enquête préliminaire.
Le service de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire de l’hôpital Henri Mondor, situé à Créteil, dans le Val-de-Marne, affiche un bien triste palmarès. La mortalité opératoire y est 5,5 fois supérieure à la moyenne nationale pour les opérations de remplacement valvulaire aortique et trois fois supérieure pour les opérations de pontages coronaires. La mortalité opératoire globale de 13 % en fait quasiment le pire service de France, classé 37e sur 38 lors du dernier classement national du magazine Le Point des hôpitaux pratiquant la chirurgie cardiaque.
Ces chiffres proviennent de la base de données Epicard qui recense, au sein de la plupart des hôpitaux de France, les informations concernant les patients pris en charge et les gestes effectués. À Mondor en 2020, ils sont catastrophiques. Suffisamment pour que plusieurs soignants alertent les pouvoirs publics et s’étonnent que l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris), l’ARS (Agence régionale de santé) et le ministère de la Santé n’aient pas pris de mesures pour endiguer cette surmortalité suspecte.
Pour mieux comprendre cette situation, nous avons interrogé plusieurs praticiens de l’hôpital Henri Mondor – chirurgiens, infirmiers et autres – et des personnels de l’hôpital Brabois à Nancy. Nous avons également consulté un nombre important de documents officiels et tenté de remonter le fil des responsabilités hiérarchiques. Ces éléments éclairent la face cachée d’une situation dramatique dans laquelle les patients et leurs familles, qui ne se savent pas toujours victimes, ont parfois payé le prix le plus élevé. « Cinq patients ont été transplantés. Les cinq sont décédés », sur une période de quelques mois en 2019. Voilà ce qui ressort d’un rapport de la mission d’évaluation des dossiers « patients anonymisés », menée à la demande de l’AP-HP fin 2020 sous l’égide de la Société Française de Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire (SFCTCV) avec la participation du Conseil National des Universités (CNU), et remis le 15 novembre 2020 à la gouvernance de l’hôpital Henri Mondor et de l’AP-HP. Ce document, que nous avons pu nous procurer dans son intégralité, a été rédigé par trois professeurs de la SFCTCV, dont son président, Jean-Philippe Verhoye, et concerne les patients opérés durant l’année 2019. Les constats établis sont inquiétants, les conclusions déroutantes.
Oui, il y a une « surmortalité observée ». D’ailleurs, écrivent les rapporteurs, « à l’issue de ces résultats, l’activité de transplantation a été suspendue, mais l’autorisation réaccordée en juin 2020 ». Le rapport va plus loin : « Il a été retrouvé un nombre important de défaillances cardiaques post-opératoire, faisant s’interroger sur les modes de protection myocardique. » Plus encore, « l’activité de transplantation doit être totalement repensée. […] Cette activité ne peut être reprise dans les conditions actuelles : elle doit être rapidement reconsidérée avec l’agence de la biomédecine et la stratégie de transplantation cardiaque de l’AP-HP ». Quelques mois plus tard, l’activité de transplantation cardiaque a été transférée de l’hôpital Mondor à la Pitié Salpêtrière. Il convient toutefois de souligner que l’hôpital Mondor et son unité de chirurgie cardiaque ont été particulièrement éprouvés par la pandémie de Covid-19. L’afflux de patients Covid lourd a entraîné une saturation des services de réanimation. Durant cette période, environ 70 % des interventions prévues ont été annulées. Le service de chirurgie cardiaque s’est vu amputer d’une salle d’opération, faute de personnel de bloc et d’anesthésie, réquisitionné en réanimation.
Depuis 2018, ce service de chirurgie cardiaque est dirigé par le professeur Thierry Folliguet. La personnalité de cet homme d’une soixantaine d’années aux cheveux grisonnants divise. Certains soignants le disent bienveillant, disponible et gentil avec le personnel paramédical. D’autres le décrivent comme menteur, manipulateur et narcissique. Le professeur Folliguet a fait son internat à New York, aux États-Unis. Il a exercé quelques années à l’Institut Montsouris à Paris en tant que chirurgien cardiaque, jusqu’en 2012. À cette date, il est nommé chef de service de chirurgie cardiaque au CHU de Nancy Brabois où il reste jusqu’en 2018. Il rejoint ensuite le CHU de Mondor en tant que chef de service, suite à une demande faite lorsqu’il exerçait à Montsouris, et refusée une première fois.
Depuis son arrivée à la tête du service, le professeur a fait l’objet de plusieurs signalements émanant de certains de ses collègues chirurgiens, qui ont alerté la direction de l’hôpital d’abord, puis celle de l’AP-HP. Dans des documents écrits, que nous avons pu consulter, sont mentionnées des complications graves ayant entraîné le décès de patients. Sollicité par mail, Thierry Folliguet parle d’une « campagne de dénigrement » à son égard. Il renvoie à un article paru dans l’hebdomadaire Le Point en 2011, qui évoque déjà une « mortalité élevée » au sein du service de chirurgie cardiaque de l’hôpital Mondor, bien avant son arrivée donc. Selon lui, toutes les informations qui composent cette enquête proviennent de personnes dont le parcours « possède beaucoup de zones d’ombre qui peuvent expliquer la campagne de dénigrement à [s]on égard ».

