C’est mon choix

Yves Bigot

Les tropismes de la publicité, de la com, les influenceurs, les haters des réseaux sociaux, les complotistes de tout poil, les influences russes, chinoises ou de l’alt-right ont pris le pas sur la réalité pour faire place à une tour de Babel, narcissique dans le meilleur des cas, à la recherche de prophétie autoréalisatrice dans les plus inquiétants. 
Et le traitement de l’actualité est inévitablement rattrapé par la tentation inhérente au storytelling. Soit la réinvention de toute histoire pour son propre bénéfice, sa propre légende – par opposition à la réalité journalistique des faits. La manipulation est d’autant plus facile que désormais, la plupart s’informent sur les réseaux sociaux dont les algorithmes créent une bulle qui donne l’illusion d’une majorité de pensée et d’opinion sans rapport avec la factualité, mais qui conduit à croire, par exemple, que les élections seraient truquées, que le pouvoir aurait été confisqué, ou serait délégitimisé. 
L’Histoire a toujours été écrite par ceux qui en ont les moyens, les vainqueurs, et dorénavant, n’importe qui parvient à convaincre une quantité suffisante de suckers, imperméables à la science ou à l’investigation. Et en tout cas, rétifs à la vérité pour atteindre leur but, ou simplement s’autosatisfaire.
C’est toute l’ambiguïté du storytelling : il séduit, mais déforme la réalité. Parfois pour mieux la magnifier ou l’éclairer, au cinéma, dans la littérature ; d’autres pour la travestir. Dans l’Histoire, le plus souvent, croire aux histoires qu’on lui a racontées plutôt qu’aux faits, a rarement été pour le bien de l’Humanité. Et remplacer, sous l’influence de Michel Foucault, le concept politique d’exploitation par celui, victimaire, de domination, insupportable, nous conduit non plus à la libération, mais à la guerre civile.

Par quel étrange retournement la gauche radicale est-elle devenue le parti de la censure, là où son slogan initial était : « Il est interdit d’interdire » ?

La culture de l’annulation, qui n’en est que l’une des multiples expressions, ressemble à une mauvaise religion devenue folle. Ce politiquement correct exacerbé jusqu’à l’absurde produit un effet asphyxiant sur l’âme créatrice d’une société. C’est la problématique du zoo et de la jungle, sécurité versus liberté, question fondamentale d’un siècle inauguré par le traumatisme du 11-Septembre 2001. Cette tentative jadis honorable de réimaginer notre société de manière plus équitable incarne désormais les pires aspects de la religion, certitudes morales et autodétermination, privés de la moindre capacité de rédemption. C’est l’affaire Tintin au Congo : vaut-il mieux interdire un ouvrage intolérable ou le conserver afin de se souvenir de nos crimes pour ne pas risquer de les réitérer ? Et par quel étrange retournement la gauche radicale est-elle devenue le parti de la censure là où son slogan initial était : « Il est interdit d’interdire » ? 
Comment en sommes-nous arrivés là, après Woodstock et -Mai-68, après toutes les victoires culturelles, humanitaires, démocratiques et législatives consécutives ? L’illusion que tous les combats ont été remportés, l’égoïsme de la nouvelle bourgeoisie dominante, la régression dans le monde virtuel de la fiction et des jeux vidéo, l’asphyxie et la léthargie du confort moderne et de sa pharmacopée, l’enfermement dans une maladie mentale qui ne dit pas son nom, mais nous a transformés, à travers la libération des pulsions, haine et morbidité conjuguées, en prédateurs de la vie elle-même. 
Pendant que nous ne regardions pas assez, prisonniers volontaires et insensibilisés, s’inventait un monde disruptif, ubérisé, par abonnements, qui a pris la décision de se dématérialiser et de disparaître dans un cloud de sa propre invention, effaçant son existence en même temps que sa mémoire, cependant qu’il épuisait ses réserves, détruisait ses espèces et gangrenait la planète, se contentait par hashtags et emojis de soutenir les Ukrainiens massacrés par la Russie du nouveau Staline. Une sidération volontaire d’une humanité virtualisée, incapable de réagir face au surgissement de la réalité dans l’abrutissement robotique du Meilleur des mondes....

Les tropismes de la publicité, de la com, les influenceurs, les haters des réseaux sociaux, les complotistes de tout poil, les influences russes, chinoises ou de l’alt-right ont pris le pas sur la réalité pour faire place à une tour de Babel, narcissique dans le meilleur des cas, à la recherche de prophétie autoréalisatrice dans les plus inquiétants.  Et le traitement de l’actualité est inévitablement rattrapé par la tentation inhérente au storytelling. Soit la réinvention de toute histoire pour son propre bénéfice, sa propre légende – par opposition à la réalité journalistique des faits. La manipulation est d’autant plus facile que désormais, la plupart s’informent sur les réseaux sociaux dont les algorithmes créent une bulle qui donne l’illusion d’une majorité de pensée et d’opinion sans rapport avec la factualité, mais qui conduit à croire, par exemple, que les élections seraient truquées, que le pouvoir aurait été confisqué, ou serait délégitimisé.  L’Histoire a toujours été écrite par ceux qui en ont les moyens, les vainqueurs, et dorénavant, n’importe qui parvient à convaincre une quantité suffisante de suckers, imperméables à la science ou à l’investigation. Et en tout cas, rétifs à la vérité pour atteindre leur but, ou simplement s’autosatisfaire. C’est toute l’ambiguïté du storytelling : il séduit, mais déforme la réalité. Parfois pour mieux la magnifier ou l’éclairer, au cinéma, dans la littérature ; d’autres pour la travestir. Dans l’Histoire, le plus souvent, croire aux histoires qu’on lui a racontées plutôt qu’aux faits, a rarement été pour le bien de l’Humanité. Et remplacer, sous…

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