Saint-Savinien, Charente marititime photo ©Pascale Desclos
Saint-Savinien, Charente marititime photo ©Pascale Desclos

PETIT VILLAGE ET GRAND ÉCRAN

Pascale Desclos

la France des coins tranquilles
À Saint-Savinien, petit village de Charente-Maritime, le Florida offre aux habitants une programmation à la pointe. Lieu de sociabilisation et de rencontres, le cinéma, créé en 1947, est une véritable machine à fabriquer des souvenirs, et ce quelles que soient les générations.
Bleu, rose, vert… Sur le Quai des Fleurs, au bord de la Charente, l’enseigne lumineuse du cinéma Florida clignote à la tombée du soir, comme dans un road-movie américain. Sur les eaux du fleuve, qui montent et baissent au rythme des marées de l’Atlantique, à 40 kilomètres de là, des canards glissent en travelling devant les maisons blanches aux volets pastel, les jardins enrubannés de glycine, les barques amarrées aux pontons... Synchrone, la bande-son envoie des gazouillis d’oiseaux, l’oreille devine au loin le vrombissement d’une mobylette. C’est l’heure du cinoche à Saint-Savinien, village de 2 700 habitants à mi-chemin entre Saintes et Rochefort, en Charente-Maritime. Dans le hall vieillot, orné d’un projecteur des années 1950, Nicolas Dhaud trône derrière sa caisse, entre des paquets de bonbons Haribo et l’affiche de Mourir peut attendre, le dernier James Bond. Quelques marches à grimper, et les spectateurs s’installent dans l’unique salle de 160 places, fauteuils de velours rouge et grand écran. Pas la foule ce soir pour Les Promesses de Thomas Kruithof, l’histoire d’une maire du 93 qui se débat pour sauver un quartier populaire, avec Isabelle Huppert. Mais tout le monde se salue ou échange quelques mots. L’ambiance est conviviale, comme on dit.

Saint-Savinien, Charente marititime photo ©Pascale Desclos
Le dernier ticket vendu (6,50 euros, deux fois moins cher que dans les salles parisiennes), Nicolas grimpe dans la cabine, au-dessus de la salle, pour lancer la séance. Un jeu d’enfant depuis que l’ancien projecteur, où il fallait caler les bandes des bobines, collées entre elles avec du scotch, a été remplacé par un imposant appareil numérique. Nicolas, c’est le directeur-projectionniste du Florida. Quinze ans qu’il tient la boutique, sept séances par semaine, à 20h30 tous les soirs et à 17 heures le dimanche. « J’aurais voulu être vétérinaire, mais finalement ça me plaît bien aussi, le cinéma. » Le programme de « son » Florida, il le concocte chaque mois sous la houlette des bénévoles de l’Écran Savinois, l’association qui gère cette salle indépendante, labellisée « art et essai » depuis les années 1970. Objectif : défendre un cinéma de qualité en milieu rural, en proposant un mix équilibré entre films populaires et films d’auteur à des tarifs accessibles à tous. Une ambition culturelle que le Florida partage avec les douze autres salles du réseau Ciné Passion 17, réparties dans tout le département et, plus largement, avec l’association des cinémas indépendants de Nouvelle-Aquitaine. L’entretien des locaux et du matériel, lui, est assuré par la commune, propriétaire de la salle. Attaché au lieu qu’il fréquente depuis sa jeunesse, Jean-Claude Godineau, le maire du village, a d’ailleurs prévu de refaire la charpente cet été. Il y a aussi dans l’air un projet de café dans le hall, pour permettre aux spectateurs de taper la discute avant et après les séances.
Créé en 1947 par Guy Delage, un négociant de cognacs réputé dans la région, fermé dans les années 1970, aux grandes heures de la télévision, racheté par la commune et rouvert après restauration en 1977, le Florida est un pur produit de la diversité culturelle française soutenue après-guerre par André Malraux, ministre de la Culture sous De Gaulle. Il compte parmi ces 1 035 cinémas indépendants français qui résistent contre vents et marées aux salles franchisées et multiplexes poussés dans les villes d'à-côté et aux plateformes de vidéo en ligne type Netflix ou HBO, qui ont pris leur envol pendant la crise sanitaire. Sans doute a-t-il connu des jours meilleurs, mais pour les locaux, il offre une source inépuisable de souvenirs, désormais partagés sur la page Facebook de Saint-Savinien. « Je me souviens de tout, raconte Janik, 72 ans, les fauteuils des premières qui étaient en bois, les films en deux séances du dimanche. » « C’est ici que j’ai découvert Steve McQueen dans Papillon, s’emballe Didier, 62 ans. « Et moi La Guerre du feu avec un prof du Collège », renchérit Christel, 56 ans. « Au Florida, j’ai vécu mes premiers flirts avec les garçons, dont celui que j’ai épousé il y a trente-deux ans », se marre Isabelle. « Chez moi, on n’avait pas les moyens d’aller au cinéma », ronchonne Didier. « C’était le rendez-vous des copains, tout le canton s’y retrouvait le dimanche. Moi je venais de Taillebourg, à deux kilomètres de là, à mobylette ! » témoigne Colette. « À la sortie de Titanic, il y avait la queue jusqu’au bout du quai, du jamais-vu à Saint-Savinien ! » s’enthousiasment Adeline et Élodie.
Selon l’âge, les souvenirs varient. Les aînés se rappellent les noms des projectionnistes d’antan, M. Flandrois, M. Blestel, qui grimpaient à la cabine de projection par une échelle extérieure, la place à six francs et les tickets jaunes et rouges aux bords dentelés. Les trentenaires regrettent l’ouvreur, qui passait à l’entracte avec les glaces et les bonbons dans un panier d’osier, ou les amourettes naissant à la faveur de la pénombre, au dernier rang. Et les plus jeunes y vont encore régulièrement voir des films avec leurs profs. De Joselito, l’enfant à la voix d’or, star des salles paroissiales en 1957 au Seigneur des Anneaux, la trilogie de Peter Jackson sortie de 2001 à 2003 en passant par Les Demoiselles des Rochefort, les westerns spaghetti ou E.T. l’extraterrestre, les films qui ont bercé les jeunes années sont aussi un puissant marqueur générationnel. « Fondé après-guerre, comme la plupart des petites salles de la région, le Florida fait partie du paysage. Les gens y sont attachés, et ils en sont fiers, comme on est fier d’avoir des livres dans sa bibliothèque, constate Denis Lecat, le président de Ciné Passion 17. Malheureusement, ils ne font pas toujours le lien entre la fréquentation des salles et leur pérennité. La crise sanitaire que nous traversons depuis deux ans n’aide pas non plus. Mais bon an mal an, on tient le cap, avec une moyenne de 30 à 50 spectateurs par séance. » Au-delà du simple emblème territorial, une salle comme le Florida dit aussi l’importance des croisements en province : pouvoir aller au cinéma, boire un verre, faire réparer sa voiture ou faire ses courses pas loin de chez soi, ça compte quand on vit à la campagne...