Sollicité par mail, le professeur Thierry Folliguet parle d’une « campagne de dénigrement » à son égard.

Mais les méthodes du professeur Folliguet sont au cœur de la fronde des chirurgiens. Levon Khachatryan, collègue initialement apprécié par le chef de service, dénonce le comportement de celui-ci à l’égard de Rachid Zegdi. Il adresse du reste à ce dernier, le 30 août 2019, un courrier dans lequel il dit retranscrire les propos que lui aurait tenus le professeur Folliguet : « Je veux baiser Rachid, c’est pour ça que je lui donnerai un patient difficile comme [celui que] j’ai opéré il y a quelques jours, une crosse aortique. Il va l’opérer, il t’appellera pour que tu l’aides mais je t’interdis d’aller l’aider. Il va le tuer et après je demanderai au doyen d’appeler Buzyn [ministre des Solidarités et de la Santé à l’époque] pour qu’on le vire d’ici. »
Levon Khachatryan, qui a refusé de participer à cette manœuvre qu’il qualifie de dangereuse et malhonnête, a été écarté du service et ne peut plus opérer. Le 4 juin 2019, il participe à une réunion avec d’autres membres du service de chirurgie cardiaque de l’hôpital Mondor, parmi lesquels le professeur Folliguet et la directrice de l’hôpital Edith Benmansour. Le professeur Francine Leca – première femme à être devenue chirurgienne cardiaque en France et ancienne cheffe de service à l’hôpital Necker – s’y trouve également au titre de l’association Mécénat Chirurgie Cardiaque-Enfants du Monde qu’elle a fondée. Dans un mail qu’elle adresse par la suite aux participants de cette réunion, elle évoque « un règlement de comptes en public » à l’encontre du docteur Khachatryan, qui se serait fait signifier violemment « qu’on ne voulait plus de lui », puis s’adresse au professeur Folliguet : « J’ai été étonnée récemment de constater que vos relations, excellentes au départ, étaient devenues si mauvaises en si peu de temps… Qui veut tuer son chien l’accuse de rage. […] Lorsque tu dis vouloir garder ces faits à l’intérieur du service et ne pas les divulguer, tu sais très bien que tout le monde est au courant… » Elle fait référence à l’accusation portée par le professeur Folliguet contre le docteur Khachatryan, qu’il a accusé de « fautes chirurgicales » à la suite du décès d’un patient atteint de dissection aortique, dont il avait également la charge.
À l’hôpital Brabois de Nancy, où exerçait le professeur Folliguet depuis 2014 avant de rejoindre Mondor, des conflits avaient éclaté au sein de son service et plusieurs signalements avaient été effectués. Après dix-huit mois d’exercice seulement, le praticien avait été désavoué par l’équipe chirurgicale et d’anesthésie. Les réunions de crise organisées pour analyser et désamorcer les tensions n’y avaient rien fait. L’une de ces réunions, tenue le 18 avril 2014 avec le comité de l’équipe médicale du CHU de Nancy, regroupait l’ensemble des chirurgiens cardiaques, d’anesthésie réanimation ainsi que le directeur du CHU, sous la présidence du professeur Michel Claudon. La quasi-totalité de son équipe avait dénoncé la mauvaise prise en charge des patients et la mortalité excessive. Il avait également été reproché au professeur Folliguet sa gestion managériale ayant conduit au divorce avec le reste de son équipe. Des reproches identiques à ceux formulés aujourd’hui à Mondor. L’ensemble des chirurgiens et anesthésistes avaient alors adressé un courrier d’alerte à la direction dans lequel ils exigeaient ni plus ni moins que le retrait du professeur Folliguet de sa fonction de chef de service. Un mois plus tard, il était suspendu des listes d’astreintes du service de chirurgie cardiaque – officiellement pour réaliser une formation complémentaire pour certaines pathologies d’urgences – et démis de sa fonction de chef de service. Selon nos informations, le professeur n’a toujours pas réalisé cette formation. « Lorsque je suis arrivé [à Nancy] en 2012-2013, j’ai été alerté par le professeur Deriberolles sur la surmortalité du service qui existait avant mon arrivée, répond le professeur Folliguet par mail. J’ai notamment alerté le chef de pôle, le professeur Villemot, et les chirurgiens et anesthésistes. Ceux-ci ont pris peur et n’ont pas voulu me soutenir dans cette évaluation, notamment car le chef de pôle à l’époque, le professeur Villemot, s’opposait à toute enquête interne. Il en a résulté une campagne de dénigrement à mon égard et ma mise à l’écart en tant que chef de service. » En septembre 2018, il est nommé chef du service de chirurgie cardiaque à Mondor.
Revenons au rapport de la mission d’évaluation de dossiers « patients anonymisés » cité plus haut, qui analyse les cas de « patients déclarés décédés au cours de leur séjour » dans le service de chirurgie cardiaque de l’hôpital Mondor, notamment ceux des cinq patients transplantés. Les auteurs évoquent le fait que « l’organisation des soins, la vigilance sur la qualité des pratiques, la gestion clinique [font] cruellement défaut ». Ils pointent une « absence complète d’esprit d’équipe, de connivence interhumaine qui font les qualités d’une équipe chirurgicale universitaire » et préconisent « une reconsidération complète du management de l’équipe, un réajustement des compétences de chacun ». Le professeur Folliguet, pourtant chef de service, n’est cité à aucun moment. Le rapport rendu par le professeur Verhoye et ses deux collègues tend à minimiser l’impact des constats effroyables dressés. Certes, il reconnaît une « prise en charge globale inégale des patients », mais en attribue la cause à l’inexpérience de chirurgiens qu’il faut mieux former. Oui, il y a bien surmortalité, mais « un nombre de patients non négligeable sont issus de communautés étrangères n’ayant pas toujours pu bénéficier de prévention médicale ». « Des conclusions abjectes » et « une étude ethnique, illégale en France, qu’il sera difficile pour l’AP-HP de défendre publiquement », selon un chirurgien du service qui préfère s’exprimer sous le couvert de l’anonymat.

