Bastille Magazine 08 Mot du mois : Liberté

LE MOT DU MOIS : LIBERTÉ

Zona Zarić

Le mot « liberté » est un des trois noms qui composent le triptyque de la devise de la République française, que nous célébrons chaque 14 juillet. Source d’inspiration de la Révolution de 1789, ce mot est aussi celui qui anime l’esprit des plus grands penseurs de différentes époques, figurant dans les déclarations et conventions sur les droits de l’homme, ainsi que dans les paroles et manifestes appelant à la mise en œuvre de finalités historiques. Comme toutes les grandes formules historiques, la liberté n’est pas sans paradoxe. En effet, étant l’un de ces mots qui représentent l’aspiration magistrale des citoyens en véhiculant un univers d’émotions partagées, parce qu’il incarne à la fois une incitation et une disposition à la lutte, de même qu’au sacrifice et à la souffrance, la « liberté » est également l’un de ces mots qui a certes permis aux dominés d’obtenir des conquêtes sociales considérables, mais aussi au nom desquels des guerres et des massacres de civils ont été déclenchés. Il s’agit donc d’un des mots centraux de l’imaginaire intellectuel humain ayant  – pour reprendre les propos de Louis Althusser  – pour objet ce monde dans les formes effectives de son appréhension : les formes de la perception, de la pratique sociale, de l’action et politique, de la pratique théorique des sciences, de l’art, de la religion. 

Ce sont les Modernes, et particulièrement des penseurs du libéralisme, qui ont fait de la liberté le centre d’une réflexion de la philosophie et de la politique. Pour Kant, la liberté, ne pouvant être démontrée, devait être postulée afin que la morale soit possible. Seul un être libre peut choisir entre le Bien et le Mal, car pour devoir, il faut d’abord pouvoir. Mais, même si Kant apparaît comme un grand penseur de la liberté, son libéralisme reste limité à l’usage interne de la liberté, et à la loi morale universelle de la raison, qui ne se développe pas en direction de la liberté externe. Ce déficit du prétendu « libéralisme transcendant », John Stuart Mill cherche à y remédier par son « libéralisme empirique », qui est plus conforme à l’esprit du temps et aux besoins politiques des nouveaux dominants. La première phrase de son essai De la Liberté est formulée comme suit : « Le sujet de cet essai n’est pas ce qu’on appelle le libre arbitre  – doctrine opposée à tort à la prétendue nécessité philosophique –, mais la liberté sociale ou civile : la nature et les limites du pouvoir que la société peut légitimement exercer sur l’individu. » Cette liberté politique, voire civile, que Mill met en avant comme sujet de sa réflexion, tire son origine historique et notionnelle de la définition grecque du citoyen libre (gr. polities, lt. civis), donc de l’homme en tant que citoyen, et non comme être biologique. 

En effet, John Stuart Mill a théorisé, de manière développée et cohérente, cette vision de la liberté qui, après la Révolution de 1789, s’est imposée comme une valeur centrale de la société bourgeoise émergente et qui implique, avant tout, la libération des individus de toute forme d’attachement féodal aux personnes ou à la terre, comme condition préalable à l’économie de marché. Paraphrasant Anatole France, cette majestueuse liberté permet au riche au même titre qu’au pauvre de coucher sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain. Mais, en réaction à cette perception libérale de la liberté, une nouvelle vision, contre-hégémonique et marginale, surgit  – fondée sur la pensée de Jean-Jacques Rousseau, pour qui la liberté est inséparable de l’égalité  – qui insiste sur le fait que la liberté est la capacité à maîtriser la totalité de sa propre vie, en union avec les autres, parce que, dans cette interprétation, autrui n’est pas considéré comme un concurrent, et la sociabilité, comme propriété inhérente de l’homme, se déduit de la fraternité comme principe générateur des relations interpersonnelles. Cette liberté indissociable de l’égalité et de la fraternité de façon profonde et effective, tant au niveau national qu’international, est celle dont nous avons besoin aujourd’hui, dans nos sociétés contemporaines individualistes, atomisées et désolidarisées. 



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