Saint-Savinien, Charente marititime photo ©Pascale Desclos
Pour garder son public et faire revenir les 18-25 ans, Ciné Passion 17 encourage les directeurs de salles de son réseau à mutualiser leurs efforts. « Le nerf de la guerre, c’est d’abord de respecter l’actualité cinématographique. Tout l’enjeu est d’obtenir des copies des films au moment de leur sortie, pour profiter des critiques paraissant dans la presse nationale. Il faut savoir qu’entre la première et la deuxième semaine, on perd 50 % des spectateurs. Voir les films du moment, ça participe d’ailleurs pour les habitants de nos villages au sentiment de rester connectés à la culture française. » Pour faire ses sélections, chaque programmateur de salle puise ses idées sur la plateforme de visionnage de l’Association Française des Cinémas Art et Essai (AFCAE) ou dans les catalogues des distributeurs indépendants, comme Vent d’Ouest. « Ceux qui se rendent au Festival de Cannes tiennent les autres au courant des films qui valent le détour. Une fois par mois, on se réunit pour échanger. » Pour chaque film loué, 50 % de la recette est ensuite reversée aux distributeurs. Les 50 % qui restent servent à régler les salaires des projectionnistes, les frais de communication ou de maintenance de la salle.

Saint-Savinien, Charente marititime photo ©Pascale Desclos
« Pour maintenir en vie notre cinéma, il faut aussi faire preuve d’imagination ! » explique Françoise Gazio, devenue présidente de l'Écran Savinois en 2019. Moitié bretonne, moitié charentaise, la jeune retraitée connaît son sujet. Avant de venir s’installer à Saint-Savinien, elle a mené carrière à Paris, comme productrice de films documentaires et a travaillé avec de grands réalisateurs. Sous son impulsion, la programmation du Florida s’est enrichie de nouvelles formules : en plus des quatre films hebdomadaires, il y a les jeudis du doc, une fois tous les quinze jours, les séances ciné-culte, avec des films du patrimoine choisis par les adhérents de l’association, des captations d’opéra et les désormais prisés ciné-concerts. Non, décidément, l’heure de la dernière séance n’a pas encore sonné au Florida....

la France des coins tranquilles À Saint-Savinien, petit village de Charente-Maritime, le Florida offre aux habitants une programmation à la pointe. Lieu de sociabilisation et de rencontres, le cinéma, créé en 1947, est une véritable machine à fabriquer des souvenirs, et ce quelles que soient les générations. Bleu, rose, vert… Sur le Quai des Fleurs, au bord de la Charente, l’enseigne lumineuse du cinéma Florida clignote à la tombée du soir, comme dans un road-movie américain. Sur les eaux du fleuve, qui montent et baissent au rythme des marées de l’Atlantique, à 40 kilomètres de là, des canards glissent en travelling devant les maisons blanches aux volets pastel, les jardins enrubannés de glycine, les barques amarrées aux pontons... Synchrone, la bande-son envoie des gazouillis d’oiseaux, l’oreille devine au loin le vrombissement d’une mobylette. C’est l’heure du cinoche à Saint-Savinien, village de 2 700 habitants à mi-chemin entre Saintes et Rochefort, en Charente-Maritime. Dans le hall vieillot, orné d’un projecteur des années 1950, Nicolas Dhaud trône derrière sa caisse, entre des paquets de bonbons Haribo et l’affiche de Mourir peut attendre, le dernier James Bond. Quelques marches à grimper, et les spectateurs s’installent dans l’unique salle de 160 places, fauteuils de velours rouge et grand écran. Pas la foule ce soir pour Les Promesses de Thomas Kruithof, l’histoire d’une maire du 93 qui se débat pour sauver un quartier populaire, avec Isabelle Huppert. Mais tout le monde se salue ou échange quelques mots. L’ambiance est conviviale, comme on dit. Saint-Savinien, Charente…

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