Les auteurs du rapport de la mission d’évaluation pointent une « absence complète d’esprit d’équipe ».

Les professeurs Folliguet et Verhoye, président de la SFCTCV et co-auteur du rapport d’enquête, sont coresponsables d’une formation à l’Université de Créteil et modérateurs de plusieurs conférences. L’AP-HP était-elle au courant des liens entre les deux hommes avant cette enquête interne ? Jean-Philippe Verhoye n’a pas mentionné ce potentiel conflit d’intérêts dans le rapport, malgré l’insistance de plusieurs chirurgiens de l’hôpital Mondor lui enjoignant de le faire. Selon plusieurs témoignages, il avait également connaissance du passé du professeur Folliguet dans sa gestion chirurgicale des patients puisqu’il en avait été informé, à l’époque, par des chirurgiens cardiaques du CHU de Nancy. Contacté par mail, le professeur Verhoye a indiqué être disposé à répondre à nos questions mais n’a pu le faire dans le délai imparti.
Depuis 2007, la Société Française de Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire a mis en place une base de données de chirurgie cardiaque, Epicard, qui recense notamment les cas de mortalité des patients. Les patients y sont classés en trois groupes (bas, moyen, fort) selon leur « EuroSCORE », un indicateur qui permet d’évaluer le risque avant intervention chirurgicale. Au sein du groupe « fort », où les risques sont évidemment plus élevés, un taux de mortalité important est compréhensible. Dans les groupes « bas » et « moyen », le taux de mortalité est plus directement lié à la compétence des chirurgiens. À l’hôpital Mondor, les chiffres de mortalité du groupe « moyen » explosent.

Hôpital ©Sandrine Martin
Epicard est alimentée par les chirurgiens eux-mêmes, qui enregistrent des données qu’ils peuvent modifier, voire supprimer, sans aucune forme de contrôle. Depuis que notre enquête s’est ébruitée, dans les couloirs de l’hôpital Mondor et au-delà, un nombre anormalement élevé de dossiers de patients ont été supprimés. Sur le seul mois de février 2022, selon les chiffres officiels que nous avons obtenus, plus de 70 dossiers ont été effacés, contre un à deux par mois en moyenne ! L’effectif des patients (vivants et décédés) du groupe EuroSCORE « fort » a aussi augmenté. Autrement dit, le ou les auteur(s) de cette manipulation cherchent à masquer la surmortalité toutes catégories confondues et à faire tirer d’autres conclusions : d’une part, les praticiens de l’hôpital Mondor opéraient des patients aux pathologies en moyenne plus graves qu’ailleurs et, d’autre part, les patients décédés seraient surtout des patients à haut risque. Notre enquête nous a permis d’obtenir les chiffres Epicard avant ces manipulations et suppressions suspectes, et de confirmer la surmortalité à l’hôpital Mondor par rapport aux autres hôpitaux de France, et ce depuis plusieurs années.
Le Professeur Folliguet, lui, a une tout autre explication. « Quand je suis arrivé en 2018, je me suis rendu compte que la base Epicard n’était pas remplie pour Mondor, nous écrit-il par mail. Je me suis attelé à la tâche avec mes collègues. L’année dernière, j’ai pu faire remplir la base par un ARC (attaché de recherche clinique, ndlr), qui l’a vérifiée et optimisée. Nous avions beaucoup de doublons. En théorie, il faut rentrer un patient une fois, puis, s’il y a réintervention, l’ajouter à sa fiche, et non en recréer une nouvelle. Là, il y avait des doublons car les patients avaient été enregistrés deux fois. Ceci explique qu’ils ont été supprimés. »
Depuis 2019, plusieurs courriers d’alerte ont été adressés à la hiérarchie du système de santé : l’ARS, l’AP-HP et le ministère de la Santé notamment. Ainsi, le docteur Daniel Grandmougin, membre du service du professeur Folliguet lorsqu’il était à Nancy, a rédigé un rapport détaillé sur la prise en charge des patients opérés par ce dernier de 2012 à 2018. Il y décrit méticuleusement les erreurs commises durant cette période, notamment les complications inhabituelles ainsi que la surmortalité observée chez les patients. Un courrier qu’il adresse le 30 mars 2022 à Bernard Granger, membre du comité surveillance de l’AP-HP, à Amélie Verdier, directrice de l’ARS, au ministère de la Santé et à la direction de l’AP-HP. Le docteur Denis Tixier, l’un des plus anciens et expérimentés chirurgiens cardio-vasculaire du service de chirurgie cardiaque de Mondor, a lui aussi lancé l’alerte. L’un de ses courriers récents, envoyé début mars 2022 à l’ARS, est sans équivoque. « En effet, connaissant son passé à Nancy et local, je pense que ni toi ni personne ne le [le professeur Folliguet] recommanderait ou se ferait opérer par lui ou lui confierait un membre de sa famille ou même une voisine. Comment peut-on (pouvez-vous) être en paix avec sa conscience en acceptant que des patients non informés, et parce que nous ne les connaissons pas personnellement, aillent risquer leur vie, un père ou une mère de famille, un papy ou une mamy, un sportif de haut niveau qui risquerait de se retrouver insuffisant cardiaque comme cela a été le cas ? »

« Comment peut-on être en paix avec sa conscience en acceptant que des patients non informés, et parce que nous ne les connaissons pas personnellement, aillent risquer leur vie ? »

Dans ses échanges avec l’Agence de Santé, le docteur Tixier détaille plusieurs cas auxquels il a personnellement assisté. Il décrit notamment l’opération de Monsieur Jacques D., et les fautes présumées du professeur Folliguet. Il évoque aussi un refus de la part de ce dernier de mentionner les erreurs dans le compte rendu d’opération, et son refus d’opérer le patient à nouveau, qui finalement le sera « en catastrophe » dans un autre centre. Le patient nous confirme une « intervention totalement ratée », aux « conséquences physiques et psychologiques majeures », et affirme que le professeur Folliguet « n’a même pas daigné avouer l’échec de son intervention » alors même que « tous les médecins et chirurgiens consultés par la suite ont confirmé ces observations ». Le docteur Tixier enjoint l’ARS de « faire prendre des mesures de sauvegarde urgentes ». « Si vous ne le faites pas, la justice aura moins d’états d’âme », conclut-il. C’est peut-être la crainte de voir cette affaire divulguée publiquement qui explique que, désormais, « ce dossier est suivi par la directrice générale de l’ARS elle-même », comme l’affirme un courrier que nous avons pu consulter. Une information que nous confirme l’Agence de Santé, par la voie de sa chargée des relations presse. « L’ARS Ile-de-France suit le sujet de près avec une évaluation de la situation qui est actuellement en cours. L’Agence prendra notamment en compte les résultats à venir de l’audit externe du service concerné », nous écrit-elle.
Une autre alerte a été lancée par le docteur Tixier en octobre 2021. Dans un email adressé à Martin Hirsch, le patron de l’AP-HP, il écrit que « la mortalité et la morbidité hors-norme imposent des mesures conservatoires ». Quelques mois plus tôt, en mai 2021, il s’adressait au docteur Rémi Salomon, président de la commission de l’AP-HP : « En 2019-2020, j’ai exprimé au chef de service cardiaque mes inquiétudes et questionnements au sujet du management et des complications anormales et anormalement élevées que je voyais et que je refusais de couvrir. […] Il est temps que cela cesse ! » Un mail resté sans réponse. Le professeur Bernard Granger, membre de la commission médicale de surveillance de l’AP-HP, a lui aussi écrit au secrétariat particulier de Martin Hirsch, en février 2022, évoquant « une affaire grave de mise en danger de la vie d’autrui, pouvant engager la responsabilité pénale de plusieurs personnes physiques et de l’institution personne morale ». Il lui propose alors d’entendre quatre chirurgiens cardiaques ayant exercé directement avec le professeur Folliguet. Fin de non-recevoir de la part de Martin Hirsch : « Professeur, ni Rémi Salomon, ni Bertrand Godeau, ni moi-même ne sommes d’accord pour que l’échange que vous avez demandé soit transformé en une réunion avec quatre chirurgiens cardiaques. » En d’autres termes, ceux qui dénoncent les agissements du professeur Folliguet ne sont ni interrogés, ni entendus par l’AP-HP.
La réunion proposée par le professeur Granger a finalement bien eu lieu en février 2022. Martin Hirsch, les docteurs Bertrand Godeau et Rémi Salomon y ont participé. C’est le directeur général de l’AP-HP qui ouvre la réunion, par un exposé de la chronologie des faits : l’audit du service de chirurgie cardiaque de l’hôpital Mondor, réalisé fin 2020 avec l’accord de l’AP-HP, l’arrêt des activités de transplantation cardiaque et leur transfert à la Pitié Salpêtrière, l’analyse et le suivi régulier par l’AP-HP des chiffres de la base de données Epicard. Selon lui, les recommandations du rapport de mission d’évaluation de dossiers « patients anonymisés » (cité plus haut) réalisé par le Conseil National des Universités (CNU) ont été suivies. Il s’agissait toutefois plutôt d’une « visite détaillée » de la part du CNU que d’un véritable audit, admet toutefois le docteur Godeau. Martin Hirsch parle, lui, d’une « enquête objective ». C’est exactement ce que conteste le professeur Granger, présent à la réunion. Selon lui, cette enquête n’a pas été réalisée dans des conditions satisfaisantes : les différentes parties n’ont pas été entendues, les rapports ne sont pas contradictoires et soumis aux réponses des personnes concernées, les chiffres de la base de données Epicard sont entrés par le service et peuvent facilement être maquillés, et il existe des conflits d’intérêts et des liens d’amitié bien connus. Le professeur Granger estime donc qu’il faut confier cette affaire, véritable scandale à venir, à un procureur ou à un juge d’instruction. Finalement, Martin Hirsch propose alors que les différentes parties soient entendues à l’occasion d’une nouvelle enquête du CNU. Il s’engage également à répondre aux messages qui lui ont été adressés en janvier par l’un des chirurgiens lanceurs d’alerte. Comme pour calmer les ardeurs du professeur Granger, le docteur Salomon affirme avoir pris la mesure de la gravité des faits à la lecture du rapport. Le feu semble éteint. L’affaire se réglera en interne, sans bruit, ni vague.
Nous avons demandé à Martin Hirsch d’une part si une suspension du professeur Folliguet à titre conservatoire était envisagée, et d’autre part si des actions avaient d’ores et déjà été engagées. C’est la direction de la communication de l’AP-HP qui nous a répondu par mail. « L’AP-HP a demandé un audit externe dont elle n’a pas encore les résultats », écrit l’attaché de presse, qui précise que l’institution ne souhaite pas s’exprimer. Pourquoi une telle passivité face à une situation aussi trouble ? Selon un chirurgien du service qui a souhaité garder l’anonymat, « Folliguet a été mis à la tête du service contre l’avis des chirurgiens du service. C’est une décision politique, il est protégé… Ça fait des années que ça dure. Pourquoi Martin Hirsch, le procureur de la République réagiraient ? Ça n’intéresse personne ». Quid du devoir d’information, du souci de transparence, de la responsabilité, professionnelle et pénale, des intervenants ?
En avril 2022, près de deux ans après la première enquête du CNU, Martin Hirsch et l’AP-HP engagent, par le biais du CNU, le nouvel audit promis, avec examen des pratiques individuelles et l’audition séparée de chacun des membres du service. Coïncidence de calendrier, alors qu’ils avaient laissé les lanceurs d’alerte sans réponse depuis des mois, les plus hauts échelons s’impliquent désormais personnellement dans cette affaire. La directrice de l’ARS d’Île-de-France a confirmé par écrit – notamment auprès des professeurs Granger et Zegdi – avoir pris connaissance et fait analyser par son équipe l’ensemble des documents qui lui ont été transmis, notamment certains éléments statistiques relatifs à l’activité du service en 2021, et suivre le dossier personnellement. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a également écrit au professeur Granger pour lui indiquer que l’ARS devait être associée aux résultats et que les mesures prises (nouvel audit et implication de la directrice générale de l’ARS) lui semblaient « appropriées ». Le CNU n’a pas encore rendu les conclusions de ce second audit du service de chirurgie cardiaque de l’hôpital Henri Mondor. Mais l’affaire prend désormais une tournure judiciaire. Selon nos informations, le procureur de la République de Créteil a ouvert une enquête préliminaire. Il interroge notamment plusieurs des protagonistes dont nous avons recueilli les témoignages. Reste à savoir si un juge d’instruction sera saisi. Auquel cas, les familles de patients décédés à la suite d’opérations suspectes au sein du service de chirurgie cardiaque de ­l’hôpital Mondor pourraient se joindre à la ­procédure…...

L’hôpital Henri-Mondor touché au cœur Comment expliquer le taux anormalement élevé de mortalité du service de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire de l’hôpital Mondor à Créteil ? Bastille Magazine lève le voile sur les dysfonctionnements, les règlements de compte et les atermoiements politiques alors que le parquet vient d’ouvrir une enquête préliminaire. Le service de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire de l’hôpital Henri Mondor, situé à Créteil, dans le Val-de-Marne, affiche un bien triste palmarès. La mortalité opératoire y est 5,5 fois supérieure à la moyenne nationale pour les opérations de remplacement valvulaire aortique et trois fois supérieure pour les opérations de pontages coronaires. La mortalité opératoire globale de 13 % en fait quasiment le pire service de France, classé 37e sur 38 lors du dernier classement national du magazine Le Point des hôpitaux pratiquant la chirurgie cardiaque. Ces chiffres proviennent de la base de données Epicard qui recense, au sein de la plupart des hôpitaux de France, les informations concernant les patients pris en charge et les gestes effectués. À Mondor en 2020, ils sont catastrophiques. Suffisamment pour que plusieurs soignants alertent les pouvoirs publics et s’étonnent que l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris), l’ARS (Agence régionale de santé) et le ministère de la Santé n’aient pas pris de mesures pour endiguer cette surmortalité suspecte. Pour mieux comprendre cette situation, nous avons interrogé plusieurs praticiens de l’hôpital Henri Mondor – chirurgiens, infirmiers et autres – et des personnels de l’hôpital Brabois à Nancy. Nous avons également consulté un nombre important de documents officiels et tenté de remonter…

Pas encore abonné(e) ?

Voir nos offres

La suite est reservée aux abonné(e)s


Déjà abonné(e) ? connectez-vous !



Zeen is a next generation WordPress theme. It’s powerful, beautifully designed and comes with everything you need to engage your visitors and increase conversions.

Top Reviews